Le président, Donald Trump, et le vice-président des Etats-Unis, Mike Pence, à Washington le 15 mai. | Evan Vucci / AP

A peine cinq mois après son accession à la Maison Blanche, Donald Trump voit les affaires le concernant s’accumuler. Déjà critiqué pour avoir démis de ses fonctions le patron du FMI, James Comey, il lui aurait également, d’après le New York Times, suggéré, en février, d’interrompre une enquête sur son ex-conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn. Mercredi, un procureur spécial, Robert Mueller, a été désigné pour enquêter sur les liens de l’équipe Trump avec la Russie. Alain Frachon a répondu à vos questions sur les perspectives du président à la Maison Blanche, sur lequel pèse la menace d’une procédure de destitution.

Fred64 : Bonjour. A partir de combien d’affaires le président Trump peut-il être destitué ?

Alain Frachon : Ce n’est pas une histoire de nombre. Le président peut être destitué s’il commet un crime au regard du droit américain – trahison, obstruction à la justice, etc. La procédure est entièrement politique. Il y a en général une enquête judiciaire en cours. Si elle est suffisamment fournie, la commission judiciaire de la Chambre des représentants s’en empare et décide de mener à son tour une enquête. Au terme de cette deuxième enquête, la Chambre peut voter à la majorité simple l’inculpation du président. L’affaire passe alors au Sénat, qui lui va juger le président et peut décider, par un vote des deux tiers de ses cent membres, de destituer ou non le président.

Il y a aujourd’hui bien une enquête judiciaire en cours. Elle est menée par un procureur indépendant, Robert Mueller, un ancien patron du FBI. Elle porte sur la question suivante : y a-t-il eu une collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump en 2016 et des officiels du gouvernement russe afin de porter du tort à la candidate démocrate, Hillary Clinton, ou favoriser l’élection de Donald Trump.

Cette enquête n’est pas finie. A son aboutissement, le résultat sera transmis au ministère de la justice, qui le donnera à son tour à la Chambre des représentants. Nous n’en sommes pas là.

Sylvain K. : Les sénateurs républicains soutiennent-ils sans retenue Trump ?

Les républicains ont la majorité au Congrès, à la Chambre des représentants comme au Sénat. Pour le moment, une écrasante majorité d’entre eux soutiennent toujours le président. Il n’y a que de rares exceptions, notamment au Sénat, avec des sénateurs comme John McCain ou Lindsey Graham, tous les deux très critiques du comportement de Donald Trump.

Si le groupe parlementaire républicain au Congrès ne change pas d’avis, M. Trump ne risque pas grand-chose jusqu’aux prochaines élections législatives, le scrutin de mi-mandat, qui aura lieu dans un an et demi. Sauf si, entre-temps, le procureur spécial, Robert Mueller, arrive à des conclusions très nettes en ce qui concerne une éventuelle culpabilité de M. Trump dans l’enquête en cours sur la Russie.

Ghislain : Comment la popularité de Donald Trump est-elle affectée par ces affaires ?

La popularité du président oscille entre 30 et 35 % de taux de satisfaction. A six mois de leurs premiers mandats, tous ses prédécesseurs disposaient d’une popularité tournant autour de 50 %. Mais il faut ajouter ceci : dans son propre électorat, chez les républicains, sa cote reste très forte, autour de 87 %, même si elle tend à diminuer au fil des dernières « affaires » qui ont affecté la Maison Blanche.

Matthieu : Peut-on considérer Robert Mueller comme étant vraiment indépendant, indifférent des partis politiques et insensible aux pressions ?

Oui. Un procureur spécial est la plupart du temps désigné parmi de hauts magistrats à la retraite, dont la carrière ne dépend plus aucunement du gouvernement, qu’il s’agisse du FBI, du ministère de l’intérieur ou de celui de la justice. La plupart du temps, il s’agit d’une femme ou d’un homme de grande expérience juridique, passé dans le privé après une longue carrière dans la haute fonction publique. M. Mueller a été patron du FBI entre 2001 et 2013, sous des présidents républicains et démocrates, à l’égard desquels il a toujours fait preuve d’indépendance. Il avait notamment été très critique de certains projets visant à confier à l’Agence de sécurité américaine, la NSA, des pouvoirs très étendus en matière d’écoutes des citoyens américains.

