Jeux vidéo : « C’est peut-être la dernière chance pour Microsoft »
Jeux vidéo : « C’est peut-être la dernière chance pour Microsoft »
Propos recueillis par William Audureau
Pour Thomas Grellier, professeur en marketing spécialisé dans l’industrie du divertissement, Sony et Microsoft devraient se livrer une bataille de jeux.
Pour Thomas Grellier, « du contenu exclusif sur “Red Dead Redemption 2” [image] serait bien plus vendeur que la VR ». | Rockstar
Samedi 10 juin à 23 heures, l’éditeur américain Electronic Arts ouvrira la semaine de l’Electronic Entertainment Exposition, le Salon annuel de l’industrie du jeu vidéo. Les trois constructeurs majeurs, Microsoft, Sony et Nintendo, sont dans des situations radicalement différentes : géant en difficulté, sur le point d’annoncer sa console de la dernière chance pour le premier ; leader en situation d’hégémonie quasi absolue pour le deuxième ; et cavalier solitaire en plein regain de succès pour le dernier. Thomas Grellier, cofondateur de l’Ecole de management des industries créatives (EMIC) et professeur de marketing, explique les enjeux de cette édition 2017 du Salon.
Une seule nouvelle console, la Scorpio de Microsoft, doit être dévoilée à l’E3. Quels sont les enjeux ?
Microsoft est dans une position de challenger évident. La PlayStation 4 s’est vendue trois fois plus que la Xbox One depuis leur lancement, et surtout le rythme de ventes est très défavorable à cette dernière, qui est quasiment hors course. Le but pour Microsoft, c’est désormais de prendre le maximum de risques et d’arriver plus vite que prévu avec une nouvelle machine, et convaincre rapidement un maximum de professionnels et de consommateurs ; ce que la Xbox One n’avait pas su faire.
Pour cela, ils ont des arguments, comme le fossé technique qui sépare la Scorpio des autres machines, des licences très fortes qui pourraient l’accompagner rapidement, comme Forza Motorsport, Halo ou Gears of War, ainsi que Minecraft, qui appartient à Microsoft, et dont ils pourraient annoncer une nouvelle version. Ils n’y vont pas pour perdre. Ils ont perdu une bataille, ils n’en perdront pas deux.
Réduire le fossé entre PlayStation et Xbox est souhaitable pour tout le monde. Une console en position hégémonique, ce n’est pas bon pour le marché. Par ailleurs Microsoft doit redevenir n° 1 aux Etats-Unis, chez eux, et c’est peut-être leur dernière chance, car en interne on s’impatiente de voir la branche jeux vidéo obtenir enfin des résultats. Il y a actuellement d’autres activités au sein de Microsoft qui sont très rémunératrices, la firme ne s’est jamais aussi bien portée que ces derniers mois, et si la console échoue, Microsoft pourrait se reconcentrer sur le logiciel, le cloud et la téléphonie.
Sony a annoncé vouloir multiplier les produits différents, comme ils l’ont déjà fait avec le PS VR, la PS4 Slim et la PS4 Pro l’an passé. N’est-ce pas étrange ?
Sony est dans une position de leader assumée, ils sortent de deux éditions de l’E3 exceptionnelles, et ils ont d’autres jeux forts à sortir, comme God of War ou Gran Turismo Sport. Ils ne sont pas pressés d’abréger le cycle de vie de leur machine, ils sont au contraire en plein dans leur zone de confort.
C’est un fondamental du marketing : quand on a un marché d’une taille donnée, pour le faire grandir, il n’y a que deux solutions. Soit accroître le public en allant chercher de nouveaux consommateurs, stratégie dite du « blue ocean » qui a été celle de Nintendo avec la Wii et la DS, qui ont permis de toucher des jeunes filles, des mamans et des seniors. Soit créer de nouveaux segments [comme la VR ou la 4K], pour que les consommateurs existants consomment sur plusieurs segments à la fois. C’est une manière de faire grossir de manière artificielle mais mécanique la taille du marché. Sony a raison de faire ça, cela correspond à la stratégie d’un leader hégémonique ; on attend de lui qu’il lance de nouveaux marchés. C’est ce que faisait Apple en créant de nouveaux types de produits, et ce qu’on lui reproche de ne plus faire.
Cette stratégie suppose aussi de composer avec plusieurs cycles de vie. En effet, rien ne dit que la part de marché de la prochaine PlayStation sera aussi hégémonique. Donc ils posent les graines d’éventuels relais de croissance en cas d’attaque de leur produit central. C’est également ce que fait Tesla, par exemple, en élargissant son activité à d’autres marchés que la voiture électrique, car ils savent qu’ils seront très vite concurrencés. Sony fait pareil. Certains autres marchés seront peut-être des échecs mais Sony se positionne, ils essaient. Comme à la roulette, on met des sous sur plusieurs numéros en espérant qu’un d’entre eux sorte.
Cela veut dire que Sony ne croit pas à un élargissement du marché par la reconquête des joueurs occasionnels ?
Nintendo a réussi à les conquérir, mais s’est également rendu compte que ces joueurs occasionnels, qui constituent un réservoir de consommateurs énorme, ont disparu aussi vite qu’ils sont apparus, alors que Nintendo espérait les fidéliser. Sony raisonne autrement. Si le slogan de la PS4 était « For the gamers » (« pour les joueurs »), ce n’est pas un hasard. Il s’agit de convaincre en premier lieu les passionnés.
Ensuite, l’élargissement se fait naturellement, à mesure que la console baisse de prix et que les jeux entrent dans la gamme budget. Le fait que GTA V soit toujours dans le top de ventes quatre ans après son succès, ce n’est pas un hasard. Il est le premier jeu que l’on achète. Cela montre tout simplement que les gens viennent d’acheter la console. On est dans le même schéma qu’avec la PlayStation 2. De ce point de vue-là rien n’a changé.
Faut-il s’attendre à ce que Sony communique toujours autant sur la VR ?
Je ne pense pas que la VR aura une place aussi déterminante que l’an passé, car les ventes ont été décevantes jusqu’à présent. On aura sûrement des annonces de jeux de la part de Sony, mais cela ne sera pas le cœur de leur conférence. On risque de se recentrer sur les fondamentaux et revenir aux batailles de contenu additionnel, de licences, d’exclusivités. Par exemple, une exclusivité partielle sur Red Dead Redemption 2 [le prochain jeu des créateurs de GTA], ce serait bien plus fort commercialement.
Quid de la Switch ? On a l’impression que comme en 2007 après le lancement de la Wii, Nintendo fait cavalier à part.
Nintendo vient de renouer avec le succès de manière impressionnante, le calendrier de sorties est très intéressant, il leur faut passer la seconde et ce devrait être le cas. A mon avis Super Mario Odyssey va capter l’attention et risque de faire beaucoup parler de lui.
Quant aux éditeurs tiers, je pense en effet qu’ils ont raté le wagon. La question est : est-ce volontairement ou non ? Mais pour l’instant ils n’ont connu aucun succès, à part peut-être Just Dance, d’Ubisoft. C’est une console où les jeux qui marchent sont les jeux Nintendo. Il y aura peut-être une ou deux surprises, mais Activision, 2K et Electronic Arts ne semblent pas concernés de prime abord par la Switch.