La loutre, espèce protégée, se baigne dans le cours d’eau de la réserve de vie sauvage du Trégor. | ASPAS/Rémi Collange

En France, seulement 1 % du territoire naturel est sous « protection forte ». Si l’Etat a renforcé la défense de ses espaces naturels ces cinquante dernières années, avec la création de statuts tels que les parcs nationaux et régionaux et l’augmentation des réserves naturelles, son niveau de protection reste variable et insuffisant pour de nombreuses associations de protection de l’environnement.

Dans la majorité des espaces protégés en France, les activités telles que la chasse, la pêche ou l’exploitation forestière sont réglementées mais autorisées. « Tout dépend des négociations avec les habitants des communes environnantes. Il arrive que dans les espaces de haute naturalité, le cœur des parcs nationaux et les réserves naturelles, le pastoralisme et la chasse soient tolérés » explique Jean-David Abel, vice-président et responsable du réseau biodiversité de l’association France Nature Environnement (FNE).

Rien de tel dans la réserve naturelle des Côtes-d’Armor dans le Trégor. Sur quelque 60 hectares qui leur sont dédiés, les loutres, chevreuils, renards et petits rongeurs sont à l’abri de toute intrusion. Pas un chasseur ou un véhicule pour perturber leur tranquillité. Un succès pour l’association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) qui a inauguré samedi 10 juin sa troisième Réserve de vie sauvage après les sites du Grand Barry et des Deux lacs dans la Drôme.

Redonner à la nature son autonomie, libre de toute exploitation humaine, tel est l’objectif de l’association. Créée en 1987, l’ASPAS entend « pallier l’incurie de l’Etat » en matière de gestion publique des aires protégées par l’acquisition foncière d’espaces naturels. Apolitique et indépendante, l’association finance ces espaces grâce aux dons et aux cotisations de près de 10 000 adhérents et à l’aide d’autres associations. Le site du grand Barry de 105 hectares a été acheté à hauteur de 150 000 euros, celui des Deux lacs a été rétrocédé par la fédération des associations de protection de la nature de Rhône-Alpes (FRAPNA), tandis que le site du Trégor a été légué par un particulier.

Le plus haut niveau de protection

Au total, 400 hectares ont été rendus à la nature depuis 2012. Les espaces sont ouverts, permettant la libre circulation des animaux et des hommes sous certaines conditions. La chasse, la pêche, les exploitations forestière et agricole sont interdites, ainsi que le dépôt de déchets, les feux et la cueillette. « Nous sommes la seule zone avec un tel niveau de protection » précise la direction de l’ASPAS. Les sites du Grand Barry dans le Vercors et du Tregor en Bretagne sont les seules réserves naturelles françaises à avoir intégré le réseau Rewilding Europe, un programme de préservation de la nature sauvage qui compte 27 réserves en Europe.

Laissées en friche depuis cinq ans, ces espaces accueillent déjà une nouvelle biodiversité. « Le bois mort, souvent ramassé en forêt publique, contribue à un écosystème forestier en bonne santé. Il a permis d’attirer de nombreux insectes sur nos sites et toute la chaîne alimentaire qui va avec : de nouveaux oiseaux comme les piverts s’y sont installés » se félicite Gilbert Cocher, naturiste administrateur des réserves de vie sauvage de l’ASPAS.

L’association n’a pas encore recensé l’ensemble des populations végétales et animales sur ses territoires, mais les effets de cette renaturalisation prendront un certain temps avant de se manifester : « Le changement de cet écosystème devrait prendre au moins cinquante ans » prévient Gilbert Cocher. Cependant nous observons une différence de comportements entre les animaux en territoire de chasse et les animaux dans nos réserves, la plupart sont moins hostiles à l’homme. Par exemple, les biches, moins stressées par la présence des chasseurs, mettent bas dans nos réserves ».

Chasse interdite

L’interdiction de la chasse est la première revendication de l’ASPAS. « Elle a un impact important sur la diversité de la faune sauvage, les quotas de chasse sont surévalués », dénonce Gilbert Cocher. Selon le dernier bilan publié par l’office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), plus de 30 millions d’animaux ont été tués par balles en 2016, toutes espèces confondues. Avec 1,4 million de chasseurs, la France est le premier pays cynégétique en Europe.

Censée réguler la surpopulation du gros gibier en zone rurale, l’activité est considérée par la Fédération Nationale des Chasseurs comme « l’un des pivots de l’entretien des territoires, des habitats naturels et de la faune sauvage ». C’est le cas dans le cœur du parc national des Cévennes, où la plupart des sites, classés Natura 2000, autorisent la chasse.

« Faute de prédateurs, comme le loup par exemple, les ongulés (chevreuils, cerfs et sangliers) peuvent être en sureffectif. La chasse peut alors limiter les dégâts causés aux terres agricoles et à l’activité du parc », explique Sandrine Descaves, secrétaire du syndicat National de l’Environnement, agent technique au parc national des Cévennes. « Cependant, la chasse pourrait être davantage réglementée pour certaines espèces », regrette-t-elle.

La réserve de l’ASPAS dans le Grand Barry compte beaucoup de chevreuils, de quoi attirer quelques prédateurs. Il y a quelques mois, en consultant les caméras pièges de la réserve, l’association a eu l’agréable surprise d’accueillir pour la première fois un loup.

Lola Bodin Adriaco