L’Afrique, nouvel « Enfer du jeu » chinois
L’Afrique, nouvel « Enfer du jeu » chinois
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
Casino Royal vient d’inaugurer ses tables de jeu sur l’île de Sal, au Cap-Vert. Il s’agit du plus important investissement sur le continent du groupe Legend, le géant de Macao.
David Chow rafle la mise au Cap-Vert. Le célèbre tycoon chinois de l’industrie des loisirs a ouvert dans ce minuscule pays d’Afrique de l’Ouest Casino Royal, un ambitieux complexe, fer de lance de ses ambitions africaines.
De son vrai nom Chow Kam Fai, David Chow a fait fortune en ouvrant des casinos à Macao, au Laos, aux Philippines ou encore en Corée du Sud. Après avoir prospecté en Tunisie, en Egypte et à Dubaï, c’est finalement au Cap-Vert qu’il espère toucher le jackpot.
Sur place, son groupe bénéficie d’une période de concession de vingt-cinq ans pour ses casinos avec une période d’exclusivité de sept ans dans cette nouvelle zone de jeu où sont déjà installées dix-sept machines à sous et onze tables. Un futur hôtel cinq étoiles Hilton est en construction pour accueillir les joueurs. Le groupe de Macao a investi 200 millions d’euros sur place, de quoi réveiller cet Etat insulaire endormi.
La capitale, Praia, sur l’île de Santiago, aura également bientôt son casino avec un projet sur la plage de Gamboa et l’îlot de Santa Maria.
Les touristes chinois en ligne de mire
Longtemps, Macao a été bercée par la même indolence que le Cap-Vert. Héritage sans doute de l’histoire pour ces deux anciennes colonies portugaises dont la population respective dépasse à peine le demi-million d’habitants.
« C’est un projet ambitieux pour notre groupe, a expliqué David Chow devant une réunion d’investisseurs. La croissance du nombre de touristes et l’ouverture de nouveaux hôtels de luxe devraient nous permettre de soutenir notre ouverture internationale. »
Depuis 2012, le Cap-Vert disposait de cinq zones de jeu, réparties sur les îles de Santiago, Sal, Sao Vicente, Boavista et Maio. Mais les joueurs étaient encore rares à faire le déplacement.
Cible principale de ce projet : les touristes chinois, des joueurs invétérés. En Chine continentale, les jeux d’argent sont interdits et les accros se ruent par conséquent dans tous les casinos alentour, à commencer par Macao.
Surnommé l’Enfer du jeu, Macao est le seul endroit de Chine où le jeu est autorisé et les riches Chinois y flambent des fortunes. Mais le président Xi Jinping a lancé en 2014 une vaste campagne anti-corruption qui a dissuadé nombre de VIP d’aller flamber dans l’ancienne colonie portugaise. Beaucoup de joueurs se sont donc rabattus sur les pays « voisins », ce qui met l’Afrique lusophone en bonne place.
Le nombre de touristes chinois à l’étranger double chaque année et leurs dépenses atteignent 261 milliards de dollars (239 milliards d’euros). L’Afrique est une nouvelle frontière pour ces touristes qui, après les safaris kényans, pourraient jeter leur dévolu sur les tapis verts de Sal. En 2015, le Cap-Vert a accueilli 500 000 touristes étrangers, soit autant que sa population. L’ouverture de ces luxueux casinos devrait permettre de monter en gamme et de soutenir l’économie du pays encore très dépendante de la pêche. Le million d’expatriés chinois en Afrique est également une cible : 4 % des résidents étrangers au Cap-Vert sont Chinois.
Joueur émérite
En joueur émérite de poker, David Chow a plus d’une carte en main. Consul honoraire du Cap-Vert à Macao, il a investi dans le rachat de terres et dans l’agriculture en Afrique et entretient des relations privilégiées avec Praia. Il est devenu un intermédiaire indispensable entre la Chine et l’Afrique lusophone. Mais le jeu reste la plus lucrative de ses activités. Les revenus de son groupe ont frôlé les 200 millions d’euros en 2016 et Legend veut maintenant sortir de ses frontières asiatiques.
David Chow est un ancien homme politique macanais, très proche des hautes sphères chinoises, il bénéficie d’une très lucrative licence à Macao lui permettant d’exploiter quelques-uns des plus grands casinos de la ville. Cet entregent lui a sans doute permis de bénéficier au Cap-Vert du soutien de Pékin qui a financé une partie du complexe grâce au Fonds de développement Chine-Afrique.
Le Cap-Vert espère en tout cas prendre grâce à lui le même chemin que Macao. L’Enfer du jeu, longtemps gangrené par les Triades, les mafias chinoises, est aujourd’hui un territoire parmi les plus riches d’Asie.
Le PIB par habitant de Macao est vingt-six fois supérieur à celui du Cap-Vert et le chiffre d’affaires des casinos de Macao est quatre fois supérieur à celui de Las Vegas !
Pékin a toujours misé sur Macao pour s’ouvrir les portes des anciennes colonies portugaises : Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau et Mozambique profitent déjà d’investissements chinois par l’entremise de Macao. Un forum Chine-Afrique est organisé régulièrement à Macao sur ce thème.
Concurrence en vue
C’est en tout cas le premier pas de la « Chinafrique » dans le domaine du jeu, jusque-là chasse gardée du groupe sud-africain Sun International, qui possède la majorité des trente-cinq casinos d’Afrique du Sud avec des investissements au Swaziland, au Lesotho, au Bostwana, en Namibie et en Zambie.
Le groupe de Dubaï, World International, avait tenté de se faire lui aussi une place en ouvrant huit casinos au Liberia, au Cameroun, en Guinée équatoriale et à Djibouti, mais l’arrivée du champion asiatique devrait bouleverser la donne en Afrique et attirer de nombreux touristes chinois.
Un autre acteur macanais est présent en Afrique, il s’agit de Stanley Ho qui possède déjà un casino à Luanda, capitale de l’Angola. Lui aussi a l’oreille de Pékin. Sa fille, Pansy Ho, qui dirige la branche transport de son conglomérat Shun Tak est membre du Comité central du Parti communiste chinois. Son groupe n’a pas encore dévoilé ses cartes, mais il pourrait lui aussi relancer ses investissements en Afrique. De quoi faire monter la fièvre du jeu sur le continent.