Ce qu’il faut savoir de l’enquête américaine sur les possibles interférences russes
Ce qu’il faut savoir de l’enquête américaine sur les possibles interférences russes
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Le directeur du FBI, James Comey, a été limogé mardi alors qu’il supervisait les investigations sur de possibles liens entre l’équipe de campagne de Donald Trump et les hackers russes.
Pourquoi Donald Trump a renvoyé le directeur du FBI
Durée : 02:06
Son double mètre fait que l’ancien directeur du FBI, limogé mardi 9 mai par Donald Trump, passe rarement inaperçu. James Comey a pu d’autant moins échapper à la lumière au cours des derniers mois qu’il s’est trouvé pendant deux ans au cœur de la politique américaine.
La campagne présidentielle s’était ouverte en 2015 sur une controverse : la découverte de l’usage discrétionnaire par la favorite, la démocrate Hillary Clinton, d’un serveur privé lors des années passées à la tête du département d’Etat de 2009 à 2013. Elle a été remplacée progressivement en 2016 par une seconde, à laquelle l’élection de Donald Trump n’a pas mis un terme, bien au contraire : le rôle de la Russie dans le piratage du site du Parti démocrate et la divulgation de documents internes de l’équipe Clinton à quelques semaines du scrutin.
C’est cette seconde enquête, toujours en cours, qui alimente les suspicions du camp démocrate et de la presse à propos de la décision de M. Trump d’écourter un mandat de dix ans, qui place théoriquement le patron du FBI au-dessus des contingences politiques. M. Trump y a fait lui-même allusion dans la lettre expédiée à M. Comey pour lui signifier son limogeage, se félicitant que le directeur du FBI lui ait indiqué « à trois reprises » qu’il n’était pas en cause dans cette enquête.
Cette piste a été découverte il y a près d’un an, et rien ne dit, pourtant, qu’elle sera bientôt laissée de côté. D’autant qu’elle a alimenté en cascade une série d’autres controverses qui ne cessent d’entretenir aujourd’hui un halo embarrassant autour de la Maison Blanche.
Dès juin 2016, Moscou suspecté
Le piratage du Parti démocrate est révélé par le Washington Post le 14 juin 2016. Il conduit un mois plus tard à la démission de la responsable de la plus haute instance démocrate, Debbie Wasserman Schultz, fragilisée par la divulgation de documents attestant sa préférence pour Mme Clinton dans la course à l’investiture, qui opposait cette dernière au sénateur indépendant du Vermont, Bernie Sanders. Les responsables démocrates, des experts et la société de sécurité informatique sollicitée après le piratage mettent rapidement en cause la Russie.
Au terme de la convention d’investiture républicaine, le 22 juillet, Donald Trump invite la Russie, lors d’une conférence de presse, à publier des courriels personnels qui avaient transité par le serveur de Mme Clinton, si Moscou en dispose. La démocrate ne les a pas livrés au département d’Etat, contrairement à sa correspondance professionnelle, qui a fait l’objet d’une publication extensive.
Au cours de cette même conférence, Donald Trump exprime ses plus grands doutes sur la mise en cause de la Russie et du président Vladimir Poutine, avec lequel il souhaite renouer, et qu’il accable de propos flatteurs depuis longtemps. Il va se tenir à cette ligne de conduite pendant des mois.
Première mise en cause de la Russie par les autorités
Alors que des responsables démocrates, dont le responsable de la minorité démocrate d’alors, Harry Reid (Nevada), éreintent James Comey pour ne pas ouvrir d’enquête sur ces interférences, les autorités américaines (département de la sécurité intérieure et direction nationale du renseignement – DNI) publient le 7 octobre 2016 un communiqué dans lequel elles mettent pour la première fois en cause la Russie. Ce communiqué coïncide par le début de la publication par WikiLeaks de documents internes démocrates. Cette publication est égrenée tout au long des dernières semaines de la campagne.
Aussitôt après l’élection de M. Trump, le 8 novembre, l’administration Obama commande un rapport exhaustif au renseignement. C’est à la même période que les différentes agences, et le FBI, longtemps plus prudent, sont d’accord sur deux points essentiels : la responsabilité des plus hautes instances russes, c’est-à-dire celle de M. Poutine, et la volonté de favoriser l’élection de M. Trump. Ce jugement précipite des sanctions américaines, le 29 décembre, auxquelles la Russie ne riposte pas.
Moscou nie pour autant avec énergie toute implication. Fidèle à sa ligne, M. Trump esquisse d’autres pistes possibles, mentionnant à plusieurs reprises l’hypothèse d’individus isolés, ou d’Etats comme la Chine, pointée du doigt par le passé pour des piratages visant des entreprises.
Ouverture d’enquêtes parlementaires
Le 6 janvier, des responsables du renseignement (Agence nationale de la sécurité – NSA – et DNI) ainsi que M. Comey remettent à M. Trump le rapport commandé par M. Obama. Seule une partie déclassifiée est rendue publique. La presse américaine, notamment le Washington Post et le New York Times, soulèvent alors la question d’éventuels contacts entre les autorités russes et des membres de l’équipe de campagne de M. Trump.
Les démocrates du Congrès réclament une commission indépendante pour enquêter sur une éventuelle collusion, parallèlement aux investigations du FBI. Minoritaires, ils doivent se contenter des enquêtes des commissions du renseignement de la Chambre des représentants et du Sénat, toutes les deux contrôlées par des républicains.
La démission de Michael Flynn
Les articles du Washington Post provoquent néanmoins, le 13 février, la démission du conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, Michael Flynn. Ce dernier avait en effet évoqué en décembre 2016, dans une conversation téléphonique avec l’ambassadeur russe à Washington, Sergueï Kislyak, les sanctions de M. Obama. Il avait ensuite prétendu le contraire. La conversation avait été écoutée par le renseignement intérieur américain. Le 2 mars, le ministre de la justice, Jeff Sessions, doit se récuser dans l’enquête russe pour avoir omis de rendre compte des contacts qu’il avait eus au cours des mois précédents avec le même ambassadeur.
Contre-feu de Trump : la thèse de la surveillance
Le 4 mars, Donald Trump ouvre une polémique aux allures de contre-feu en accusant son prédécesseur, Barack Obama, de l’avoir fait placer sur écoute pendant la campagne. Aucun élément ne vient accréditer ses dires. Le porte-parole de M. Trump, Sean Spicer, reformule d’ailleurs l’accusation le 13 mars en évoquant une « surveillance ». Les deux commissions du renseignement du Congrès refusent de confirmer. La Maison Blanche, pour défendre la thèse de M. Trump, en est réduite à citer une analyse d’un collaborateur de la chaîne conservatrice Fox News, mettant en cause le renseignement britannique. Londres réagit vivement.
Le 22 mars, le président républicain de la commission de la Chambre, Devin Nunes, crée la surprise en annonçant avoir pris connaissance d’informations accréditant la thèse de la surveillance. Quelques jours plus tard, il doit avouer avoir été invité, avant cette annonce, à se rendre à la Maison Blanche pour prendre connaissance de documents confidentiels. Le 6 avril, il se récuse à son tour dans l’enquête russe.
Quelques jours avant le coup de théâtre de M. Nunes, le 20 mars, M. Comey avait confirmé devant le Sénat que ses services enquêtaient bien sur une éventuelle collusion entre les hackers russes et l’équipe de campagne de M. Trump. Le directeur de la police fédérale avait également ajouté ne disposer d’aucun élément appuyant la thèse du président sur une possible surveillance pendant la campagne.