Itinéraire d’une copie de bac
Itinéraire d’une copie de bac
Par Eric Nunès
Elles sont près de 4 millions, précieuses feuilles de papier, qui cheminent chaque année de main en main en juin et juillet. Vivez la vie d’une copie du bac.
Vie et mort d’une copie du baccalauréat. | AFP/FREDERICK FLORIN
Elles sont des millions et pourtant sont précieuses, ce sont les copies du bac. Elles cheminent des presses des imprimeurs aux coffres des centres d’examens, en passant par les doigts fébriles des lycéens et le regard affûté des correcteurs. Elles connaissent un parcours immuable et encore secret. Itinéraire d’une copie de bachelier.
Pour cette session, l’éducation nationale avait prévu d’en distribuer quelque 4 millions d’exemplaires au total, réparties dans les 26 académies de métropole et les administrations des territoires d’outre-mer. Qui s’est chargé de leur impression ? Motus. Les personnes qui ont exécuté le travail de reprographie de tous les documents servant aux examens « sont soumises à un accord de confidentialité », souligne un porte-parole du ministère. Dans le collimateur de l’éducation nationale : la triche. En effet, dans un univers hyperconnecté où la fraude peut ressembler à un concours d’espionnage, les smartphones et les lecteurs MP3 sont les nouveaux outils des tricheurs (34 %). Toutefois ils subissent toujours la concurrence de la bonne vieille antisèche. Cette dernière représente encore 28,04 % des tentatives repérées en 2016, et quoi de mieux qu’une copie de bac vierge pour copier les cours et tromper la vigilance des examinateurs ?
Pour court-circuiter les « petits malins » qui souhaiteraient détourner quelques feuilles avant les épreuves, les lieux d’impression et de stockage sont gardés « secrets », souligne une porte-parole du ministère, et la distribution aux centres d’examens « contrôlée », précise Vincent Goudet, directeur du SIEC, la maison des examens francilienne.
En avril, le convoyage des copies vierges
C’est en avril qu’a lieu le convoyage des précieuses copies (vierges) vers les établissements. Pas de véhicule blindé pour les déposer aux centres d’examens, mais instruction est donnée aux proviseurs de les conserver en lieu sûr. Hors de question, par exemple, qu’elles soient utilisées pour les bacs blancs. La tentation de les détourner pour les épreuves réelles pourrait être trop forte.
Cette année, la vraie vie des copies a commencé jeudi 15 juin, avec l’épreuve de philosophie. Alors que les candidats se creusent les méninges sur le passé, la politique ou les textes de Foucault, Hobbes ou Rousseau, les examinateurs ont pour instruction de surveiller la distribution de feuilles vierges et de ne les donner qu’une à une, quitte à ralentir la fougue des plus prolixes.
L’étape suivante est la correction. Comment s’assurer d’un traitement le plus égalitaire possible, tout en se fiant à l’aléa d’une correction humaine ? Les copies sont brassées, puis anonymisées pour que seul reste au regard du correcteur le numéro du candidat et celui du jury. Un professeur peut-il reconnaître l’écriture d’un de ses élèves ? « Non, répond Vincent Goudet, les professeurs sont déplacés et ne peuvent être en charge des copies de leur lycée. » Le centre d’examens, qui centralise 4 à 6 lycées, constitue des paquets de copies homogènes en fonction des différents établissements réunis ; puis il les distribue aux professeurs.
Cinq euros brut la copie
Riches des consignes distillées par les inspecteurs d’académie, qui veillent à l’homogénéité des notations, c’est une fois rentrés chez eux, une valise de copies sous le bras, que les profs se muent en machines à corriger. Le nombre de copies confié à chacun est variable, de 60 à 160 selon les matières. Le vivier de correcteurs en philosophie étant le plus mince, ceux-ci héritent généralement des paquets les plus importants. Consolation, ils sont rémunérés à l’unité, cinq euros brut par copie notée, qui s’ajoutent à leur salaire habituel.
Stylo (souvent rouge) en main, l’un des 170 000 correcteurs biffe, souligne, commente jusqu’à la fin du mois de juin… Mais il ne note pas, du moins pas définitivement. En effet, il est interdit d’inscrire une évaluation définitive en amont de la réunion « d’harmonisation », prévue cette année le 2 juillet. Ce jour-là, les inspecteurs s’assurent qu’il n’y a pas de décalage important de notation entre les correcteurs. Dans le cas où l’un d’eux s’avère plus sévère que ses confrères, « on lui demandera de relever un peu sa moyenne », témoigne Vincent Goudet. Les notes des milliers de candidats lissées, les correcteurs sont autorisés à les saisir sur un site Web de l’éducation nationale.
Jury et filet humain
Les copies quittent le bureau du correcteur le 4 juillet, date à laquelle il les rapporte au centre de correction. Mais ce n’est pas fini : un jury se réunit et consulte résultats et dossiers de chaque candidat. La raison d’être de cet aréopage : déployer un parachute humain face aux rudesses de l’arithmétique. Dans le cas où un candidat habituellement valeureux échoue à quelques dixièmes de points du bac, le jury suggère à un correcteur de relever son comptage et d’offrir ainsi le précieux sésame vers l’enseignement supérieur.
Mercredi 7 juillet, la vie active des copies s’achève avec l’annonce des résultats du bac. Ce qui n’empêche pas les mécontents, les déçus, les recalés de consulter leur prose. Mais il faut faire vite, elles quitteront bientôt le centre d’examens, direction l’académie. Les 4 millions de copies 2017 finissent, en effet, leurs vieux jours dans les rectorats. Elles y sont conservées presque une année, afin de pouvoir répondre aux dernières réclamations.
En effet, moyennant la somme de 2,50 euros, les candidats peuvent réclamer une copie… de leur copie, le plus souvent pour « vérifier une erreur de report de note », confie M. Goudet. En cas de rectification (quelques dizaines de cas par million de notes attribuées, selon un rectorat), le bac, ou une mention, peut être accordé… C’est là la dernière mission avant disparition. Au premier jour de l’épreuve du bac 2018, l’intégralité des copies de la session en cours sera détruite. Ce qui n’exclut pas une nouvelle vie : en Ile-de-France, la Maison des examens fait actuellement recycler son million de copies de l’an dernier. Les dissertations de philo, les perles d’histoire-géo et les savants calculs des copies de maths du bac 2016 se réincarneront bientôt sous une autre forme, parmi lesquelles calendrier, papier à lettres, ou encore papier toilette…
Cet article est une version actualisée d’un texte publié une première fois à l’occasion du baccalauréat 2015.