Etudier à Paris, ou l’art de jongler avec les bibliothèques
Etudier à Paris, ou l’art de jongler avec les bibliothèques
Par Séverin Graveleau
A Paris, où les places en bibliothèques universitaires sont moins nombreuses qu’ailleurs, réviser ses examens nécessite souplesse et stratégie. Reportage.
Bibliothèque Saint-Geneviève, à Paris. | SG - Le Monde
« Galère », « patience », « stratégie », « jonglage »… les mêmes mots reviennent lorsqu’on demande, par un après-midi de mai, à des étudiants parisiens de raconter comment ils choisissent une bibliothèque pour réviser. Avec une place de bibliothèque universitaire pour quatorze étudiants à Paris, contre une place pour douze étudiants en France et une pour six au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, selon un récent rapport, pouvoir s’y installer aux horaires voulus requiert organisation et astuce. Et de savoir pousser alternativement les portes des BU, des bibliothèques municipales et nationales.
Devant la bibliothèque Sainte-Geneviève (BSG - 5e arrondissement de Paris), Juliette et Jayda, étudiantes en deuxième année de pharmacie à l’université Paris-Sud, se sont accordé une courte pause au soleil pendant leurs révisions. « Ce matin, on m’a refusé l’accès à la bibliothèque universitaire de Paris-VI parce que je n’y suis plus étudiante, raconte Juliette. Alors je me suis dirigée ici, parce que je sais que la bibliothèque publique d’information (BPI) n’ouvre qu’à midi… ». C’est l’an dernier, en première année commune aux études de santé (PACES), qu’elles ont appris à passer d’une bibliothèque à l’autre, en fonction des horaires d’ouvertures ou du temps d’attente avant d’entrer. « Ici c’est plus silencieux, il y a souvent moins de temps d’attente. Mais à la BPI le Wi-Fi fonctionne mieux, il y a une prise électrique par personne, plus d’espace », commente Jayda.
Entrée de la bibliothèque publique d’information (BPI), à Paris. | SG - Le Monde
Espace de concentration
Dans son rapport publié en avril, l’inspection générale des bibliothèques (IGB) indiquait que les bibliothèques doivent aujourd’hui faire face à de nouveaux défis. D’abord une « hausse du nombre d’étudiants » à hauteur de 30 000 à 40 000 étudiants supplémentaires par an dans le supérieur. Mais il pointait aussi du doigt l’ancienneté de certaines bibliothèques, « très souvent peu adaptées au développement des outils numériques ».
Les bibliothèques doivent aussi prendre le virage des nouveaux usages des étudiants. Comme pour Jayda et Juliette, « aujourd’hui les usagers des bibliothèques sont surtout à la recherche d’espace pour travailler avec leurs propres documents. La consultation de documentation sur place comme l’emprunt sont en baisse » explique Christophe Evans, sociologue spécialiste des usages des bibliothèques, et responsable du département études et recherche de la BPI. Les étudiants représentent 63 % du public de la BPI, alors qu’elle n’est pas une bibliothèque « universitaire ». Quand ils visent l’une de ses 2 134 places d’étude, ils recherchent « un espace de concentration, mais un espace qui ne les coupe pas du monde ».
Devant la BPI justement, des étudiants sont en train de faire la queue, très courte en cette fin de période de partiels. Dans quelques jours, les lycéens qui passent le bac viendront à leur tour remplir en nombre la file d’attente (parfois plusieurs heures) qui se crée régulièrement le long de la rue, sous les tuyaux colorés du Centre Pompidou. « Surtout le soir et le week-end », commentent les habitués du lieu. Ils racontent spontanément leurs galères, et leurs astuces, pour réussir à rentrer les jours de grande affluence.
