Dans l’usine « piégée » des GM & S, l’attente, « comme des animaux avant l’abattoir »
Dans l’usine « piégée » des GM & S, l’attente, « comme des animaux avant l’abattoir »
Par Charlotte Chabas (envoyée spéciale, La Souterraine)
Depuis le 11 mai, Il n’y a plus de travail dans l’usine GM & S Industry de La Souterraine (Creuse). Les 279 salariés attendent d’être fixés sur leur sort, loin de l’image des « casseurs irresponsables ».
L’entreprise « piégée » de La Souterraine, dans la Creuse. / AFP / PASCAL LACHENAUD | PASCAL LACHENAUD / AFP
C’est beaucoup, 22 000 mètres carrés de silence. Fini les vibrations qui remontent dans tout le corps, le vacarme permanent. Les robots et lasers sont à l’arrêt, comme les gigantesques presses. Même celle de 800 tonnes, qui d’ordinaire lance ses 23 coups à la minute pour produire carters d’huile, bumpers, éléments de plancher, de caisse, châssis, colonnes de direction…
Depuis le 11 mai, il n’y a plus de travail dans l’usine GM & S Industry de La Souterraine (Creuse). Placé en redressement judiciaire en décembre, cet équipementier automobile, sous-traitant des deux principaux constructeurs français, PSA et Renault, pourrait être liquidé le mardi 23 mai par le tribunal de commerce de Poitiers.
La mini-ville s’est vidée de ses habitants. « On a l’impression de la hanter comme des fantômes », dit Thierry, 50 ans, passé en vingt-huit ans d’opérateur à préparateur, puis technicien dans l’atelier. « Alors on attend, comme des animaux avant l’abattoir », lâche Alain, un petit homme à lunettes et cheveux blancs, en se servant son troisième café de la matinée.
Rubicon ouvrier
En cinq mois, les 279 employés n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts pour attirer l’attention sur leur asphyxie économique. Entre 2009 et 2015, sous la houlette d’une succession de patrons voyous ou chasseurs de primes, leur chiffre d’affaires est passé de 40 millions à 26 millions d’euros, faute d’un carnet de commandes suffisamment rempli.
Alors ils ont franchi un Rubicon ouvrier, sabotant leur outil de travail. Devant les caméras, plusieurs salariés se sont relayés au chalumeau pour détruire un élément de presse d’une dizaine de mètres de long, servant à l’emboutissage de carters. Un outil « à 250 000 euros ». « C’est un geste symbolique : ce que l’on a fait aux machines, c’est ce qui risque d’arriver à nos vies et à nos familles », a expliqué Vincent Labrousse, délégué CGT de l’entreprise.
Symbolique, de fait. Dans l’atelier vidé, le bloc ciselé porte encore les saignées du métal fondu. Mais de l’autre côté, le flanc est tout rouillé. « C’était une vieille machine jamais utilisée, on l’a repeinte en vitesse pour donner l’illusion que c’était un outil important de Renault », explique un employé de la maintenance. Lui dit avoir eu « les boules » quand il a entendu certains les traiter « de casseurs irresponsables » :
« On aime nos outils de travail, on est les premiers à en prendre soin au quotidien, mais la France devrait se poser des questions quand on voit que la seule manière d’obtenir de l’attention, c’est de faire le spectacle de la violence. »
« Démarche désespérée »
Dehors, autour d’une cuve de gaz liquide, des bonbonnes de gaz patientent au soleil, reliées à un petit boîtier détonateur, bricolé avec trois bouts de plastique. L’usine est « piégée » ont prévenu les syndicats. « Si on m’avait dit que je devrais faire ça un jour, j’ai eu l’impression d’être MacGyver », plaisante l’un des responsables de la mise en scène. A l’entrée de l’usine, sur une colonne de gaz liquide, une inscription au feutre bleu, griffonnée à même le métal : « On va tout faire péter. »
Leur « démarche désespérée », comme la décrit Christine, cariste de 50 ans, a permis d’attirer l’attention. Depuis, une manifestation de soutien a été organisée, rassemblant plus de 1 500 personnes et deux anciens candidats à l’élection présidentielle, Philippe Poutou (Nouveau Parti anticapitaliste) et Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise).
Manifestation en soutien aux salariés de GM&S à La Souterraine, mardi 16 mai. / AFP / GEORGES GOBET | GEORGES GOBET / AFP
« On se retrouve ensemble »
Enfin, une « lueur d’espoir » pour ces salariés, qui se relaient jour et nuit pour garder leur usine. Sur des bacs de métal, un planning au feutre rouge liste les noms des volontaires. « On est nombreux à venir, même si on n’est pas sur les listes. On se retrouve ensemble, c’est toujours mieux qu’être seul à cogiter chez soi », raconte Michel, qui travaille dans les bureaux. Un poste qu’il sait menacé, même si un repreneur se faisait connaître : « On sera les premiers à sauter. »
En 1997, Michel avait d’ailleurs déjà fait les frais d’un plan social de l’usine. Il avait dû quitter la Creuse, allant même travailler trois ans en région parisienne. Avant que son entreprise soit elle-même rachetée par GM & S, et que son rapatriement soit organisée à La Souterraine. « Une vie de plans sociaux », résume celui qui n’a jamais réussi à entamer des démarches pour acheter un logement. « A quoi bon », balaye-t-il d’un geste de la main. Autour de lui, on s’accroche encore. « Il faut y croire, lance son voisin. A Bercy aussi, ça bouge enfin. »
Assumer ses responsabilités
Vendredi 19 mai, des représentants syndicaux CGT et FO de l’usine doivent être reçus en fin d’après-midi par Emmanuel Moulin, directeur de cabinet du nouveau ministre de l’économie, Bruno Le Maire. « Je vais reprendre deux fois des nouilles pour fêter ça », commente par texto un salarié. On ignore encore si les principaux clients du site, PSA et Renault, seront eux aussi présents à cette entrevue.
Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a affirmé que le sort de GM & S Industry serait une priorité : « Il faut traiter d’urgence cette situation, cette entreprise, ces employés, dans le cadre d’un groupement avec les donneurs d’ordre, les grands groupes automobiles que nous connaissons. [...] Il faut que l’industrie automobile française assume aussi ses responsabilités. »
Les salariés de GM & S promettent aussi d’assumer les leurs. En réunion informelle, mercredi, ils sont revenus sur leur annonce de détruire un outil par jour tant qu’ils n’auraient pas de réponse sur l’avenir du site. « Mais si ça se gâte pour nous, on les démontera nos machines, et chaque salarié repartira avec une pièce à mettre au fond de son jardin », propose Yann Augras, délégué CGT, au micro. « En souvenir ».