Après trois mois d’obstruction, le pouvoir macédonien cède face à l’opposition
Après trois mois d’obstruction, le pouvoir macédonien cède face à l’opposition
Par Benoît Vitkine
Le président de Macédoine, Gjorge Ivanov, a chargé le dirigeant de l’opposition sociale-démocrate, Zoran Zaev, de former un gouvernement de coalition.
Le président macédonien, Gjorge Ivanov, remet le mandat au chef de l’opposition sociale-démocrate, Zoran Zaev, pour former un nouveau gouvernement, à Skopje, le 17 mai 2017. | ROBERT ATANASOVSKI / AFP
Après trois mois de résistance acharnée, le pouvoir macédonien a finalement accepté, mercredi 17 mai, de transférer le pouvoir à l’opposition, ouvrant la porte à une sortie de la grave crise politique qui mine le pays depuis plus de deux ans. Alors qu’il s’y était toujours refusé, le président Gjorge Ivanov a chargé le dirigeant de l’opposition sociale-démocrate (SDSM), Zoran Zaev, de former un gouvernement de coalition.
Arrivé en deuxième position lors des élections législatives du 11 décembre 2016 (49 voix contre 51 au VMRO-DPMNE, le parti nationaliste au pouvoir), le SDSM était parvenu dès la fin du mois de janvier à obtenir le soutien des partis de la minorité albanaise du pays (25 % de la population). Mais la transition, qui apparaissait dès lors comme une formalité, s’est heurtée à une véritable guérilla constitutionnelle du pouvoir en place.
Le président Ivanov, un obligé du maître réel du pays, l’ancien premier ministre Nikola Gruevski, a refusé pendant trois mois de confier à M. Zaev le soin de former un gouvernement. Selon lui, l’accord conclu entre le SDSM et les partis albanais menaçait la souveraineté et l’intégrité de la Macédoine.
Evoquée un temps, l’attribution du statut de langue officielle à l’albanais, qui a crispé les nationalistes, a pourtant été abandonnée depuis longtemps. La plate-forme de coalition de l’opposition ne prévoit plus désormais que l’application pleine et entière des accords d’Ohrid, conclus après les affrontements interethniques de 2001, et qui octroient à l’albanais le statut de langue officielle dans les seules régions où cette minorité représente plus de 20 % de la population.
« Un choc général »
La crise a pris un tour violent, le 27 avril, lorsque des nervis nationalistes et des soutiens du VMRO-DPMNE ont investi le Parlement pour empêcher la coalition d’élire un nouveau président de l’Assemblée. Les images de Zoran Zaev et de plusieurs de ses collègues, le visage en sang, ont constitué « un choc général », selon un diplomate occidental. La position du gouvernement est vite devenue intenable, et les pressions occidentales, jusque-là infructueuses, se sont accentuées. Selon une source proche de l’opposition, la visite du diplomate américain Hoyt Brian Yee, le 1er mai, a accéléré les choses, conjuguée aux pressions de l’Union européenne, à laquelle Skopje est candidate.
Mercredi, M. Ivanov a sauvé la face en exigeant de Zoran Zaev des « garanties » écrites sur la souveraineté du pays. « Au nom de la majorité au Parlement, nous garantissons la protection de l’unité, de la souveraineté et l’intégrité territoriale, l’indépendance et le caractère multiethnique de la Macédoine », a déclaré M. Zaev à la presse, résumant la teneur de ces garanties. Cet engagement, de la part d’un premier ministre élu, constitue un fait inédit, mais l’événement est à la mesure du trou noir dans lequel s’est enfoncée la Macédoine, longtemps vantée comme modèle de réussite dans les Balkans.
Tout en saluant la décision du président, la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, s’est d’ailleurs montrée prudente, mercredi, évoquant seulement une « étape importante (…) vers une sortie de la crise ».
Une transition délicate
Après dix ans de règne sans partage des nationalistes du VMRO-DPMNE et de leur chef tout-puissant, Nikola Gruevski, la transition s’annonce, en effet, délicate. M. Gruevski et ses amis sont désormais sous la menace des enquêtes judiciaires d’un procureur spécial désigné pour faire la lumière sur les différents scandales de corruption et d’abus de pouvoir qui ont émaillé les dernières années de règne des nationalistes.
La chute est rude pour l’ancien homme fort de Skopje. Fort de résultats économiques encourageants et d’un contrôle toujours plus important sur l’appareil étatique, le dirigeant nationaliste se disait certain de conserver le pouvoir, malgré le scandale des écoutes massives opérées par son gouvernement, qui avait révélé à l’hiver 2015 l’ampleur de la corruption au sommet de l’Etat. Il a ensuite tout fait pour se maintenir, quitte à enfoncer son pays dans la crise politique et la paralysie, et n’hésitant pas à jouer la carte ultranationaliste et à s’en prendre à ses partenaires occidentaux. De fait, c’est bien la perte du soutien occidental, qui fut longtemps un pilier de son pouvoir, qui a précipité la chute de M. Gruevski.
Un pays profondément divisé
Après avoir mené pendant des années la charge contre le gouvernement sortant, les sociaux-démocrates et leurs alliés albanais ont maintenant la charge de réconcilier un pays profondément divisé, sur des lignes de fracture plus politiques qu’ethniques. Ils devront aussi montrer leur capacité à réformer le pays, l’un des plus pauvres d’Europe. Lors la campagne électorale de décembre, M. Zaev a beaucoup promis, notamment dans le domaine de l’économie : hausse des salaires (le salaire moyen est à environ 350 euros), baisse des tarifs de l’électricité, aides pour les familles pauvres… Il a pour cela promis de « confisquer » l’argent volé par le VMRO-DPMNE, mais la tâche s’annonce ardue.
Ses expériences passées au pouvoir invitent aussi à la prudence. Sans atteindre le caractère systématique des pratiques mises en place par le clan Gruevski, les sociaux-démocrates se sont eux aussi illustrés par une pratique clientéliste du pouvoir. Durant la campagne, le chef des sociaux-démocrates avait fait savoir au Monde son intention de confier au VMRO-DPMNE un droit de regard sur le fonctionnement de plusieurs institutions, notamment sur le poste de procureur spécial, pour garantir une transition apaisée.