Votes, assiduité : qui était le député Edouard Philippe, nouveau premier ministre ?
Votes, assiduité : qui était le député Edouard Philippe, nouveau premier ministre ?
Par Maxime Delrue, Eléa Pommiers
Le nouveau premier ministre vient de passer cinq ans à l’Assemblée nationale. Portrait du nouveau chef du gouvernement à travers son travail parlementaire.
C’est un homme sans expérience gouvernementale qui est entré, lundi 15 mai, à Matignon. Emmanuel Macron a choisi Edouard Philippe, député Les Républicains, par ailleurs maire du Havre (Seine-Maritime) et proche d’Alain Juppé, pour prendre la tête du nouveau gouvernement. Le président de la République l’a désigné pour former une majorité « de renouvellement » et pour « recomposer la vie politique ».
Peu connu du grand public, Edouard Philippe a pourtant fréquenté les bancs de l’Assemblée nationale pendant cinq ans. Heures de présence, votes de textes emblématiques : portrait d’un élu très souvent en opposition avec le gouvernement… et avec des projets aujourd’hui portés par Emmanuel Macron.
Un député peu présent et peu actif à l’Assemblée
Le travail de député ne se limite pas aux votes. Commissions parlementaires, questions orales et écrites, propositions d’amendements font aussi partie du quotidien des 577 représentants du peuple au Palais-Bourbon. Les uns et les autres s’y attellent avec plus ou moins d’assiduité.
Les chiffres du député Edouard Philippe le situent plutôt dans le bas du classement. En termes de présence, le député LR de la septième circonscription de Seine-Maritime, également maire du Havre, a été en commission et/ou a pris la parole dans l’hémicycle 113 semaines sur les 204 que compte son mandat.
Même constat quant aux jours de présence en commission. Au cours des cinq dernières années, M. Philippe a participé aux commissions de la défense, du développement durable et des lois. Dans ce cadre, il s’est rendu 124 jours aux réunions de travail, alors que la médiane de la présence des députés en commission est de 192 jours (c’est-à-dire que la moitié des députés ont été en commission moins de 192 jours tandis que l’autre moitié a été présente plus de 192 jours).
Nous faisons ici le choix d’utiliser la médiane et non la moyenne car cette dernière peut être « faussée » par les valeurs extrêmes (ici, les députés toujours ou jamais présents), ce qui n’est pas le cas de la médiane.
Dans son travail parlementaire aussi, le maire du Havre se retrouve dans les rangs des mauvais élèves du Parlement. Que ce soit en nombre d’interventions en commission ou dans l’hémicycle, en nombre d’amendements proposés ou de questions orales posées, Edouard Philippe se trouve toujours en deçà de la médiane de ses collègues députés.
Un seul critère le situe au-dessus de la médiane : le nombre d’amendements signé. Le nouveau premier ministre a apposé son nom sur 1 835 amendements contre 1 597 pour la médiane de députés. Attention, il ne s’agit pas du nombre d’amendements déposés par le député lui-même.
Ces chiffres, agrégés et relayés par NosDéputés.fr, le placent dans les cent cinquante députés les moins actifs à l’Assemblée nationale.
Edouard Philippe n’a pas voté la majorité des lois emblématiques du quinquennat
Le nouveau premier ministre a montré son opposition à la quasi-totalité des principales lois du dernier quinquennat. Or, Emmanuel Macron souhaite conserver, voire renforcer, plusieurs d’entre elles, comme nous l’avions montré dans cet article. Nous avons retracé les votes d’Edouard Philippe sur une dizaine de textes. Les lois Macron et El Khomri n’y figurent pas car elles ont été adoptées sans vote des parlementaires, avec l’article 49 aliéna 3 de la Constitution. Le nouveau locataire de Matignon a cependant voté les motions de censure contre le gouvernement à chaque fois.
Il a voté pour
- La loi sur les droits des personnes en fin de vie
Il s’agissait d’une proposition de loi de deux députés, Jean Leonetti (LR) et Alain Claeys (PS). Elle a introduit le droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale, ainsi que les directives anticipées contraignantes. Il s’agissait d’un engagement de campagne de François Hollande.
M. Philippe a voté pour, comme la majorité des députés de son camp. Une quarantaine d’élus UMP avaient voté contre ou s’étaient abstenus. Aucune mesure pour la fin de vie ne figure toutefois au programme d’Emmanuel Macron, qui a dit se satisfaire de cette loi et souhaiter un « débat national » sur le sujet.
- Les moyens affectés à la police et à l’armée contre le terrorisme
En 2016, le gouvernement a proposé une loi octroyant de nouveaux moyens d’investigation aux juges et aux procureurs. Le nouveau premier ministre a voté pour, comme la quasi-totalité des députés LR. De même, il a soutenu les multiples prolongation de l’état d’urgence.
En revanche, Edouard Philippe s’était fermement opposé à la « loi renseignement » en 2015 car elle réduisait, selon lui, les libertés individuelles. Contrairement à la majorité des députés LR, il avait voté contre.