A ce jour, dans la presse américaine, nous n’avons pas entendu une seule critique sur M. Mueller, relative à son indépendance.

Gougousse : Bonjour et merci pour ce live. On a beaucoup parlé des « fake news » et du rapport de force entre la Maison Blanche et les médias : à la suite des révélations en cascade, les stratégies d’information et de communication des éditorialistes comme des équipes de Donald Trump ont-elles évolué ?

Dans cette histoire, comme durant la campagne de 2016, il faut bien comprendre qu’il y a deux types de médias aux Etats-Unis. Les médias traditionnels, les grands journaux et les magazines, notamment de la Côte est, et les grandes chaînes de télévision, n’ont cessé d’être très critiques à l’encontre de M. Trump. Dès son arrivée à la Maison Blanche en janvier, et ses projets de décrets limitant l’immigration, le président a été soumis à une presse extrêmement critique. Le licenciement du directeur du FBI, par exemple, a été considéré très largement comme un abus de pouvoir par ces médias.

A côté de ces médias traditionnels, il y a une chaîne, Fox News, qui appartient au groupe Murdoch, et un nombre de sites, très puissants, qui soutiennent M. Trump. Ceux-là n’ont pas rapporté que M. Trump avait démis, lui-même, de ses fonctions, le directeur du FBI, mais ils ont raconté que M. Comey avait démissionné de sa propre volonté.

Coexistent ainsi deux discours médiatiques aux Etats-Unis, l’un émanant de la sphère médiatique traditionnelle, très sévère pour M. Trump, et l’autre, souvent totalement déconnecté de la réalité, provenant des réseaux sociaux, d’une chaîne de télé comme Fox News ou de radios très militantes de l’ultradroite, qui soutient systématiquement le président républicain.

Fanch : Bonjour, est-ce trop s’avancer que d’évoquer un parallèle avec la crise du Watergate sous Nixon ou faut-il prendre des pincettes au sujet de cette comparaison ? Merci.

L’affaire du Watergate était une tentative de piratage des bureaux du Parti démocrate dans la campagne électorale de 1971-1972. Une équipe avait posé des micros dans les locaux démocrates qui se trouvaient dans un ensemble d’immeubles appelé le Watergate, au bord du Potomac. Une enquête judiciaire a été ouverte, et a débouché sur une procédure de destitution du président Richard Nixon à l’été 1974. Celui-ci a préféré démissionner avant qu’elle n’aboutisse, avant même qu’il ne soit jugé par le Sénat. Dans cette situation, celle d’une démission, comme celle d’une destitution, il revient au vice-président de terminer le mandat en cours.

Nous n’en sommes pas là avec le président Trump. L’enquête judiciaire est toujours en cours et il n’est pas sûr qu’elle aboutisse à un résultat justifiant l’ouverture d’une procédure de destitution. Mais il y a à Washington comme un parfum de Watergate, un climat de suspicion à l’adresse du président, qui rappelle le printemps et l’été 1974 dans la capitale fédérale.

Je m’ennuie au bureau : Bonjour, dans l’hypothèse où une procédure d’impeachment serait lancée contre Trump, combien de temps cela prendrait-il et qui le remplacerait ?

L’enquête du procureur Mueller peut prendre du temps. Elle peut même aller au-delà des élections législatives de mi-mandat. Il n’y a pas de limite de temps fixée. Dans le cas du président Bill Clinton, qui a fait l’objet d’une procédure de destitution, l’enquête du procureur Ken Starr, avait duré de très longs mois. La procédure de destitution elle-même est plus rapide. La Chambre des représentants décide très vite d’inculper ou non le président, et le Sénat vote sur le ou les chefs d’inculpation, là encore très rapidement. Le président, s’il est destitué, est remplacé par le vice-président, qui termine le mandat en cours. En l’espèce, ce serait le républicain Mike Pence.

Bubulle : Quel est le profil de Mike Pence ?

