Joshua and Benjamin Safdie, le 25 mai à Cannes. | STEPHAN VANFLETEREN POUR LE MONDE

« Good Time » – Sélection officielle – En compétition

Il faudrait inventer un compteur capable de mesurer l’énergie que dégage un film. Rien que pour le plaisir de le voir exploser pendant la projection de Good Time. Jusqu’ici metteurs en scène plutôt intimistes des marges new-yorkaises, Josh et Benny Safdie n’ont pas abandonné ce territoire.

Pour leur quatrième long-métrage de fiction, ils le parcourent autrement, à un train d’enfer, sur les pas de Connie (le meilleur rôle de Robert Pattinson à ce jour), un gentil garçon qui détruit les existences de tous ceux et celles qui ont le malheur de croiser son chemin.

A ceux qui croyaient que la hausse du prix du pied carré et la sophistication des techniques de maintien de l’ordre avaient ravalé New York au rang de décor pour comédies romantiques, les frères Safdie démontrent que la ville est aussi fertile qu’au temps d’Un après-midi de chien, le film qu’avait tourné Sidney Lumet en 1975, avec Al Pacino.

La course folle de Connie à travers le Queens – le moins filmé de tous les boroughs new-yorkais – éclaire brutalement les existences banales qu’elle fait voler en éclats.

Cavale

Grand-mère haïtienne, honnête salarié venu d’Afrique de l’Est, fille de bonne famille, les quilles de ce jeu violent font aussi une galerie de portraits d’une précision presque documentaire. Mais ça, on se le dira plus tard, une fois les lumières revenues. En attendant, il faut s’accrocher à son fauteuil.

Avant le générique, on découvre un garçon au visage fermé face à un thérapeute. Nick (Benny Safdie, qui, non content d’être acteur dans son propre film, en est aussi l’un des ingénieurs du son), souffre manifestement d’un trouble psychiatrique voisin de l’autisme ; il est aussi malentendant. Il tente de répondre aux questions patelines du psychologue jusqu’à ce qu’un beau jeune homme passe la tête par la porte et interrompe grossièrement l’entretien.

Connie a d’autres idées sur l’avenir de son frère qu’un placement dans une institution spécialisée. Il se verrait bien avec lui dans une ferme, loin de tout. Et pour y arriver, il l’entraîne à sa suite dans une banque, que les deux garçons, masqués, braquent.

C’est le début d’une cavale au long de laquelle tout ce qui peut tourner mal tournera mal. Nick ne suit pas le rythme effréné imposé par son frère et se retrouve à Rikers Island, la terrible prison dans laquelle les détenus new-yorkais en attente de jugement sont entassés.

Pulsation nocturne

Pour l’en faire sortir, il vient à Connie les pires idées du monde : d’abord, se servir de la carte de crédit de la mère de sa petite amie, une quadragénaire dont l’état psychiatrique est limite (Jennifer Jason Leigh, qu’on aurait aimé voir un peu plus longtemps) ; puis récupérer un butin abandonné par Ray (Buddy Duress), un comparse de rencontre – et il serait dommage de révéler comment il le rencontre – en abusant des bonnes grâces de Crystal (Taliah Webster), une adolescente qu’il a embobinée.

On passe des couloirs d’un hôpital à l’intérieur émouvant d’une vieille dame (la grand-mère de Crystal), d’un fast-food à un parc d’attractions. A chaque fois qu’une de ses combines tourne mal, Connie en lance une autre, aux conséquences potentielles encore plus désastreuses.

La majeure partie de Good Time est filmée de nuit, et l’image de Sean Price Williams capte la pulsation nocturne, les reflets des écrans et des enseignes comme elles brillent aujourd’hui (pas de nostalgie du néon, ici, un visage peut être éclairé par un téléphone portable, une pièce par une lampe LED).

La bande-son elle aussi tourne le dos aux habitudes. Composée par le musicien électro Oneohtrix Point Never sur un mode qui oscille entre la prophétie de malheur et la rêverie, elle parfait la sensation de cauchemar éveillé qui finit par envahir le film.

Pattinson, ange de la mort

Ce format – la nuit de toutes les catastrophes – a été éprouvé maintes fois dans les rues de New York, à commencer par Martin Scorsese, qui présenta After Hours en compétition à Cannes en 1985. Les frères Safdie y apportent une sensibilité très particulière, tout en respectant les règles – rapidité, violence, humour.

Mais aussi ridicules que soient les personnages – Ray par exemple est dépourvu du moindre instinct de conservation, de la moindre intelligence des situations, une bêtise que Buddy Duress incarne avec une grande intelligence comique –, ils sont tous traités avec attention et affection. Regardez cette vieille patiente dans la chambre de laquelle se cache un fugitif : elle n’a fait que passer à l’écran, mais pourtant à la fin de la projection, on se souviendra de ses traits.

Cette affection s’étend jusqu’à Connie, qui ne la mérite que par la constance de son amour fraternel. Le reste – les mensonges patents, la violence physique, l’aveuglement, l’utilisation éhontée d’autrui – en ferait un garçon tout à fait antipathique, s’il n’y avait pas Robert Pattinson.

Jusqu’ici, l’ex-star de Twilight, qui a renoncé au cinéma de studio pour des projets indépendants souvent audacieux (le dernier en date étant Lost City of Z., de James Gray), ne tenait qu’une note par personnage, certes pas toujours la même. Pour les Safdie, Pattinson a étendu son registre. Pitoyable puis terrifiant, charmeur puis lubrique, il est un ange. Un ange de la mort qui se prend pour un ange gardien.

« Good Time », film américain de Josh et Benny Safdie. Avec Robert Pattinson, Buddy Duress, Benny Safdie, Jennifer Jason-Leigh, Taliah Webster (1 h 40). Sortie le 11 octobre.