On a retrouvé… Denilson, l’ancien plus gros transfert de l’histoire du football
On a retrouvé… Denilson, l’ancien plus gros transfert de l’histoire du football
Par Léo Ruiz (Sao Paulo, envoyé spécial)
Champion de monde en 2002, Denilson, passé par Bordeaux, est aujourd’hui commentateur télé et intervenant pour une entreprise de conseil à Sao Paulo. Là où tout a commencé.
Denilson dans le quartier Vila Leopoldina, à l’ouest de Sao Paulo. | Leo Ruiz
Après deux contrôles d’identité, un homme en costume noir se présente droit sur son Segway et invite à le suivre. Les tours A, B, C et D, d’une bonne dizaine d’étages chacune, forment un demi-cercle, au milieu duquel des employés passent des coups de fil le long d’un bassin artificiel. L’homme mène au fond du complexe, jusqu’à la vila 43. Celle d’Insperiência, l’une des centaines de start-up installées là, dans le quartier Vila Leopoldina, dans l’ouest de Sao Paulo.
Pendant que six salariés pianotent sur leurs MacBook, Paola Guarana, la responsable de la communication, mène à l’étage et offre un café dans la petite salle de réunion. Sur les murs, deux cadres donnent l’ambiance : « Ce qui ne te défie pas ne te transforme pas » et « Notre mission : inspirer des personnes à travers des expériences de vie ». « Insperiência a déjà trois ans, précise Paola. C’est une boîte d’éducation et de conseil, principalement pour des entreprises, s’appuyant sur des conférences et des interventions d’experts. Denilson est l’un d’eux. »
Justement, l’ancien Girondin (2005-2006) arrive, un pull gris sur les épaules, désolé pour les « quatorze minutes de retard ». « Il y a beaucoup de travail ici, pose-t-il d’entrée. Mais c’est une super équipe. Je vais dans les entreprises, je participe à des repas, je parle de mon vécu de footballeur de haut niveau. » Une activité qui lui plaît et dans laquelle il semble s’investir à fond. « Là, on vient de conclure une affaire avec une marque de voitures. On a réussi à signer un contrat malgré la situation économique difficile du Brésil. Depuis que j’ai laissé de côté la radio pour me consacrer exclusivement à la télé, j’ai plus de temps à consacrer à cette entreprise et à mes enfants. »
Depuis 2010 et la fin officielle de sa carrière, Denilson est la vedette de Rede Bandeirantes, une chaîne de télé qui met le paquet sur le sport. « Au début, j’y allais une fois par semaine. Puis deux, puis trois. Aujourd’hui, j’y suis tous les jours du lundi au vendredi, de 10 heures à 13 heures, et avant j’enchaînais même avec la radio jusqu’à 16 heures. » Si la première année de sa nouvelle vie a été « difficile », la faute à son caractère trop jovial – « c’est bien de faire rire, mais il faut aussi être sérieux et cohérent dans l’analyse » –, Denilson de Oliveira Araujo a réussi à gagner en crédibilité et se faire sa place sur le plateau TV. Au point de cartonner sur les réseaux sociaux. « J’ai 2,5 millions de followers sur Twitter ! s’exclame-t-il. Ici, l’équipe d’Insperiência cherche aussi les meilleurs chemins pour arriver à mes fans. Les nouvelles technologies sont d’excellents outils de communication. »
Depuis 2010 et la fin officielle de sa carrière, Denilson est la vedette de Rede Bandeirantes, une chaîne de télé brésilienne. | Léo Ruiz
Homme moderne, le champion du monde 2002 a réussi sa reconversion, après une carrière qui n’a jamais décollé comme le démarrage en trombes le laissait espérer, mais dont il reste très fier. « Je remercie Dieu tous les jours pour m’avoir donné le don de jouer, clame l’évangéliste. Soixante-cinq pour cent des Brésiliens gagnent moins de 3 000 reais (environ 900 euros) par mois. Ma vie à moi est confortable. » Comme presque tous les joueurs de sa génération, son premier contact avec le ballon a eu lieu sur un terrain en terre, dans un quartier humble. C’était à Diadema, dans la banlieue sud de Sao Paulo. « J’avais 11 ans et je jouais face à des gars de 15 ans, rembobine-t-il. C’est comme ça que tu apprends à ne pas avoir peur du un contre un, qui a toujours été ma grande spécialité. Aujourd’hui, les gamins passent tous par des écoles de foot. Je ne dis pas que c’est mauvais, mais disons qu’on ne t’enseigne pas vraiment la provocation, la vraie… »
