« Harry Potter » a 20 ans : « un référentiel », « une partie de mon identité », « une béquille »
« Harry Potter » a 20 ans : « un référentiel », « une partie de mon identité », « une béquille »
Le premier tome de la célèbre saga de J. K. Rowling fête ses 20 ans. Des lecteurs racontent pourquoi elle les a marqués.
Une fan de la saga « Harry Potter », à Londres. | NEIL HALL / REUTERS
Combien sont-ils, ces jeunes « moldus » mordus de Harry Potter, à avoir, à chaque rentrée scolaire, espéré recevoir une lettre de Poudlard ? A avoir grandi avec le sorcier à lunettes rondes et connu leurs premiers émois de lecture grâce aux potions distillées dans la célèbre saga de J. K. Rowling ? Combien de nuits blanches passées sous les draps à la lumière d’une torche pour dévorer chaque nouveau tome, parfois directement en anglais ?
Vous êtes, en tout cas, plus de six cents lecteurs à avoir répondu à notre appel à témoignages lancé à l’occasion des 20 ans du premier tome, Harry Potter à l’école des sorciers. Six cents à nous avoir, pour la plupart, raconté à quel point les aventures du sorcier vous avaient marqués et accompagnés.
Envie de lire et quête identitaire
Harry Potter, c’est d’abord le marqueur de toute une génération, le « compagnon d’encre et de papier » de ceux qui ont aujourd’hui 25-30 ans et ont grandi avec lui, découvrant le goût de la lecture, apprenant l’anglais pour mieux apprécier les néologismes de cet univers parallèle.
Une génération « qui en discutait passionnément dans les cours de récré et qui aujourd’hui encore (…) retombe en enfance dès qu’on en parle », résume Benoît L., 25 ans, dont les livres sont « écornés » d’avoir été « lus et relus » par ses sœurs et lui. La page de la mort de Sirius Black – le parrain de Harry – a d’ailleurs gardé les stigmates du chagrin d’une de l’une d’elles.
Fanny B., 26 ans, professeur de géographie à Tournai (Belgique), a découvert cet univers à l’âge où Harry faisait lui-même son entrée à l’école des sorciers. « J’avais l’impression de vivre les mêmes choses, d’avoir les mêmes problèmes », raconte la jeune femme qui, « encore aujourd’hui », reste « guidée par cette histoire ».
« Cette quête identitaire que Harry connaissait, je la vivais en même temps que lui : entrée au collège, moqueries, premiers amours, grandes histoires d’amitié, devoirs, professeurs, recherche de soi, affirmation de sa personnalité… », témoigne aussi Justine H., 25 ans, pour qui « Harry, Hermione et Ron sont devenus des amis ». Des amis qui ne sont pas pour rien dans le choix de son métier : bibliothécaire spécialisée en jeunesse.
Un « référentiel commun »
Le groupe de sorciers a aussi « accompagné le passage à l’adolescence puis à l’âge adulte » de Carla G., étudiante de 22 ans, pour qui la saga est « indissociable » de la personne qu’elle est devenue. « Le génie de J. K. Rowling » l’a initié « aux valeurs », témoigne la jeune fille, à l’image d’Alexia Z., 26 ans et professeure de français, qui dit y avoir appris « le respect, la tolérance, la bienveillance, la compassion, la patience ».
« L’univers de Harry Potter reste un référentiel commun pour nombre des gens de notre génération. Cela fait partie de mon identité », résume Léa S., 26 ans, pour qui « la lecture de ces livres fut probablement la partie la plus palpitante de [s]on adolescence monotone ».
Au-delà d’une joie de lecture, l’univers de Harry Potter a aussi représenté pour certains « un refuge quand la vie en vrai était trop compliquée ». Pauline J., qui a perdu son père lorsqu’elle était lycéenne, y a ainsi trouvé « un pansement et une béquille » : « les mots de Rowling m’ont bien aidée. »
Transmission familiale
Mais Harry Potter n’est pas que l’apanage d’une génération. Il représente aussi un lien entre fratries, parents et enfants, et même grands-parents. Certains profitent d’être désormais parents pour s’y replonger avec gourmandise et redécouvrir les aventures de leur sorcier préféré à travers les yeux de leurs enfants.
D’autres l’ont découvert sur le tard, comme Julien K., 37 ans, ingénieur à Versailles (Yvelines), dubitatif au début, puis « converti » par sa femme au point de convertir à son tour leurs enfants de 7 ans et 4 ans, « ravi de partager cela avec eux » : « je leur lis les livres avant de leur passer les films. Je suis ébahi par la passion que peut avoir mon fils de 4 ans pour cette œuvre qui n’est pourtant pas de son âge. »
Un moment de partage et de transmission, c’est aussi le cas pour Anna C., bibliothécaire de 36 ans à Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) qui a découvert Harry Potter sur le tard, « voulant comprendre son succès littéraire ». Aujourd’hui, son mari et elle « prolongent le plaisir » en transmettant leur passion à leur fils, « tout aussi accro qu’[eux], maintenant ».