Mike Pence appartient à la droite républicaine chrétienne. Il fait partie du bloc traditionaliste militant, qui, au sein du Parti républicain, défend des positions opposées à l’avortement, favorable aux ventes d’armes individuelles, à des baisses d’impôts substantielles, à l’école privée et à une politique étrangère offensive. M. Trump l’a choisi à cause de ce profil politique, pour être sûr de disposer de l’appui du noyau dur de l’électorat républicain.

Mais, gouverneur de l’Indiana, Mike Pence a aussi une expérience de la vie publique qui manque cruellement à Donald Trump. Il est également apprécié au Congrès pour sa courtoisie et les excellentes relations qu’il entretient avec nombre d’élus. Ce qui, là encore, n’est pas le cas de M. Trump.

Questionnement : N’y a-t-il pas une hystérie antirusse en ce moment à Washington ?

Vaste question ! La campagne électorale de 2016 a été marquée par le piratage électronique du quartier général démocrate. Ont été ainsi dérobés des milliers de courriels échangés entre la candidate, Hillary Clinton, et son directeur de campagne. Les e-mails ainsi volés ont ensuite été donnés à WikiLeaks, qui les a rendus publics. Certains d’entre eux montraient que Mme Clinton et son directeur de campagne voulaient tout faire pour déstabiliser Bernie Sanders, son concurrent démocrate. Cela donnait une image défavorable de Mme Clinton, qui n’en avait pas besoin puisqu’elle était déjà critiquée pour avoir conservé un serveur privé de courriers électroniques lorsqu’elle était secrétaire d’Etat et pour avoir été grassement payée par Wall Street à l’occasion de deux ou trois conférences.

Il y a eu une enquête des services de renseignement américains pour déterminer qui était à l’origine du piratage. A l’issue de cette enquête, l’ensemble des agences ont rédigé une note désignant des pirates russes comme étant les responsables de l’opération, et soulignant que celle-ci, selon eux, n’avait pas pu être menée sans un feu vert du Kremlin.

Voilà les faits. Après, viennent différentes interprétations. Dans son écrasante majorité, la presse américaine et les élus du Congrès ont accepté la thèse des services de renseignement. Ils ont fait valoir que le président russe, Vladimir Poutine, n’appréciait pas Mme Clinton et lui reprochait notamment d’avoir soutenu l’opposition lors des dernières élections russes. Secrétaire d’Etat du président Obama entre 2008 et 2012, Hillary Clinton avait conduit une politique de grande fermeté à l’encontre de la Russie, notamment dans l’affaire ukrainienne.

A côté de ça, le candidat républicain, Donald Trump, n’a cessé durant sa campagne, de dire du bien de M. Poutine, et de défendre des positions, sur l’Ukraine notamment, favorables à la Russie. A partir de là, certains à Washington restent convaincus d’une ingérence russe dans le processus électoral américain. D’autres ne veulent pas y croire et jugent que la capitale fédérale a développé une sorte de psychose russe parfaitement irrationnelle.

M. Trump y a contribué : il n’a jamais levé la suspicion pesant sur le refinancement de son groupe après sa dernière faillite. En refusant toujours de rendre publique sa feuille d’impôts, il laisse courir toutes les rumeurs sur l’appui de banques russes dont il aurait pu bénéficier. Il participe ainsi lui-même à ce climat de confusion, voire de russophobie, qui serait celui de Washington aujourd’hui.

Axel : Merci beaucoup pour ce live M. Frachon. Du haut de votre longue carrière, que pariez-vous sur l’avenir de Donald Trump ?

Me concernant, je parie sur la fragilité politique de Trump. Je pense qu’il est très perméable à une procédure de destitution. Il y a trop de possibilités de conflits d’intérêts : sa famille est restée à la tête de son groupe alors que sa fille et son gendre sont à la Maison Blanche ; il y a toujours cette question de la déclaration d’impôts ; il y a cette propension à des tweets totalement incontrôlés ; il y a enfin, toujours, l’enquête en cours du procureur spécial.

Tout cela fait beaucoup d’éléments qui fragilisent le président Trump au sein d’un milieu politique où, démocrates et républicains confondus, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dire qu’il n’a pas les qualités requises pour être à la tête des Etats-Unis.