Pour Denilson, roi du passement de jambes, la rencontre avec le monde professionnel est précoce. « J’avais 16 ans quand j’ai débuté avec le Sao Paulo FC. En quatre ans, ma vie a changé. Imaginez : le Mondial de 1994 aux Etats-Unis, je l’ai regardé à la télé chez mes parents. En 1998, je disputais la Coupe du monde en France. » La révélation internationale a lieu en 1997 sous le maillot jaune et bleu de la Seleçao. Il y a les victoires en Copa America en Bolivie et en Coupe des confédérations en Arabie saoudite, où le jeune espoir brésilien enchaîne les entrées fracassantes. Mais le déclic a surtout lieu lors du tournoi de France, celui du coup franc exceptionnel de Roberto Carlos qui a laissé Fabien Barthez cloué sur place. « J’étais en pleine forme à ce moment-là. J’entrais et je changeais les rencontres. Je me souviens qu’après un match fou contre l’Italie à Gerland [3-3], le père de Maldini, qui était sélectionneur, avait demandé qui était ce jeune prodige. »
Pour Denilson, qui se définit lui-même comme « très Brésilien », les Coupes du monde 1998 et 2002 sont les plus beaux moments de sa carrière. Lors de France 98, il est la doublure de Bebeto et le plus jeune joueur du groupe de Mario Zagallo. Un groupe plein de talents, mais pas épargnés par les pépins physiques. « On perd Romario, une de nos références, quelques semaines avant le début du Mondial. Mais le gros coup dur, c’est l’affaire Ronaldo juste avant la finale. On a perdu la concentration. Il y avait pourtant des joueurs expérimentés : Taffarel, Dunga, Cafu… Mais même eux ont eu du mal à gérer la situation. Ceci dit, même avec un Ronaldo à 100 %, on aurait perdu cette finale. La France méritait sa victoire. »
Ronaldo s’amuse avec Denilson lors de la Coupe du monde 1998 en France. | THOMAS COEX / AFP
Cet été-là de 1998, Denilson devient le joueur le plus cher de l’histoire en signant au Betis Séville. Pourtant, lui pensait rejoindre le FC Barcelone de Rivaldo et Sonny Anderson. « Toutes les grandes équipes d’Europe avaient fait une offre pour moi, assure l’intéressé. Mon agent m’annonce que le Barca a proposé 12 millions de dollars et que Sao Paulo est d’accord. Mais à peine deux jours plus tard, le Betis en offre 32 millions. C’était évidemment impossible à refuser. »
Les premiers pas en Espagne de la pépite brésilienne, alors âgée de 20 ans, sont plus compliqués que prévu. On attend trop de l’ailier gauche, en difficulté dans un football complètement différent. « Mon transfert est encore aujourd’hui le deuxième le plus cher de l’histoire de Sao Paulo, juste après celui de Lucas au PSG. Ce prix exorbitant pour l’époque est vite devenu un problème. Je devais tirer le corner et marquer le but moi-même. En plus, le football brésilien est plus lent. Moi, j’avais l’habitude de dribbler cinq, six joueurs. En Espagne, tu ne peux pas, ça va beaucoup plus vite, il faut lâcher le ballon avant. J’ai mis du temps à le comprendre. C’est Alexis [Trujillo, milieu de terrain] qui m’a beaucoup aidé à simplifier mon jeu. »
Deux ans après le plus gros pari de son histoire, le Betis est relégué en deuxième division. Denilson est prêté six mois à Flamengo, le club le plus populaire du Brésil, pour rester visible et ne pas perdre sa place en sélection. Mais c’est cette fois loin des terrains que les affaires se compliquent. « On voulait investir au Brésil, explique l’ancien joueur. Au moment de l’achat d’un terrain, mes parents m’appellent et me disent qu’il n’y a pas assez de fonds sur mon compte, ce qui paraissait impossible. Depuis mon transfert au Betis, c’est mon agent qui gérait la partie financière. Il nous avait trompés… » Alors, Denilson promet à ses parents de redoubler d’efforts.