Harry Potter aura aussi représenté « une heureuse parenthèse quotidienne » dans la vie de mère de Brigitte, Lilloise de 56 ans, « à l’heure de l’histoire, ce moment particulier de la journée précédant le coucher auquel mon fils tenait autant que moi ».
Jean-Pierre T., 74 ans, l’a, lui, découvert en tant que grand-père, pour pouvoir échanger avec ses petits-enfants « sur leur sujet favori du moment ». Il était content d’y découvrir, dans les derniers volumes, un moyen d’évoquer aux plus jeunes notre histoire, comme la montée du totalitarisme, « sans qu’il soit nécessaire de leur imposer cette vision ».
« Tu constates, ébahi, que tu as lu plus de cent pages »
Si elle peut être utile pédagogiquement, la saga est avant tout applaudie pour avoir donné le goût de la lecture à des millions de jeunes. A l’image de Mélanie D., éducatrice spécialisée de 24 ans, qui a découvert « le plaisir de commencer un livre et d’être incapable de le lâcher jusqu’à la dernière page ». Depuis qu’elle a découvert Harry Potter, à 7 ans, Julie, lycéenne de 17 ans, n’a jamais « passé une journée sans un livre à portée de main ».
« Mauvais élève incapable de se concentrer », n’ayant « jamais pu lire le moindre livre » ni « pu écrire la moindre ligne », Armand B. est, lui, tombé un jour sur le premier tome alors qu’il devait ranger une armoire en guise de punition. Cet Harry Potter dont parlait « toute la cour ». « Mais toi, tu ne liras jamais. Tu en es incapable », se dit-il alors, avant de se décider à feuilleter quelques pages. « Tu relèves les yeux pour la première fois depuis des heures et tu constates, ébahi, que tu as lu plus de cent pages. (…) C’est alors que tu comprends que tout vient de changer, pour toujours », raconte-t-il, en se remémorant la scène avec émotion.
Un outil pour progresser en anglais
En plus de leur donner le goût de la lecture, le petit magicien a réussi à faire progresser de nombreux jeunes en anglais, pour ne pas avoir à attendre la sortie des livres dans la version française. C’est le cas d’Anne-France R., 28 ans, chargée de communication à Rennes : « Cela permettait d’avoir l’histoire en avant-première sur les copines ; et bien sûr, quand la version française sortait, je me replongeais dedans avec délice. »
Marion B., 32 ans, formatrice à Nantes, y a fait sa première « lecture dans le texte » et y a trouvé « un formidable outil d’apprentissage ». « Le vocabulaire utilisé est simple mais riche. Si on ne comprend pas un mot, on est sûr de le retrouver et de le comprendre dans un autre contexte. Non seulement j’ai été bien plus embarquée dans ce monde magique par la version originale, mais en plus, ces romans m’ont ouvert la porte à d’autres lectures dans le texte. »
Les « Potterhead »
Une fan de « Harry Potter » au Royaume-Uni. | NEIL HALL / REUTERS
Au-delà de tous ceux qui restent marqués par la saga, on trouve aussi les fans inconditionnels qui ont relu les tomes de « leur bible un nombre incalculable de fois », en attendant la sortie du prochain ou pour faire le deuil de la fin de la saga. Certains sont tellement accros à l’univers qu’ils tentent d’en prolonger un peu la magie : ils se surnomment eux-mêmes les « Potterhead ».
Certains vivent leur passion en allant visiter les lieux consacrés à la saga, en collectionnant les produits dérivés, d’autres écrivent des « fanfictions » – terme utilisé pour décrire des récits d’amateur dérivés d’une œuvre.
« Nous faisions des quiz ridiculement difficiles, tellement nous connaissions les moindres détails de l’histoire », se remémore Audrey M., qui faisait partie d’une communauté sur Internet et rencontrait d’autres fans partout en France au cours de journées spéciales. La trentenaire écrit des « fanfictions », « moyen de prolonger la passion, de faire durer la magie ». Et rapporte de chacun de ses voyages un tome dans la langue du pays visité.
« Encore aujourd’hui, la saga m’a menée jusqu’en Floride, pour le parc d’attractions Harry Potter, et cet été en Ecosse, avec mon petit ami qui partage la même passion, où nous comptons bien retrouver le château qui a inspiré l’école [Poudlard] ! », témoigne aussi Eva M., qui dit s’être intéressée à la philosophie « en découvrant les rapports entre l’univers d’Harry Potter et ceux de Platon, Sartre et Nietzsche ».
Un lien mis en évidence par Marianne Chaillan, chargée de cours en philosophie à l’université d’Aix-Marseille : dans son livre Harry Potter à l’école de la philosophie (Editions Ellipses, 2014) elle a montré que bon nombre de préceptes philosophiques se déploient dans la série et que la saga a, elle-même, sa propre philosophie : « L’œuvre de J. K. Rowling n’est qu’une grande confrontation avec la question suivante : comment faire devant l’effroyable certitude de la mort ? »