Le don d’ovules étendu aux femmes sans enfants
Le don d’ovules étendu aux femmes sans enfants
Par Julia Pascual
Pour pallier la pénurie d’ovocytes, le ministère de la santé permet aux donneuses d’en conserver une partie pour elles-mêmes.
Micro-injection par pipette d'un spermatozoïde dans un ovocyte en 2000 au CECOS de Rennes. | MARCEL MOCHET / AFP
La loi a été votée en 2011 mais quatre années se sont écoulées avant que le décret d’application ne paraisse. Il a été publié jeudi 15 octobre, « porté par Marisol Touraine », tient à souligner le ministère de la santé, à qui il aura tout de même fallu trois ans et demi pour apposer une signature.
Il faut dire que c’est une petite révolution qui est potentiellement à l’œuvre dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA) : pour pallier la pénurie chronique de dons de gamètes en France, qui permettent à certains couples infertiles de procréer, les personnes majeures n’ayant pas encore eu d’enfants pourront désormais faire montre de générosité en matière de sperme et d’ovocytes. Jusque-là, ce don était réservé aux personnes ayant déjà eu au moins un enfant.
Pour mieux inciter les femmes à donner leurs ovules, la loi bioéthique de 2011 prévoit qu’elles pourront en conserver une partie pour leur propre bénéfice ultérieur, c’est-à-dire si d’aventure et avant l’âge de 43 ans, leur fertilité (production d’ovocytes) ne leur permet pas de concrétiser un projet de grossesse sans avoir recours à la PMA. Cette disposition laisse entrevoir le début de ce qui est communément appelé la conservation d’ovocytes dite « de convenance » ou « sociétale », c’est-à-dire non justifiée par des motifs strictement médicaux, comme c’est le cas par exemple avant certains soins en cancérologie. Ceux qui défendent cette pratique préfèrent parler de « prévention médicale ».
Sociétale ou préventive, elle est jusque-là totalement interdite en France, ce qui n’est pas le cas dans des pays tels que la Belgique, l’Italie, la Grande-Bretagne ou encore l’Espagne. Il est d’ailleurs de plus en plus fréquent que des Françaises se rendent à l’étranger pour congeler leurs ovules :
« Nous faisons de la vitrification sociétale depuis 2011, et actuellement une moyenne de 280 traitements par an, rappelle Valérie Vernaeve, directrice médicale du groupe Eugin, qui dispose de deux cliniques à Barcelone. À peu près 50 % de nos patientes sont françaises. La courbe des demandes est exponentielle. »
Dans l’entourage de la ministre, on essaye de minimiser la portée du décret sur ce point : « Aux États-Unis, de grands groupes incitent les jeunes femmes à conserver leurs ovocytes pour repousser leur projet de grossesse, nous ne souhaitons pas voir cette dérive s’installer. » Et d’insister sur le fait qu’« au moins la moitié des ovocytes mâtures d’un même prélèvement seront orientés vers le don ». Une formulation floue qui soulève des questions : quelle part maximale peut être réservée au don ? Et sur quels critères ? Il faudra encore attendre qu’un arrêté précise « les règles de bonne pratique », explique t-on au ministère.
Philippe Granet, gynécologue spécialiste de la reproduction, s’inquiète de voir la logique de don « dénaturée ». « Aujourd’hui, 95 % des donneuses le font parce qu’elles connaissent des gens dans leur entourage qui ont des difficultés. C’est une démarche lourde. » Elle nécessite plusieurs consultations, 8 à 10 jours de stimulation hormonale et une ponction des ovocytes réalisée souvent sous anesthésie générale.
« Ça va ouvrir des portes »
Demain, une nouvelle motivation entrera en ligne de compte. Le Dr Karine Morcel, gynécologue-obstétricienne au CHU de Rennes, qui dispose d’un des 23 centres en France d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), craint que cela fasse miroiter aux femmes « une fausse assurance procréative. On se retrouve un peu marchands de tapis, ça va compliquer les choses ». Sa consœur Marie-Claude Melin-Blocquaux, responsable du CECOS de Reims, abonde : « Personne n’est devin et on ne peut pas garantir à une donneuse qu’elle aura des enfants. Ce qui m’interpelle aussi c’est de savoir comment celles qui n’auront pas pu avoir d’enfant vivront la situation, sachant qu’elles auront potentiellement permis des naissances par ailleurs » (une donneuse n’est pas informée du devenir des ovocytes).
Quid des femmes célibataires ou en couple homosexuel qui voudront utiliser leurs ovocytes conservés ? Jusqu’à présent, la loi française l’interdit catégoriquement et, depuis les cortèges de La Manif pour tous, le gouvernement ne souhaite pas rouvrir le débat, en dépit des récents avis favorables du Défenseur des droits et du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les nouvelles règles de don risquent de générer des frustrations. « Ça va ouvrir des portes », veut croire Virginie Rio, du collectif BAMP, une association qui réunit des patients et des ex-patients de PMA, et qui est favorable à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.
L’ouverture du don aux nullipares (femmes n’ayant jamais accouché) permettra d’élargir le spectre des donneuses et d’espérer des fécondations in vitro (FIV) avec un meilleur taux de réussite, puisque des donneuses plus jeunes produisent davantage d’ovules. En 2013, en France, 797 tentatives de FIV à partir de dons d’ovocytes ont permis la naissance de 198 enfants.