78e Congrès de l’UNEF en 2003 à Lyon. De gauche à droite, la secrétaire générale Tania Assouline, le président Yassir Fichtali et le président de l’Association générale étudiante de Lyon, Bruno Julliard. | PHILIPPE MERLE / AFP

C’est une photo qui n’existe pas. Mais l’image est dans la mémoire de tous les anciens « camarades » qui ont milité à l’UNEF au début des années 2000 jusqu’au mouvement contre le Contrat nouvelle embauche (CPE) en 2006. Se succédant à la tribune de l’amphithéâtre bondé de la rue Cuvier à Paris, de jeunes pousses militantes prennent la parole dans l’atmosphère moite du collectif national, le parlement du syndicat étudiant, qui se réunit tous les trimestres environ. Chacun représente une tendance de l’organisation de jeunesse.

Mathieu Hanotin, Bruno Julliard, Caroline De Haas et Nadjet Boubekeur pour la majorité nationale, proche d’Henri Emmanuelli. Sibeth Ndiaye pour la « tendance refondation syndicale », la minorité strauss-kahnienne. Fanélie Carrey-Conte représente, elle, la « tendance transformation sociale » des anciens rocardiens proches de Benoît Hamon, quand Antoine Pelletier et Julien Salingue donnent de la voix pour les trotskistes de la « tendance tous ensemble »… Dans la salle, les militants – dont l’auteur de ces lignes – assistent avec gourmandise aux joutes sur l’allocation d’autonomie, la lutte contre l’extrême droite, l’opportunité de lancer un « mouv’» à la rentrée ou encore la Palestine.

Plus de dix ans après, tous ces cadres ont joué un rôle clé dans la campagne présidentielle de 2017, aussi bien au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qu’au Parti socialiste (PS) ou à En marche !. Mathieu Hanotin, député (PS) de Seine-Saint-Denis, codirigeait la campagne de Benoît Hamon dont Nadjet Boubekeur était responsable presse. Fanélie Carrey-Conte, députée socialiste de Paris, soutenait également le candidat issu de la gauche du PS, comme nombre d’anciens de l’UNEF. Antoine Pelletier et Julien Salingue comptaient parmi les rouages essentiels de la campagne de Philippe Poutou. Lors du débat télévisé du 4 avril, on a d’ailleurs vu l’ouvrier de chez Ford prendre conseil auprès de M. Salingue.

« Le syndicalisme étudiant est la meilleure école de formation qui existe », explique Frédéric Vigouroux

Quant à Sibeth Ndiaye, elle était chargée des relations presse d’Emmanuel Macron durant la campagne et est devenue la chef du service de presse de l’Elysée après l’élection de l’ancien énarque. Son rôle fut notamment remarqué dans le documentaire de Yann L’Hénoret, Emmanuel Macron, les coulisses d’une victoire, diffusé le 8 mai, au lendemain de la victoire du candidat d’En marche !, sur TF1.

« J’ai assisté à tous les meetings des candidats de gauche, et je connaissais des gens de Macron à Poutou », raconte Frédéric Vigouroux, ancien membre du bureau national entre 2001 et 2008, aujourd’hui conservateur des bibliothèques, vivant en Martinique. Ancien fabiusien de la « sensibilité Démos », il a fait la campagne de Jean-Luc Mélenchon en continuité de son « engagement mitterrandiste ».

« On a plus de résistance que les autres »

M. Vigouroux n’est pas étonné de voir ses anciens camarades essaimer dans un large spectre politique. « Je m’y attendais, l’histoire de l’UNEF le montre : on retrouve des anciens à un moment ou à un autre, souligne-t-il. Le syndicalisme étudiant est la meilleure école de formation qui existe. On sait animer une réunion, rédiger un tract, organiser des équipes de collage… Et surtout on sait proposer une ligne et la tenir. » Une véritable « ENA buissonnière », comme le résument certains « camarades ».

« Les partis politiques ont besoin de gens ancrés dans le réel. Par rapport à ceux qui sortent des grandes écoles, on apporte plus de diversité. On a aussi plus de résistance physique et morale que les autres », complète Nadjet Boubekeur.

10 juin 2006, Etats généraux de lajJeunesse. A gauche de la tribune,  Caroline De Haas représente l’UNEF. | JEAN AYISSI / AFP

« On apprend à être mobile et efficace, à créer des dynamiques. L’UNEF m’a formée à penser le monde dans lequel je suis. Ça t’apprend à faire de la politique, à comprendre les rapports de force », souligne de son côté Caroline De Haas. Ancienne dirigeante de l’organisation étudiante, elle contribue à lancer en 2009 l’association Osez le féminisme.

En 2016, Mme De Haas fut à l’origine de la pétition contre la loi travail qui a réuni 1,3 million de signatures. Après avoir dirigé la campagne de Cécile Duflot lors de la primaire d’EELV, elle se présente « dans une démarche citoyenne » soutenue par plusieurs formations de gauche, dans la 18e circonscription de Paris face notamment à Myriam El Khomri, investie par le PS.

« On a dû fédérer »

« On a tous été nourris par la lecture de Génération d’Hervé Hamon et Patrick Rotman. Il y avait déjà plein d’anciens de l’UNEF qui avaient eu des parcours comme ça… La probabilité que des gens fassent des choses en politique et dans le journalisme est plus forte dans cette population », explique Yassir Fichtali, qui fut président du syndicat entre 2001 et 2005.

S’il n’est pas connu du grand public, M. Fichtali a un rôle essentiel pour comprendre le succès de cette « génération CPE » qui s’est engagée à la fin des années 1990 et qui a quitté le militantisme étudiant après sa grande victoire politique : le retrait du CPE après plusieurs semaines de mobilisation.

