Les défis des smart cities asiatiques
Les défis des smart cities asiatiques
Pour Jean de Chambure, directeur conseil de l’Atelier de BNP Parisbas à Shanghai, les smart cities asiatiques réussiront leur pari technologique et humain en connectant les individus entre eux, mais aussi villes et campagnes.
Un péton passant devant une station de taxi Uber à Guangzhou (Province de Guangdong, Chine). | LIU JIAO / IMAGINE CHINA
A chaque géographie, sa smart city. En Asie, comme dans d’autres régions du monde, il n’y a pas de smart city pertinente sans prise en compte des spécificités du pays dans lequel la ville intelligente se développe. Pour l’Asie, il faut une grille de lecture des priorités que l’on peut classifier en quatre zones : les pays postindustriels (Corée du Sud, Japon), les pays en transition avancée (la Chine), les pays en transition (L’Inde, la Thaïlande, le Vietnam), l’opulente cité-Etat de Singapour. Mais concentrons-nous ici sur les deux premières zones.
D’abord les pays postindustriels (Corée du Sud, Japon) qui ont en partie dépassé les sujets de pollution liée à l’industrie. Le drame nucléaire de Fukushima, comme la pollution importée de Chine en Corée sont des éléments importants, de même que les risques élevés de séisme auxquels sont confrontés les Japonais. Mais le sujet majeur de ces deux pays reste lié à l’isolement des individus.
Réseaux sociaux dédiés
C’est le cas du Japon où la population baisse avec des personnes de plus en plus isolées, soit par leur statut (70 % de célibataires chez les moins de 34 ans), soit par leur âge (les plus de 65 ans représentent plus de 21 % de la population). C’est aussi un enjeu en Corée du Sud, où chaque jour près de cinquante personnes âgées se donnent la mort. La Corée du Sud est le pays au plus haut taux de suicide de l’OCDE. Des ponts anti-suicides ont été créés à Séoul, ainsi que des réseaux sociaux dédiés, des applications d’aide aux personnes en détresse. L’isolement des individus, leur sentiment de ne plus être utiles à la société confucéenne qui les a fait grandir, explique en partie ses situations.
Parmi les solutions que peuvent apporter les technologies, les startups spécialisées dans la maison connectée à destination des seniors peuvent devenir d’une grande aide. Ainsi, la startup Inounou fondée à Shanghai par Charles Bark propose un dispositif original pour connecter facilement les personnes âgées à un système domotique qui en fonction de leurs besoins peut proposer plusieurs types d’applications : tri-caméra pour assurer une communication à distance sans devoir déplacer son téléphone, semelle connectée pour mesurer le nombre de pas effectués, transmission automatique de données santé (ex/tension cardiaque…). Mieux connecter les individus entre eux est ici un enjeu prioritaire des smart cities. Ces solutions ne résoudront pas tout, mais elles contribueront à rendre les villes plus agréables. (plus « humaines » ?)
Pollution et trafic : deux enjeux clés pour les pays en transition avancée
Sur le moyen terme, la Chine va connaître des problèmes démographiques semblables. De surcroît le vieillissement du pays ne sera pas compensé par la population active qui est insuffisante pour y faire face. Ce déséquilibre s’explique par l’accroissement de la durée de la vie et quarante-deux années de politique de l’enfant unique.
Si l’isolement social commence à toucher des personnes âgées dans une société devenue plus individualiste, si 80 millions d’enfants sont élevés par leurs grands-parents car leurs parents ont choisi de partir dans une autre province pour des motifs économiques, avec leurs comités de quartiers, leurs danses collectives, leurs chorales publiques, leurs réseaux de solidarité familiale, les villes chinoises donnent l’image d’une population moins esseulée.
Les problèmes urgents à résoudre pour les smart cities chinoises touchent peut-être en premier lieu la pollution et les trafics automobiles hypertrophiés.
