Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, au palais de l’Elysée, vendredi 10 mai 2019. / POOL / REUTERS

A la sortie de leur entrevue, vendredi 10 mai, Emmanuel Macron et Mark Zuckerberg ont tenu à se féliciter de la démarche inédite initiée un an plus tôt sur la régulation des contenus haineux sur les réseaux sociaux. Après la remise des propositions des représentants des régulateurs, qui ont étudié les méthodes de modération au sein de Facebook, l’heure est à la transposition dans des mesures. Et des premiers points de vigilance et de divergence ont déjà été soulignés par le fondateur de Facebook. La négociation commence.

A l’issue de la rencontre, devant un petit groupe de journalistes, dont Le Monde, Mark Zuckerberg a déclaré :

« Nous avons lancé cette expérimentation [avec le gouvernement français], et nous avons été très impressionnés par le sérieux de leur travail pour comprendre les systèmes que nous avons mis en place, et les défis que ces questions représentent. Je me sens conforté et optimiste vis-à-vis du futur cadre juridique qui sera mis en place. Ça va être difficile, il y aura des choses avec lesquelles nous ne serons pas d’accord, mais pour que les gens aient confiance en Internet, il doit y avoir de bonnes régulations. »
  • Le montant des sanctions

Concrètement, un premier désaccord concerne le montant des sanctions prévues dans le rapport remis vendredi, en cas de manquement aux obligations de transparence et d’application de la modération des contenus haineux : jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

« Cela a l’air d’être le nouveau standard qui est copié-collé dans toutes les régulations », a commenté Richard Allan, responsable des affaires publiques de Facebook, en référence au même niveau de sanction mentionné dans le règlement européen sur la protection des données (RGPD) et la proposition de loi sur les contenus haineux de la députée Laetitia Avia. Sur ce dernier texte, Facebook avait déjà fait savoir qu’il trouvait le recours au chiffre d’affaires mondial excessif.

« Il devrait y avoir des sanctions, mais liées à une forme de cadre national plutôt que global. Sinon vous pourriez avoir vingt-cinq pays qui vous mettent une amende de 4 % de votre chiffre d’affaires pour le même manquement, et cela ferait 100 % du chiffre d’affaires », a argumenté M. Allan.

  • L’accès à l’information interne et aux algorithmes

Une deuxième mise en garde concerne les « larges pouvoirs d’accès à l’information détenue par les plates-formes » que le rapport veut accorder au régulateur (Conseil supérieur de l’audiovisuel ou autre). Il est prévu des « audits » mais aussi des « accès privilégiés » aux algorithmes du réseau social.

« Quel sera le niveau d’intrusion des demandes formulées par le régulateur pour accéder à des données sur les performances de nos systèmes ? », s’est interrogé M. Allan, imaginant le cas de demandes touchant des données « non pertinentes » aux missions de régulation ou des « sujets commerciaux sensibles ». « Comment cela fonctionnera-t-il en pratique ? Nous demander de donner toutes les communications des employés de Facebook, ce n’est pas possible. Or, si vous regardez la manière dont c’est formulé dans le rapport, cela peut être interprété comme cela », a-t-il poursuivi, se disant aussi vigilant sur « l’accès aux algorithmes ».

  • L’harmonisation des régulations nationales

De plus, M. Allan a salué la volonté du rapport de parvenir à un cadre harmonisé au niveau européen, tout en rappelant que, toujours selon le rapport, l’Etat devant lequel Facebook (ou tout autre grand réseau social) pourrait être tenu responsable doit être celui où « le dommage [lié au contenu publié] se produit ». Ce qui fait craindre à M. Allan un patchwork de critères différents. « Les normes en matière de régulation des contenus varient beaucoup entre les pays. (…) Si nous devons travailler avec de nombreux régulateurs, cela sera fastidieux. »

  • La notion de délai avant le retrait d’un contenu

Enfin, Mark Zuckerberg a exprimé des réticences sur un point important de la proposition de loi Avia : le délai laissé aux plates-formes pour supprimer un contenu haineux « manifestement illicite », qui est actuellement fixé à vingt-quatre heures. C’est aussi le délai inscrit dans la loi allemande, un texte assez répressif qui, selon Facebook, pousse les réseaux sociaux à censurer des propos légaux pour éviter les lourdes sanctions.

Le patron de Facebook a insisté sur le fait que le nombre de fois où un contenu est vu ou partagé pouvait être plus important que le temps pendant lequel il restait en ligne. « M. Zuckerberg préférerait que la notion de délai ne figure pas dans la loi, quand le signalement d’un contenu problématique a été fait par un internaute lambda, a précisé l’Elysée après la rencontre, tout en réfutant l’idée d’une « divergence ». Il est ouvert à la notion de délai dans les cas de signalements faits par des autorités de police ou par un régulateur. » Est-ce une ouverture vers l’idée de distinguer les mesures en fonction du type de signalement ?

L’Elysée a laissé entendre que des modifications pourraient être apportées au texte porté par la députée Laetitia Avia : le gouvernement « travaille étroitement » avec elle pour déterminer les dispositions qui peuvent être maintenues, celles qui doivent être modifiées en raison du rapport remis vendredi et celles qui doivent être ajoutées.