Il s’est abstenu
- Loi sur l’égalité hommes-femmes
Edouard Philippe s’était abstenu, au diapason de son camp, sur le projet de loi de 2014 qui visait à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la société. Parmi ses principales dispositions, on trouve l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, le renforcement des droits des pères salariés, la création d’un délit général de harcèlement ou encore l’interdiction des concours de beauté pour les moins de 13 ans.
Tous les députés UMP n’avaient cependant pas fait le même choix que M. Philippe : vingt et un avaient voté contre et onze avaient voté pour.
- Le mariage pour tous
Le nouveau premier ministre s’était également abstenu lors du vote de cette loi emblématique du quinquennat Hollande, comme Nathalie Kosciusko-Morizet ou Bruno Le Maire. Il était alors en désaccord avec la très grande majorité du groupe UMP de l’époque, qui avait voté contre. Mais certains, comme Luc Chatel, Benoist Apparu, Henri Guaino ou Franck Riester, avaient voté en faveur du texte porté par Christiane Taubira.
Emmanuel Macron a promis de prolonger cette loi en ouvrant le droit à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes.
Il a voté contre
- La transparence et la moralisation de la vie publique
Adoptée en 2013, cette loi a créé la Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) et la peine d’inéligibilité de dix ans pour les élus et ministres condamnés pour corruption, trafic d’influence, fraude électorale ou fiscale. Emmanuel Macron a promis non seulement d’appliquer mais aussi de renforcer ces mesures de moralisation de la vie publique.
Son nouveau premier ministre a voté contre les deux textes qui ont porté ces réformes. Tous les députés à l’époque UMP ne l’ont pas fait : Thierry Mariani et Gérald Darmanin se sont abstenus. D’autres, comme Patrick Hetzel ou Laurent Wauquiez, ont voté pour.
Edouard Philippe a également voté contre la loi relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, qui a notamment créé le Parquet national financier.
- La lutte contre le système prostitutionnel
Ce texte comportait notamment la pénalisation des clients, l’interdiction d’achat d’acte sexuel et le renforcement des moyens de poursuite contre la traite des êtres humains et le proxénétisme. Le nouveau premier ministre a voté contre, comme la majorité du groupe UMP. Pourtant, une quarantaine de députés de droite avaient décidé de s’abstenir, dont Benoist Apparu, Christian Jacob ou François Fillon. Onze autres avaient même soutenu la loi, comme Thierry Solère ou Nathalie Kosciusko-Morizet.
- La loi sur la transition énergétique
Ce texte a fixé des objectifs de moyen terme pour la France, comme baisser la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité d’ici à 2025, le développement des énergies renouvelables, ou encore la baisse de la consommation d’énergies fossiles de 30 % d’ici à 2030. Le programme écologique d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la parfaite continuité de cette loi.
Là encore, M. Philippe a voté contre, comme la quasi-totalité son groupe parlementaire (un seul député s’est abstenu).
- La réforme territoriale
En 2015, la loi NOTRe a réduit le nombre de régions métropolitaines à treize et a renforcé leurs pouvoirs. Comme 193 députés LR, Edouard Philippe a voté contre. Emmanuel Macron n’envisage pas de revenir sur cette réforme et souhaite désormais réduire le nombre de départements en les fusionnant avec les grandes métropoles quand cela est possible.
- La baisse de d’impôts et de cotisations sociales pour les entreprises
Il s’agit là de l’une des principales mesures de la politique économique d’Emmanuel Macron, qui souhaite réduire à la fois l’impôt sur les sociétés et les cotisations salariales et patronales. Il poursuit en ce sens une politique amorcée par François Hollande.
Le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), premier volet de la baisse des charges pour les entreprises, a été adopté dans le projet de loi de finances rectificatif de 2012. Le nouveau premier ministre a voté contre ce texte, comme la quasi-totalité de son camp (un député seulement s’est abstenu). Le CICE avait été introduit par un amendement du gouvernement, et peu de députés étaient présents dans l’hémicycle au moment de son adoption. Les quelques parlementaires UMP ont voté contre.
Deux ans plus tard, les principales dispositions du Pacte de responsabilité, notamment la baisse des cotisations sociales pour les entreprises, figuraient dans le projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité social 2014, et M. Philippe n’était pas présent au moment du vote.
- Le non-cumul des mandats
La loi de 2014 a interdit le cumul de fonctions exécutives locales avec un mandat de député ou de sénateur. Le nouveau président de la République a promis le respect de ce texte, et son renforcement : il prévoit d’interdire le cumul des mandats dans le temps. Son nouveau premier ministre, lui, avait voté contre, comme presque toute sa famille politique. Cinq d’entre eux, comme Thierry Solère, avaient voté pour.
Il est difficile de conclure à une réelle opposition d’Edouard Philippe à tous ces textes, tant l’appartenance aux partis structure les votes à l’Assemblée nationale. Mais ces exemples montrent que le nouveau premier ministre s’inscrivait jusqu’ici dans la tradition de la discipline partisane, qu’Emmanuel Macron a assuré vouloir dépasser.