Le réalisateur suisse Barbet Schroeder à Cannes, le 20 mai 2017. | STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Sélection officielle – séance spéciale

Sans nécessairement connaître de près le boud­dhisme, on pouvait avoir l’impression que cette religion sans dieu échappait à la maladie de la vérité et de l’intolérance qui ravage plus ou moins sourdement une grande partie des monothéismes constitués. Hélas, à compter d’aujourd’hui, tous ceux qui découvriront le nouveau documentaire-choc du réalisateur suisse Barbet Schroeder devront se départir de cette impression, et partant du réconfort qu’elle exerçait sur nous en ces temps de remontée sévère des fondamentalismes. Tandis que se poursuit au Centre Pompidou jusqu’au 11 juin la rétrospective qui lui est consacré, Barbet Schroeder – compagnon de route de la Nouvelle Vague, fondateur des Films du Losange, auteur d’une œuvre passionnante obsédée par les mécanismes de la domination – est donc l’invité du Festival de Cannes avec Le Vénérable W., qui sortira sur les écrans le 7 juin.

Un mouvement qui, tout en se réclamant du bouddhisme, prospère en professant ouvertement la haine et l’exclusion

La meilleure genèse de cet excellent travail, c’est encore le cinéaste qui la donne dans un petit film de commande réalisé pour le Centre Pompidou, dans lequel il explique qu’une grande colère l’a saisi en constatant que la forêt qui avait vu passer sa jeunesse et ses premiers amours avait été victime d’un incendie criminel. Un sentiment de haine, explique-t-il dans ce court-métrage, l’a étreint pour la première fois, dont le bouddhiste qu’il est depuis l’âge de 20 ans a voulu aller chercher le fin mot aux origines de ce mouvement, à Mandalay, en Birmanie. L’ironie de l’histoire, ou « l’entourloupe du sort », selon son expression, est que, venu s’apaiser à la source de la sagesse pacificatrice, il y fait la rencontre d’un mouvement qui, tout en continuant à se réclamer du bouddhisme, prospère en professant ouvertement la haine et l’exclusion.

Une scène du documentaire français de Barbet Schroeder, « Le Vénérable W. ». | LES FILMS DU LOSANGE

Sinistre tableau

Cette doctrine a un nom et un visage, ceux du moine bouddhiste Ashin Wirathu, 48 ans, qui a entrepris depuis 2001 à la tête du mouvement nationaliste et islamophobe 969 (chiffre qui énumère les trois joyaux du bouddhisme) d’éradiquer la population musulmane de la surface du pays. La flambée délirante qu’attise ce maître à haïr plutôt qu’à penser est d’autant plus notable et intrigante que l’islam regroupe 5 % de la population birmane et le bouddhisme 90 %. Nonobstant, sous l’action inlassable de ce petit homme souriant et opiniâtre dont l’emprisonnement n’a fait qu’amplifier la popularité, campagnes de diffamation et de boycott, pogroms, incendies et assassinats ne cessent plus de frapper, depuis 2012, les musulmans birmans. Plus grave, le pouvoir en place – dominé en dépit de la présence d’Aung San Suu Kyi par la junte militaire –, à l’origine hostile aux remous causés par le mouvement, s’est laissé gagner par sa force de frappe, l’encourageant par la passivité des forces de police et par la promulgation de lois racistes.

Sinistre tableau, dont le film rend compte de manière efficace, entremêlant des matériaux très divers. Entretien avec Ashin Wirathu, images extraites de ses sermons, recours aux archives et à la propagande de son mouvement, vidéos d’amateurs témoignant des exactions exercées à son initiative, voix off féminine recadrant les arrangements du maître avec la réalité, interventions de spécialistes et de moines bouddhistes expliquant la véritable nature de cette idéologie. La haine en paroles et en actes, pénible mystère universellement partagé.

Le Vénérable W. bande annonce officielle

Documentaire français de Barbet Schroeder (1 h 47). Sortie en salles le 7 juin. Sur le Web : www.filmsdulosange.fr/fr/film/235/le-venerable-w