« It Comes at Night » : une famille aux abois
« It Comes at Night » : une famille aux abois
Par Jean-François Rauger
Le réalisateur américain Trey Edward Shults réussit à mêler tragédie intimiste et film catastrophe.
Deuxième long-métrage d’un jeune réalisateur américain, It Comes at Night semble, si l’on en croit son titre d’abord, si l’on en juge par ses premières images ensuite, jouer la carte du film de genre. Le sentiment de catastrophe, de fin du monde, s’impose en effet dès les premières minutes où l’on voit un vieillard abattu et brûlé par un homme portant un masque à gaz.
Cette brutale entrée en matière, ces figures de fin du monde dressent le théâtre d’une convention cinématographique (le film de terreur post-apocalyptique) à première vue bien essorée. Dans un univers dévasté par une épidémie et redevenu une jungle pour les humains, un groupe d’individus tente de survivre en alliant un égoïsme sécuritaire avec quelques résidus d’éthique minimale.
Cette contradiction constitue, en effet, tout l’enjeu d’un film qui va restreindre les scènes spectaculaires attendues (une furtive fusillade avec deux inconnus visiblement animés de mauvaises intentions) pour enfermer son récit dans un espace limité et effleurer une forme d’abstraction. Le film de Trey Edward Shults est un Kammerspiel post-apocalyptique, un film-catastrophe intimiste.
Dans un monde, donc, devenu dangereux à la suite d’une épidémie mortelle, un homme, Paul, s’est installé avec sa femme et son fils adolescent dans une maison au fond des bois, sans doute pour fuir la violence chaotique et la règle du « chacun pour soi » qui s’est emparée des humains. Arrive un inconnu, un soir, aux intentions indécidables.
Capturé par Paul après une tentative d’effraction de la maison, il prétend, lui aussi, vouloir survivre avec sa famille (une femme et un petit garçon). Paul décide de lui proposer de partager son habitation et de mettre en commun ses maigres biens avec la sourde intuition que cette cohabitation accroîtra leur chance de survie.
Spécimens de laboratoire
Le cœur du film est constitué de moments durant lesquels les deux groupes vont tenter d’installer les conditions d’une existence normale. Ainsi, contrairement, peut-être, aux traditionnelles fictions d’épouvante, le défi lancé par le film est celui qui consiste à installer progressivement une vie familière au cœur d’une réalité qui ne l’est plus.
Prenant à contre-pied l’exigence de tension permanente qui nourrit le genre, le cinéaste semble davantage vouloir ainsi décrire les conditions d’un retour à la normale en un lieu minuscule (on ne quitte guère la maison et ses alentours proches). Les personnages de It Comes at Night semblent ainsi observés comme des spécimens de laboratoire voués à reproduire une norme qui serait celle de la « vie d’avant ».
Mais ici le suspense ne consiste pas seulement à imaginer le dérisoire d’une normalité condamnée à l’échec, car détruite inéluctablement par l’extraordinaire d’un fléau qui menace l’humanité. Il s’agit plutôt de dévoiler le caractère menaçant d’états justement ordinaires (la vie conjugale, le désir sexuel, la puberté adolescente, l’inconscience des tout jeunes enfants), situations qui portent en elles un chaos domestique à venir. Cette machine va donc, en toute logique, progressivement se détraquer.
Un chien enfui à la poursuite d’une menace inconnue, une porte ouverte la nuit, le soupçon qu’un des personnages soit contaminé, l’injuste repli, contre parfois toute raison et toute humanité, sur le clan familial au détriment des autres, vont précipiter la catastrophe. Les réflexes ataviques déterminés par les liens du sang sont peut-être la première forme de la barbarie.
It comes at night - Bande-annonce VF
Film américain de Trey Edward Shults. Avec Joel Edgerton, Riley Keough, Christopher Abbott (1 h 37). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/it-comes-at-night