Affrontements entre les manifestants et les forces armées, à Caracas (Venezuela), le 20 mai. | FEDERICO PARRA / AFP

Alors que les manifestations se succèdent à Caracas et en province, le président vénézuélien, Nicolas Maduro, a chargé l’armée de réprimer l’opposition dans l’Etat de Tachira, dans la région andine. Deux mille agents de la garde nationale (gendarmerie) et 600 militaires des opérations spéciales y ont été envoyés en renfort. Des milices formées par des civils armés pourraient participer au maintien de l’ordre.

Le 17 mai, le ministre de la défense, le général Vladimir Padrino Lopez, a justifié le déploiement du « plan stratégique spécial civico-militaire Zamora » par une attaque contre une caserne et deux commissariats, qui a blessé plusieurs agents ou officiers, et par des pillages à San Cristobal, la capitale de cet Etat réputé rebelle. A en croire M. Padrino Lopez, la « campagne de déstabilisation » organisée par les opposants « est devenue une situation de subversion intérieure qui frise déjà l’insurrection armée ». Selon lui, l’opposition « veut transformer le Venezuela en une autre Syrie et Tachira en un autre Alep ». Il assure que les forces armées « n’emploient ni armes létales, ni fusils, ni pistolets, ni mitrailleuses ».

Selon le ministre de la défense vénézuélien, l’opposition « veut transformer le Venezuela en une autre Syrie et Tachira en un autre Alep »

Cependant, la moitié au moins des victimes de la répression, à Caracas et en province, ont été tuées par balles, selon une enquête du site d’information indépendant Efecto Cocuyo. Des photos de « collectifs », ces groupes paramilitaires chavistes qui s’en sont pris à des opposants, montrent qu’ils disposent d’armes de guerre et de gilets pare-balles utilisés par les forces de sécurité. Certains manifestants ont été touchés mortellement par des grenades lacrymogènes tirées à l’horizontale par la garde nationale ou la police. Selon des chiffres officiels, on déplore une cinquantaine de morts depuis début avril. Lors des manifestations de 2014, on avait enregistré 43 morts en quatre mois.

La militarisation est croissante. Au moins 275 manifestants appréhendés à Caracas et en province ont été déférés devant des tribunaux militaires, selon le Forum pénal vénézuélien, un réseau d’avocats qui défend les détenus politiques. Human Rights Watch rappelle que les civils ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires. Ni la Constitution vénézuélienne ni le droit international ne l’autorisent.

Pénuries d’aliments et de médicaments

La militarisation est aussi notable au sein du gouvernement national – un tiers des ministres sont des officiers d’active ou de la réserve –, à la tête des Etats de la fédération ou des entreprises publiques. Des gradés contrôlent le métro de Caracas, le secteur électrique, la production d’aluminium, de fer et d’acier. La garde nationale et les forces armées sont impliquées dans les trafics d’armes et de stupéfiants, la contrebande et la fraude au contrôle des changes, une des principales sources d’enrichissement illicite. Le ministre de l’intérieur, le général Nestor Reverol, lui, est sous le coup de sanctions de Washington pour narcotrafic.

Face aux pénuries d’aliments et de médicaments, 18 généraux ont été désignés en 2016 pour veiller sur la production, l’importation et la commercialisation de chacun des produits essentiels, ce qui a eu pour effet de susciter de nouveaux trafics. Chargé d’une « grande Mission approvisionnement souverain et sûr », placée au-dessus des ministères et des organismes publics, le général Padrino Lopez est devenu la principale autorité de l’Etat après le président de la République. « La militarisation s’est accentuée depuis la succession de l’ancien président Hugo Chavez par un civil, Nicolas Maduro, en 2013 », souligne Francine Jacome, directrice de l’Institut vénézuélien d’études sociales et politiques.

Les personnels militaires frôlent le demi-million d’individus, sur les 3 millions de fonctionnaires et d’employés d’entreprises publiques, selon la section vénézuélienne de Transparency International. La montée en puissance des forces armées a entraîné leur politisation et leur alignement avec le chavisme, ainsi que l’affaiblissement des institutions et de l’Etat de droit. Au lieu de préserver le « monopole de la force », les militaires ont accepté l’appoint de milices pour le maintien de l’ordre et le contrôle de territoires.

La loyauté des gradés a été récompensée

Dans les « collectifs », la frontière entre politique et délinquance s’estompe. Les forces armées ont consenti à être surveillées par les services secrets cubains, présents y compris au sommet de l’Etat, dans la garde rapprochée de M. Maduro. Depuis 2010, la police politique, le Service bolivarien de renseignement (Sebin), a été placée sous la coupe d’un officier de l’armée. « Le renseignement militaire et le Sebin agissent en marge de la loi », estime Mme Jacome.

Dès 2013, les militaires ont été dotés d’un socle économique : la banque Banfanb, la société Emiltra pour le fret aérien, maritime et terrestre, l’entreprise Agrofanb pour l’agriculture, et, cerise sur le gâteau, une chaîne de télévision. En 2016, la loyauté des gradés a été récompensée avec la création de la Compagnie anonyme militaire d’industries minières, pétrolières et gazières (Camimpeg), destinée à profiter de la nouvelle zone de développement du Venezuela, l’Orénoque, avec ses réserves d’hydrocarbures et son « arc minier ».

En mars, la Camimpeg a signé un premier accord avec PDVSA, l’entreprise pétrolière d’Etat. Au mois de janvier, la Cour suprême avait éliminé toute possibilité pour la Cour des comptes de s’intéresser aux organismes dépendant du ministère de la défense. « L’unité civico-militaire » de M. Maduro repose sur des affaires juteuses.