De retour en Andalousie, il bénéficie de la confiance du président, Manuel Ruiz de Lopera – « on avait une relation père-fils » –, et de Luiz Felipe Scolari, le nouveau sélectionneur brésilien, qui en fait un titulaire lors de la Copa America de 2001, en Colombie. La campagne de la Seleçao est un échec (élimination en quarts contre le Honduras), mais Denilson marque deux fois en phase de groupes et gagne sa place pour la Corée du Sud et le Japon. « Ça m’a relancé à tous les niveaux, glisse-t-il. Jouer pour le Brésil te donne une visibilité. Ça a fait venir des sponsors et m’a permis d’améliorer mon contrat avec le Betis. »
Second couteau en attaque et champion du monde au côté du trio Rivalo-Ronaldinho-Ronaldo, Denilson a vécu les dernières heures de ce Brésil surdoué et souriant. C’était avant l’explosion d’Internet, des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux. « Les trois attaquants de 2002 ne se rendaient pas compte de ce qu’ils étaient. Dans le vestiaire, c’était des gars simples, qui ne revendiquaient rien, presque timides parfois. A l’époque, on discutait tranquillement avec les journalistes en sortant de l’entraînement. Aujourd’hui, il te faut presque dix intermédiaires pour réussir à parler à Neymar. Mais c’est normal, la presse est parfois méchante, il faut les protéger. »
Denilson présenté par le président des Girondins de Bordeaux, Jean-Louis Triaud, le 23 août 2005. | PATRICK BERNARD / AFP
Après avoir atteint le Graal avec son pays, la carrière de Denilson ne décolle toujours pas. Embêté par son genou, sa « relation d’amour » avec le Betis se termine en 2005, après une victoire en Coupe du roi. Direction Bordeaux, alors entraîné par Ricardo. « Pour me convaincre, Jean-Louis Triaud m’a dit d’appeler Savio, qui avait été prêté aux Girondins par le Real Madrid [2002-2003]. Je l’ai fait, et Savio m’a dit de foncer. A Bordeaux, j’étais traité comme le champion du monde de 2002. C’est exactement ce dont j’avais besoin après ces derniers mois difficiles à Séville. »
De Bordeaux, l’ailier garde en tête Darcheville – « il avait tout d’un Brésilien » –, une « super saison » et un regret : « Ne pas avoir prolongé. » Inquiet pour son genou, le Brésilien privilégie les finances au sportif. Sa fin de carrière est celle d’un globe-trotter des coups financiers : l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, la Grèce et même le Vietnam, où il ne disputera qu’un seul match. « C’était en 2009, j’avais très mal aux genoux, mais le niveau était tellement faible que ça pouvait passer. Le président m’a supplié de jouer au moins un match. J’ai pris des anti-inflammatoires toute la journée, je n’ai presque pas couru, mais le président m’a dit que j’avais été exceptionnel. »
Un matin de 2010, après une nuit sans trouver le sommeil, Denilson appelle ses parents pour leur annoncer sa décision : il arrête. Pour mieux rebondir. Après un début de projet avorté avec les jeunes du Betis, Rede Bandeirantes le convainc de devenir le commentateur télé qu’il est encore aujourd’hui. « Pour un très bon contrat, sourit-il. C’est très dur d’arrêter le foot, surtout à cause d’une blessure. On attendait peut-être plus de moi, mais je crois avoir bien rempli ma mission dans mon couloir gauche. Encore aujourd’hui, je suis reconnu pour ça au Brésil, et ça fait plaisir. D’autres ont été oubliés. – »