Un  Club Bouygues Telecom, à Dunkerque (Nord), en avril 2016. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Depuis lundi 29 mai, les abonnés de Bouygues Telecom peuvent enfin téléphoner partout en Europe, envoyer des SMS et surfer sur Internet sans surcoût supplémentaire. En fonction du forfait auquel ils ont souscrit, la filiale du groupe de BTP met à leur disposition entre 20 et 25 gigas de données chaque mois à utiliser dans toute l’Union européenne (UE). Les détenteurs des forfaits Sensation peuvent même appeler ou surfer sur le Net depuis les Etats-Unis.

Avec ces nouvelles offres intégrant le « roaming », les frais d’itinérance facturés lorsqu’un client téléphone ou est appelé depuis un pays européen, Bouygues Telecom emboîte le pas de ses concurrents. Free (dont le fondateur, Xavier Niel, est actionnaire du Monde à titre personnel) avait frappé un grand coup en mars, en offrant à ses clients voyageant dans 35 pays, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, en Israël ou en Australie toutes les communications téléphoniques et 5 gigas de données.

SFR a aussi lancé des offres roaming destinées à ses clients RED, sa marque d’entrée de gamme. Et devrait bientôt les décliner pour ses clients classiques.

c’est l’aboutissement d’un processus long

Enfin, Orange permet à tous ses abonnés de surfer et de téléphoner indifféremment, partout en Europe, depuis le 18 mai. En supprimant les surfacturations des communications en Europe, les opérateurs se mettent avant l’heure en conformité avec la législation européenne, qui les oblige à supprimer à partir du 15 juin les frais de roaming.

Pour la Commission européenne, c’est l’aboutissement d’un processus long de plus d’une décennie, dont l’origine remonte à 2006 quand Viviane Reding, à l’époque commissaire européenne de la société de l’information, voulait réglementer les coûts exorbitants des communications à l’étranger. Progressivement, les tarifs ont été encadrés, et en juillet 2015 le Parlement européen a décidé de supprimer définitivement les frais d’itinérance.

Les opérateurs ont bien tenté de s’y opposer en plafonnant la mesure. En vain. « Ils sont obligés d’aller assez loin dans ce qu’ils proposent au consommateur », explique Sylvain Chevallier, expert télécoms chez BearingPoint. La Commission s’est fixé une seule limite, celle d’éviter les abus, en empêchant un opérateur de commercialiser des forfaits à prix cassés ailleurs que sur son propre territoire.

Pour les acteurs français, c’est un nouveau manque à gagner. Jusque-là, « les prix avaient beaucoup baissé, mais les usages avaient également augmenté, ce qui leur avait permis de maintenir les recettes », indique M. Chevallier. Si ce dernier estime la part du roaming à « 5 % du chiffre d’affaires mobile grand public et entreprises des opérateurs », il n’est pas facile de connaître l’impact réel de la nouvelle législation européenne.

Depuis longtemps, les opérateurs ne communiquent plus sur ces recettes. « C’est tabou, car cela permettrait de percevoir les marges que cela génère », indique Dexter Thillien, de BMI Research. Seul Orange a rendu une estimation publique admettant qu’il perdra 130 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année, soit 1,8 % de son ebidta (équivalent du résultat brut d’exploitation) 2016.

Les clients de Free voyagent moins que les autres

Les conséquences varient d’un groupe à l’autre. « Ce sont surtout les clients entreprises qui utilisent le roaming, moins le grand public », explique M. Chevallier. Peu présent sur le marché entreprise, Free a beau jeu d’offrir du roaming hors UE, choisissant ainsi d’assumer le coût de la « terminaison d’appel » auprès des opérateurs locaux. En réalité, le risque est contrôlé dans la mesure où ses clients voyagent moins que les autres.

Outre les revenus générés par les clients à l’étranger, les opérateurs français perdent aussi les recettes prélevées sur les voyageurs venus téléphoner sur le territoire. « Les opérateurs du sud de l’Europe, où le tourisme est important, se sont beaucoup battus contre cette mesure », rappelle M. Thillien.

Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free espèrent se rattraper en créant de nouveaux usages. Aujourd’hui, nombreux sont les consommateurs qui bloquent leurs données à l’étranger, craignant une explosion de leur facture. « Les usages sont meilleurs quand les opérateurs intègrent une part de roaming dans leurs offres », dit M. Thillien. Peut-être de nouvelles perspectives en vue pour les industriels.