Polémique autour de l’interpellation de la fondatrice d’Urgence notre police assassine
Polémique autour de l’interpellation de la fondatrice d’Urgence notre police assassine
Par Julia Pascual
Amal Bentounsi a été placée en garde à vue pour avoir filmé des policiers durant une interpellation.
Amal Bentounsi, au centre, lors du procès du policier ayant tiré sur son frère, en mars 2017. | MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
La fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, Amal Bentounsi, a été libérée jeudi 8 juin en début d’après-midi après avoir été placée en garde à vue dans le commissariat de Meaux (Seine-et-Marne), la veille au soir, une privation de liberté selon elle « abusive ».
Cette quadragénaire est devenue une figure médiatique depuis qu’elle a fait des violences policières son cheval de bataille, après le décès de son frère, tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012. Jeudi, au terme de sa garde à vue, et alors qu’elle ne fait pas officiellement l’objet de poursuites à ce stade, elle dit avoir déposé plainte contre des policiers pour violences et menaces.
Amal Bentounsi était présente à Meaux (Seine-et-Marne) mercredi lorsqu’elle décide de filmer des policiers en intervention. Le parquet a expliqué dans un communiqué jeudi que les fonctionnaires concernés intervenaient à la suite d’actes de rébellion et de jets de pierre sur des agents de police municipale. Mme Bentounsi a l’habitude de filmer des interventions de police, « pour éviter des violences et que les policiers se sachent surveillés », dit-elle. Une pratique qui n’a rien d’illégal et qui s’est largement développée ces dernières années avec la massification de l’usage des smartphones. Elle a toutefois le don d’excéder les fonctionnaires de police. « Ça les a bien embêtés », confirme Mme Bentounsi.
Pas de poursuites à ce stade
Sur la vidéo qu’elle a réalisée et que l’on peut visionner sur la page Facebook du collectif, on entend l’un des agents lui dire qu’elle n’a pas le droit de filmer, alors qu’un autre lui confirme qu’elle peut mais précise que « tous les fonctionnaires ici présents s’opposent à ce que leur visage soit divulgué pour des raisons de sécurité évidente ». Mme Bentounsi lui assure que les visages n’apparaissent pas, même si, par moments, ainsi qu’on peut le voir sur la vidéo, c’est le cas. « Si jamais je vois des images sur Internet des services spécialisés, vous serez poursuivie », ajoute le policier, qui veille en outre à ce que l’une des personnes interpellées soit également d’accord pour être filmée.
On assiste ensuite à un échange un peu irréel qui dérive sur le frère d’Amal Bentounsi. Un fonctionnaire ironise sur cet « innocent en fuite » tué d’une balle dans le dos et va jusqu’à affirmer que le policier mis en cause n’a pas été condamné. Ce qui est faux ; celui-ci a été condamné en appel à cinq ans de prison avec sursis le 10 mars.
Les policiers finissent par réaliser que la vidéo de Mme Bentounsi est diffusée en direct sur Facebook et s’en offusquent. Un peu plus tard, alors que celle-ci vient de filmer un policier en civil qui lui adresse un doigt d’honneur, les agents reviennent vers elle : « Vous coupez le téléphone, vous êtes interpellée pour la diffusion de l’image qui est interdite. Vous allez venir avec nous. Coupez, coupez… »
Le parquet explique dans son communiqué que Mme Bentounsi a été placée en garde à vue pour « divulgation d’un enregistrement obtenu par une atteinte à l’intimité de la vie privée » et « rébellion » lors de son interpellation. Elle ne fait toutefois pas l’objet de poursuites à ce stade. De son côté, Mme Bentounsi parle d’une garde à vue « abusive » et accuse les fonctionnaires de violences (son poignet a été tordu au moment de l’interpellation) et de menaces. « Un policier a pris en photo mon adresse et m’a dit “comme ça, on saura où te trouver”, rapporte-t-elle. Je lui ai demandé si c’était des menaces et il m’a répondu “tu le prends comme tu veux”. »
« Aucune contrainte légale » pour imposer le floutage des visages des policiers
Dans son communiqué, le parquet de Meaux souligne le « sang-froid » et le « calme » des fonctionnaires de police. Il estime en outre que la diffusion de la vidéo sur Facebook « a entraîné des commentaires haineux envers les policiers et une provocation à des actes très graves notamment l’incendie du commissariat de police ».
Pour défendre son droit de filmer, Amal Bentounsi fait valoir une circulaire de 2008 dans laquelle le ministère de l’intérieur rappelle que, à l’exception de certains services spécialisés, « les policiers ne peuvent s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission ». Le texte précise qu’il est « exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support ».
Le ministère de l’intérieur précise aussi qu’il n’existe « aucune contrainte légale » tendant à imposer le floutage des visages des policiers mais que ceux-ci peuvent toutefois demander à être anonymisés. Quant à la diffusion publique des images, le ministère de l’intérieur se contente de dire que la question est « complexe » et « délicate » et encourage les agents à signaler d’éventuels « désagréments » ou « infractions » qu’une telle démarche aurait pu provoquer.