Devant les locaux de la firme Uber à San Fransisco (Californie), le 13 juin. | JUSTIN SULLIVAN / AFP

Mis en difficulté pour avoir laissé s’installer une culture d’entreprise sexiste et discriminatoire, Travis Kalanick prend du recul. Comme pressenti ces derniers jours, le fondateur et patron d’Uber va délaisser son poste de directeur général pour une durée encore indéterminée. Dans le même temps, la plate-forme américaine de voitures avec chauffeur (VTC) s’est engagée à mener une vaste transformation.

« J’ai besoin de travailler sur moi-même pour devenir le leader dont cette société a besoin », a expliqué l’intéressé dans un message adressé, mardi 13 juin, à l’ensemble des salariés. L’entrepreneur promet de « construire une équipe dirigeante de première classe » pour permettre « au nouvel Uber de réussir ». Il évoque aussi le décès de sa mère, victime fin mai d’un accident de bateau. « J’ai besoin de prendre du temps pour faire le deuil », ajoute-t-il.

Aucun directeur général par intérim n’a été nommé. « Je serai disponible si besoin pour les décisions les plus stratégiques », précise en outre M. Kalanick. La gestion au jour le jour sera ainsi assurée par la dizaine de responsables qui constituent le deuxième échelon hiérarchique. « Cela va constituer un test pour savoir si Uber peut véritablement fonctionner sans lui », souligne un ancien cadre de l’entreprise.

Multitude de polémiques

Personnage controversé, réputé pour ses déclarations choc et ses méthodes de management musclées, M. Kalanick a été fragilisé par une multitude de polémiques. En janvier, il avait été accusé de soutenir Donald Trump, déclenchant une campagne de boycott sur les réseaux sociaux. Il avait ainsi dû renoncer à siéger au sein du forum chargé de conseiller le nouveau président américain sur les questions économiques.

La véritable tempête a été déclenchée mi-février, lorsque Susan Fowler, une ancienne ingénieure informatique d’Uber, raconte sur son blog personnel comment la direction des ressources humaines a systématiquement ignoré ses plaintes pour harcèlement sexuel. Et décrit une organisation sexiste, à l’image de ce responsable qui assure que « les femmes ont besoin de se mettre au niveau ».

M. Kalanick a tenté de reprendre la main, reconnaissant des erreurs et promettant d’être un meilleur dirigeant. Mais il a été très vite rattrapé par une vidéo montrant une dispute avec un chauffeur. Puis par une succession de révélations embarrassantes – en 2014, le patron d’Uber a, par exemple, eu accès au dossier médical d’une femme violée en Inde par un chauffeur et assuré qu’il s’agissait d’un coup monté par un rival.

Eventail de recommandations

Selon l’agence Reuters, l’hypothèse de nommer un nouveau directeur général a été étudiée dimanche par le conseil d’administration de la firme, au cours d’une réunion qui a duré près sept heures. Mais cette option n’avait que très peu de chances d’être privilégiée. Avec ses proches Garrett Camp (le deuxième fondateur d’Uber) et Ryan Graves (l’un des premiers employés), l’entrepreneur possède en effet toujours la majorité des droits de vote.

A la place, les administrateurs d’Uber ont préféré réduire les prérogatives de M. Kalanick, qui supervisait jusqu’à présent de très nombreux aspects. A son retour, il sera épaulé par un directeur opérationnel, véritable numéro 2 de la société et doté de pouvoirs élargis. Par ailleurs, un président et des membres indépendants pourraient également être nommés au Conseil.

Ces deux mesures font partie d’un éventail de recommandations formulées par le cabinet d’avocats dirigé par Eric Holder, l’ancien ministre de la justice de Barack Obama. « Elles vont améliorer notre culture, promouvoir l’équité et la responsabilisation, et établir des procédures pour s’assurer que nos erreurs passées ne se reproduiront pas », assure Liane Hornsey, la directrice des ressources humaines d’Uber.

Le rapport, dont les conclusions ont été rendues publiques mardi, préconise également de renforcer les contrôles internes, d’améliorer la formation des managers ou encore de favoriser la diversité des équipes. Il recommande de limiter la consommation d’alcool – une pratique répandue dans de nombreuses start-up de la Silicon Valley –, d’interdire les relations intimes avec un supérieur hiérarchique et d’accroître la flexibilité des heures de travail. Enfin, il encourage à revoir certaines des quatorze valeurs d’entreprises prônées par M. Kalanick, car elles peuvent « justifier de mauvais comportements ».

Peu d’impact sur l’activité

Parallèlement, Uber a lancé un grand ménage. Mardi 6 juin, la société a ainsi annoncé le licenciement d’une vingtaine de salariés, au terme d’une deuxième enquête confiée à un autre cabinet d’avocats. Et une trentaine d’employés sont encore sous la menace. Lundi, Emil Michael, l’un des responsables les plus décriés, a été poussé à la démission. Mardi, l’investisseur David Bonderman a quitté le conseil d’administration après avoir prononcé une remarque sexiste devant les salariés.

Pour Uber, valorisée à hauteur de 70 milliards de dollars, l’enjeu est crucial, à la fois pour conserver et attirer les meilleurs ingénieurs que pour redorer son image de marque. Pour l’instant, l’impact sur l’activité reste limité : au premier trimestre, son chiffre d’affaires a encore progressé de 18 %.