« Chez les jeunes urbains africains, la sexualité n’est plus uniquement fondée sur les obligations du mariage »
« Chez les jeunes urbains africains, la sexualité n’est plus uniquement fondée sur les obligations du mariage »
Par Marie-Pierre Nicollet
Face aux évolutions sociologiques du continent, l’AFD préconise de promouvoir l’éducation sexuelle au sein de l’école pour accélérer la transition démographique.
Alors qu’en Afrique subsaharienne la distribution des produits contraceptifs a souvent été privilégiée pour accélérer les transitions démographiques, il est désormais nécessaire de changer de paradigme en attachant de plus en plus d’importance aux normes sociales et culturelles qui influencent la sexualité et la reproduction.
« Bombe », « énigme », « exception » : les démographes rivalisent d’expressions lorsqu’il s’agit de caractériser la croissance démographique en Afrique subsaharienne. Et pour cause, cette région s’écarte des schémas observés partout ailleurs, en affichant les niveaux de fécondité les plus élevés au monde, avec une moyenne de 5 enfants par femme – dont 7,6 enfants au Niger. La population subsaharienne pourrait ainsi doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,1 milliards d’habitants, voire tripler dans certains pays sahéliens.
Peser dans les décisions familiales
Face à de telles projections, les projets de planification familiale ont surtout mis l’accent à la fin des années 2000 sur la disponibilité des produits contraceptifs et la promotion des méthodes modernes. Cette approche, par l’offre, montre pourtant ses limites. Par exemple, l’augmentation de 12 % à 20 % en trois ans du taux de prévalence contraceptive au Sénégal ne s’est pas accompagnée d’une diminution du nombre d’enfants par femme. D’une part parce que le désir d’enfants reste élevé, même auprès des foyers les plus « avantagés », mais aussi parce que la demande en contraception répond davantage à un besoin d’espacement des naissances (dans 68 % des cas) que de limitation de leur nombre.
Ce constat oblige à changer de paradigme et à promouvoir des approches de la fécondité plus transversales, ne prenant pas seulement en compte le point de vue de la santé des femmes et des enfants, mais intégrant aussi la capacité des individus – tout particulièrement des jeunes et des femmes – à peser dans les décisions familiales. Choisir la taille de sa famille ? Facile à dire ! Encore faut-il le vouloir, savoir et pouvoir.
Vouloir ? Il est indispensable de prendre la mesure des mutations socioculturelles à l’œuvre entre les générations, qu’elles soient liées au progrès technologique et à la connectivité, ou encore aux transformations induites par les modes de vie urbains qui rendent les repères affectifs et moraux des parents souvent anachroniques. S’affirme, notamment chez les jeunes urbains, une morale sexuelle non uniquement fondée sur le contrôle de la fécondité ou les obligations du mariage.
L’école comme lieu de socialisation
Savoir ? C’est un défi permanent ! Le manque de connaissances ne réside pas seulement dans l’ignorance d’une jeune fille africaine de sa physiologie. Il est aussi celui d’une femme européenne à qui seraient prescrites des méthodes contraceptives inadaptées à son mode de vie. Ainsi, en France, deux grossesses non prévues sur trois surviennent chez des femmes déclarant utiliser un moyen contraceptif. L’éducation sexuelle constitue l’un des domaines permettant de fournir aux jeunes un référentiel de dialogue et de réflexion sur le rapport à la sexualité et à la famille. En Afrique subsaharienne, 50 % des naissances surviennent pendant l’adolescence. Il faut donc croire en l’école comme lieu de socialisation offrant l’occasion de dialogues soutenus et réguliers entre élèves, familles et éducateurs.
Pouvoir ? L’on ne dira jamais assez le rôle du droit et de la société civile pour promouvoir la planification familiale. Ainsi, en France, il a fallu légiférer afin de garantir l’accès des mineur(e)s aux services du planning familial, sanctionner les entraves à l’avortement et, plus récemment, promouvoir l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Quel chemin parcouru depuis la loi Neuwirth de 1967 (loi n° 67-1176 du 19 décembre 1967) autorisant l’usage des contraceptifs jusqu’à la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prévoyant, notamment, que la mention de « situation de détresse » soit supprimée pour pouvoir recourir à un avortement.
Les approches par l’offre de soins ou de contraceptifs resteront impuissantes sans l’expression concomitante d’une demande sociale de planification familiale conjuguant l’action de la volonté exprimée par les jeunes, de la connaissance alimentée par la science et de la capacité protégée par le droit. Travailler au soutien de la planification familiale, c’est parier sur la « fertilité » des ruptures générationnelles et la richesse des opportunités offerte par une égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Marie-Pierre Nicollet est directrice du département Développement humain (santé, éducation, emploi, formation et protection sociale) à l’Agence française de développement (AFD), partenaire du Monde Afrique.