Taux d’occupation
Il y a Jonathan, étudiant en prépa physique chimie au lycée Charlemagne qui essaie toujours, en fin de semaine, d’arriver « après 19 heures, car vers 18 heures ce n’est pas la peine ». Il aime venir ici pour travailler en groupe, même si « on ne trouve pas toujours des places côte à côte ». Et puis il y a Hassani, étudiant de 27 ans en master 1 de mathématiques, qui en « avait marre » de voir plein de gens lui passer devant dans la queue. Alors il a pris l’habitude de « sauter la file » en allant se « mettre devant », comme s’il venait, lui aussi, « retrouver un ami qui a patienté pour [lui] ».
C’est la technique qu’utilisent aussi régulièrement Léonardo et Céleste, deux lycéens de 18 ans scolarisés dans le quartier. Mais « on vient que s’il n’y a pas trop de temps d’attente », commente Léonardo en sortant de sa poche son smartphone encore connecté sur l’application Affluence.
File d’attente de la bibliothèque publique d’information, à Paris. | SG - Le Monde
Créée en 2014 par trois jeunes diplômés ayant eux-mêmes rencontré des difficultés d’accès aux bibliothèques pendant leurs études, cette application téléchargeable gratuitement permet de connaître en temps réel les taux d’occupation et l’attente à l’entrée des bibliothèques grâce à de discrets capteurs placés à l’entrée des établissements. En trois ans d’existence, l’application a été adoptée par la majorité des grandes bibliothèques parisiennes (76 dans Paris intra-muros, 207 en tout en France, Belgique et Suisse). Elle répertorie 17 000 places dans les BU parisiennes, et 5 000 dans les bibliothèques publiques de type BPI, la bibliothèque nationale de France (BNF), etc.
C’est d’ailleurs à la BNF, où sont situés les bureaux de cette start-up, que l’on retrouve deux de ses créateurs. « Paris compte plusieurs centaines de bibliothèques, mais les informations sur les horaires d’ouvertures, les conditions d’accès, la localisation, etc., sont éparpillées, difficilement compréhensibles pour les étudiants. Notre application homogénéise la présentation de cette offre », commente l’un d’eux, Paul Bouzol.
Soir et week-end
Sur leur smartphone les utilisateurs peuvent dorénavant trouver les bibliothèques proches ouvertes, savoir s’ils ont le droit d’y accéder, le pourcentage de places encore disponibles, et des prévisions de fréquentation. Un équivalent du Bison futé des automobilistes, à même « de lisser les taux d’occupation » et de faire découvrir de « nouveaux lieux de révisions moins connus, moins fréquentés ».
Son collègue, Grégoire Tabard, donne l’exemple de la bibliothèque de la Cité des sciences et de l’industrie, à la Villette, dans le 19e arrondissement de la capitale. Ouverte le dimanche, comme seulement trois ou quatre autres, « c’est l’une des plus importantes de Paris en nombre de places », mais elle reste « peu connue ».
Le rapport, en avril, de l’inspection général des bibliothèques recommandait de « doubler le rythme actuel de construction » des BU pour faire face à la saturation de certaines d’entre elles. Sauf que « certaines bibliothèques ne sont jamais saturées, et les autres ne le sont que de manière périodique : le soir en milieu de semaine, les week-ends, pendant les vacances de Noël, etc. », commente Paul Bouzol. « Construire de nouveaux établissements qui ne seraient pas ouverts sur ces périodes ne serait pas judicieux », complète Grégoire Tabard.
Les étudiants rencontrés devant les bibliothèques évoquent presque tous la nécessité d’une extension des horaires d’ouverture. Celle-ci était au cœur du plan Bibliothèques ouvertes, lancé en 2016 par le ministère de l’éducation. Mais l’effort a surtout concerné les villes universitaires hors Ile-de-France. Grégoire Tabard illustre : « Ce soir à 21 heures par exemple, un étudiant lyonnais aura potentiellement accès à trois mille places de lecture en bibliothèque, contre deux mille s’il est parisien. » Et ce, alors que Paris compte quatre fois plus d’étudiants que Lyon.