Elu à la tête de l’UNEF-ID (proche du PS) en 2001, il pilotera la même année la réunification avec l’UNEF-SE (proche du PCF). Cela conduira le syndicat à rompre la forte tutelle qui le reliait au parti de la rue de Solférino, même si des liens importants ont subsisté au sein de la direction du syndicat. « Avec la réunification, on a dû fédérer à gauche et chez les progressistes. C’était plus ouvert qu’avant », rappelle M. Fichtali qui est désormais directeur de la communication du groupe Up (anciennement groupe Chèque Déjeuner).

« Cette génération est née de l’émancipation vis-à-vis de Julien Dray [alors un des chefs de la gauche socialiste, il exerçait un contrôle politique très fort de la majorité de l’UNEF-ID et de SOS Racisme] et dans le fait de se construire de façon autonome en refusant les tutelles et les magouilles à l’ancienne. On était moins organiquement liés au PS », se souvient Xavier Vuillaume. Ce médecin de 42 ans, est directeur adjoint du cabinet d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris. Son référent direct est Raphaël Chambon, directeur de cabinet de la maire, ancien dirigeant de l’UNEF à l’époque où le président était Bruno Julliard, aujourd’hui premier adjoint. Le monde unéfien est décidément minuscule.

Eparpillement

M. Vuillaume a été un témoin privilégié de l’émergence de cette génération – « je suis un peu leur papa », lâche-t-il dans un rire. Il a accompagné la réunification des deux UNEF. « On est tous restés fidèles à nos valeurs, personne ne nous fait honte », confesse encore M. Vuillaume.

Sibeth Ndiaye, le 8 mai. Chef de file du courant strauss-khanien de UNEF, elle a été en mai un rouage essentiel de la campagne victorieuse d’Emmanuel Macron. | CHARLES PLATIAU/AFP

« On est tous restés sur la ligne que l’on avait il y a quinze ans. Soit réformiste, soit contestataire, l’UNEF arrivait à centraliser tout ça. On est restés dignes. On s’est répartis sur ce qui constitue la société militante », abonde Emilie Trigo, 35 ans. Ancienne membre de la tendance strauss-kahnienne, elle est aujourd’hui secrétaire nationale à l’UNSA. Elle n’est pas étonnée du choix politique de son ancienne référente, Sibeth Ndiaye, qui a quitté le PS pour rejoindre En marche !. « Elle est partie dès le début, c’est respectable comme pari », estime-t-elle.

Il n’empêche. L’éparpillement des anciens camarades dans diverses formations « dit beaucoup de choses sur l’état actuel du PS », incapable d’être hégémonique à gauche note encore M. Vigouroux. « En 2007, les débats de la primaire socialiste se faisaient dans les couloirs des collectifs nationaux. Des cadres politiques qui ont commencé au PS sont aujourd’hui dans des formations différentes », s’étonne-t-il.

« Ce qui fonctionne encore entre nous, c’est la solidarité, on s’est beaucoup entraidés », dit Nadjet Boubekeur

Un autre point commun réunit tout ce petit monde. Il est géographique. C’est la Seine-Saint-Denis. Sibeth Ndiaye, Mathieu Hanotin, Emilie Trigo, Yassir Fichtali, Xavier Vuillaume, Nadjet Boubekeur… Eux et d’autres figures du syndicat étudiant ont milité dans le département de la petite couronne où ils vivent depuis plusieurs années.

« Ça s’est fait un peu par hasard, vers 2005. Plusieurs d’entre nous commencent à bosser. On est des jeunes normaux, on doit construire notre vie hors de Paris à cause de la pression immobilière. On s’installe en Seine-Saint-Denis, qui est un territoire cosmopolite, jeune et dynamique. Ça nous ressemble », raconte Mathieu Hanotin, qui se représente aux législatives dans la 2e circonscription de Seine-Saint-Denis.

Mathieu Hanotin, le 9 mai. Proche de Benoît Hamon, il codirigea sa campagne présidentielle. | JACQUES DEMARTHON / AFP

C’est autour de lui notamment que se fait « la migration » de beaucoup d’entre eux. En 2008, il est investi « un peu par hasard » sur un canton donné « comme imprenable ». Toute une bande s’engage pour aider le « camarade » Hanotin, notamment Sibeth Ndiaye, qui n’appartient pourtant pas à la même tendance. Et ça marche. Le jeune politique prend le canton de l’Ile-Saint-Denis au PCF et permet au PS de ravir le conseil général.

« Ce qui fonctionne encore entre nous, c’est la solidarité, on s’est beaucoup entraidés, décrypte Nadjet Boubekeur. Quand on arrivait quelque part, on aidait les autres, on se donnait des infos, on faisait passer les CV… » Le petit groupe ne se contente pas de militer ensemble, de véritables liens se sont tissés entre eux – malgré les divergences politiques. Certains ont fondé des familles avec d’autres camarades, ils partent en vacances ensemble et se voient toujours beaucoup.

La petite troupe tape dans l’œil de Claude Bartolone qui devient président du conseil général et nomme M. Hanotin vice-président. Au sein de son cabinet, M. Bartolone fait ensuite venir Mme Ndiaye, bientôt rejointe par Nadjet Boubekeur.

« Ils avaient du talent !, explique aujourd’hui le président de l’Assemblée nationale. Je ne les avais jamais vus avant. Quand vous tombez sur des jeunes qui ont quelque chose en plus, il faut leur donner une chance. » Quitte à faire de la place sur la nouvelle photo de la gauche.