La pollution des villes est le sujet le plus préoccupant. Malgré sa réelle ambition écologique, son organisation centralisée, sa lutte progressive contre sa surproduction, la Chine ne peut pas arrêter subitement le fonctionnement de ses usines de charbons et d’acier sans mettre au chômage des centaines de milliers d’individus.
En transition, la Chine doit donc aussi massivement parier sur la green économie. Eolienne offshore, murs végétaux, détecteur de pollution, grid computing pour une consommation électrique optimisée, les projets fleurissent et les investissements suivent. L’Atelier a rencontré à Shanghai des projets inventifs comme la startup Enwise créée par Stéphane Vernede qui propose de traiter les 430 millions de tonnes de déchets organiques par an avec des machines recyclant localement jusqu’à une tonne de déchets. Une application mobile reliée permet un contrôle à distance et une maintenance prédictive.
Par ailleurs, la concentration démographique dans les grandes villes continue de s’accélérer engendrant d’immenses trafics routiers. Pour tenter de pallier ces enjeux, des modèles de transport alternatifs se développent. L’application Didi propose un voiturage privé, un taxi ou du covoiturage (Uber, Taxi G7 et Blablacar réunis) à des centaines de millions de chinois. C’est connecté, intelligent, mais pas assez direct pour lutter contre la pollution. Ainsi, depuis 18 mois, des vélos connectés envahissent les villes.
Elégants, design, ils se localisent, se bloquent et se débloquent avec un simple QR code et un smartphone. C’est le modèle Mobike (470 000 utilisateurs, avec de gros investisseurs comme Tencent et Foxconn, et des ambitions de développement mondial comme à Singapour), suivi par plusieurs concurrents dont Ofo (200 000 utilisateurs, investisseurs Didi, Xiaomi, avec des ambitions mondiales aussi comme Londres, San Diego et Singapour). Le point commun entre Didi et Mobike ? Une manière de créer une smart city grâce aux transports en transformant les vélos et les automobiles en des IoT (Internet of Things) reliés à de la big data.
Pour des smart cities connectées au-delà d’elles-mêmes
A travers la Corée, le Japon ou la Chine, on voit à quel point la géographie reste au cœur de la ville. La smart city du XXIe progressera avec le triptyque technologique AI, Big data, IoT sans oublier les réseaux. Mais sa réussite humaniste dépendra de sa capacité à se penser comme élément d’un pays et d’une planète, et non comme une zone urbaine isolée à l’instar des cités médiévales.
Des signaux encourageants viennent par exemple de Chine où grâce à une logistique et un commerce en ligne très développés, des coopératives villageoises commencent à vendre en direct le fruit de leur récolte agricole à des mégalopoles. Ici, la domination du commerce vient davantage de la plateforme Alibaba que de la grande distribution physique qui est beaucoup moins concentrée qu’aux Etats-Unis et en Europe.
Ce type de démarche préfigure un monde plus équilibré qu’un monde où seules des grandes villes communiqueraient par hyperloop. Une possibilité pour que les smart cities asiatiques réussissent leur pari technologique et humaniste au cours du XXIe siècle en connectant plus harmonieusement villes et campagnes.
Jean de Chambure
Smart Cities : « Le Monde » décrypte les mutations urbaines
A l’occasion de la remise des Prix internationaux de l’innovation Le Monde - Smart Cities, une journée de réflexion et d’échanges réunira, le vendredi 2 juin à Singapour, ingénieurs, acteurs publics, sociologues, chercheurs, autour des transformations urbaines et des nouvelles formes de gouvernance de la ville.
Le 7 avril à Lyon, Le Monde a déjà récompensé avec ses partenaires les lauréats de la deuxième édition des Prix européens de l’innovation Le Monde - Smart Cities pour leurs projets innovants améliorant la vie urbaine. A cette occasion, s’est tenue une journée de débats sur le thème « Gouverner la ville autrement : les villes peuvent-elles réenchanter la démocratie ? ».
Retrouvez l’actualité des villes décryptée par les journalistes du Monde dans la rubrique « Smart cities » sur Lemonde.fr.