A l’AC Bobigny 93 rugby, les joueuses sont « comme des sœurs »
A l’AC Bobigny 93 rugby, les joueuses sont « comme des sœurs »
Par Olivier Bras
La section féminine du club de la Seine-Saint-Denis connaît un vif essor. Elle accueille de nombreuses jeunes filles qui trouvent dans ce sport le moyen de s’affirmer.
A Bobigny, comme dans toute la Seine-Saint-Denis, le football est majoritairement pratiqué par des garçons. A l’inverse, des filles peuvent facilement opter pour le rugby. | Vincent Leloup / Divergence pour Le Monde
Pour une fois, les cadettes de l’AC Bobigny 93 rugby ont beaucoup de place pour s’entraîner. Les vacances scolaires de Pâques ont commencé, et les jeunes filles, âgées de 16 ans à 18 ans, peuvent profiter seules du terrain en synthétique du stade Raoul-Montbrand, situé dans la commune voisine de Pantin (Seine-Saint-Denis). Elles sont une vingtaine en cette fin de journée ensoleillée d’avril. Les premiers ballons sortent de la poubelle dans laquelle ils sont stockés.
Lors de cette session, Alexandre Gau est, pour une fois, seulement spectateur. A la fois responsable des cadettes de l’AC Bobigny 93 rugby et professeur de sport au collège Pierre-Semard, qui possède une section rugby, il est habitué à entraîner ces jeunes joueuses. « On travaille très rarement la défense avec elle car ce sont de redoutables plaqueuses. Elles ont une agressivité naturelle », explique l’enseignant de 33 ans. Il a découvert un « incroyable potentiel sportif » en arrivant dans la Seine-Saint-Denis, loin de la région Occitanie, dont il est originaire. Et il s’efforce de faire comprendre à ces jeunes filles de Bobigny ou de villes avoisinantes qu’elles peuvent aller très loin dans ce sport si elles s’en donnent les moyens.
S’exprimer et se sentir valorisées
Ce discours, Sherryl Jean-Jacques, licenciée au club depuis six ans, le connaît bien. Elle a commencé le rugby au collège Pierre-Semard et a attrapé le virus ovale. Une passion qu’elle explique notamment par les liens très forts qui l’unissent à ses coéquipières. « Nous, on est vraiment comme des sœurs au rugby, alors que les garçons sont plus comme des amis », explique la joueuse de 17 ans, qui occupe le poste de demie de mêlée. Une solidarité précieuse sur le terrain et au-delà pour des jeunes filles qui peinent souvent à pratiquer un sport collectif.
A Bobigny, comme dans tout le département de la Seine-Saint-Denis, le football est majoritairement pratiqué par des garçons. A l’inverse, des filles peuvent facilement opter pour le rugby.
« Beaucoup d’entre elles sont à la recherche d’une activité dans laquelle elles peuvent s’exprimer, qui leur permet de se sentir valorisées », explique le manageur des filles au sein du club. A 36 ans, Fabien Antonelli supervise à la fois les deux équipes seniors et l’équipe des cadettes, qui termine sa première saison en rugby à XV. Il était déjà au club lorsque les premières filles ont rejoint cette structure voilà quatorze ans, et il a activement contribué à l’essor de la section féminine, qui représente aujourd’hui plus d’un quart des licenciées. Il se réjouit logiquement de voir autant de jeunes filles se mettre au rugby.
Séance d’entraînement de joueuses de l’AC Bobigny 93 rugby. | Vincent Leloup / Divergence pour Le Monde
La richesse du réservoir sportif de cette ville
« C’est le résultat du travail qui est mené depuis des années avec les établissements scolaires de la ville », avance-t-il. Lui-même professeur de sport, il connaît bien la richesse du réservoir sportif de cette ville. « Beaucoup de filles ont de grosses qualités physiques et elles peuvent l’exploiter au rugby. Mais la contrepartie, c’est qu’elles ont aussi de forts caractères. Il faut parvenir à les canaliser et à les fidéliser », ajoute Fabien Antonelli, qui reconnaît devoir plus agir comme un éducateur que comme un entraîneur.
Ce travail d’éducation commence par la définition de règles claires de vie de groupe, telles que le respect des horaires ou l’importance de s’engager auprès des autres. Les entraînements et les matchs n’ont rien de facultatif. Des préceptes qui se heurtent au quotidien difficile que connaissent certaines jeunes filles, contraintes de parcourir de longs trajets en transport en commun ou de s’impliquer dans la vie de leur foyer familial. Même si le rugby est devenu leur priorité, il doit parfois passer après la garde de frères ou de sœurs ou des tâches ménagères.
Certaines sont confrontées à d’autres obstacles, la mixité qui prévaut chez les moins de 15 ans pouvant notamment aller à l’encontre de préceptes religieux. Une fois chez les cadettes, les musulmanes les plus ferventes ont d’ailleurs trouvé le moyen de concilier leurs convictions avec cette discipline : en match, elles portent un casque, des collants sous leur short et des tee-shirts à manche longue sous leur maillot.
« Violentes et sauvages »
Les a priori liés à la nature même de ce sport de contact sont également très répandus. Soukouna Maba y a également été confrontée. Mais ses parents « n’ont pas eu le choix, ils ont dû faire avec », dit-elle en souriant. Et elle ne s’est pas arrêtée non plus aux moqueries de ceux qui reprochent aux joueuses d’être « violentes et sauvages ». Elle a justement été séduite par l’engagement physique et le plaquage, et elle pratique ce sport intensivement depuis plusieurs années. Elle a d’ailleurs intégré le centre de formation du club de Bobigny, qui lui permet d’avoir un suivi sportif, médical et scolaire personnalisé. « Il faut avoir un bon bulletin, car sinon on peut être virée », lâche-t-elle d’un ton dépité, semblant plus redouter le baccalauréat qui approche que n’importe quelle adversaire sur le terrain.
Pour la troisième ligne athlétique, la saison s’est terminée plus tôt, en raison d’une grave blessure à un genou. Une fois remis sur pieds, cet élément prometteur s’efforcera de rejoindre l’équipe première du club, qui évolue en Top 8, le plus haut niveau national. Ces dernières années, plusieurs joueuses de Bobigny ont réussi à intégrer les équipes nationales de rugby à XV ou à VII.
Des perspectives qui poussent logiquement les meilleures cadettes à s’entraîner encore plus. Mais cet objectif sportif ne semble pas prioritaire aux yeux de leurs éducatrices et éducateurs. Tous veulent surtout les aider à vivre autre chose grâce au rugby et à grandir. « Quand on fait des déplacements, on se rend compte que certaines n’ont pratiquement pas voyagé. C’est très fort de vivre tout cela avec elles », raconte Alexandre Gau.
« C’est vrai que ce n’est pas toujours facile de les gérer. Mais dès que l’on s’investit pour elles, elles le rendent puissance mille. Et ça, c’est vraiment très fort. »