« Nés par GPA à l’étranger, nos enfants sont des fantômes » : les parents racontent
« Nés par GPA à l’étranger, nos enfants sont des fantômes » : les parents racontent
Par Anna Villechenon
Absence de filiation, problèmes administratifs, droits sur l’enfant… Plusieurs parents d’enfants nés par GPA à l’étranger racontent les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.
Dans une maternité de Caen, le 17 février 2009. | MYCHELE DANIAU / AFP
Quand elle évoque sa maternité, Alice a dû mal à contenir son émotion, tant la douleur est encore présente. « Quand la justice a refusé de transcrire l’acte de naissance de nos enfants sur les registres de l’état civil français, c’est comme si on m’avait rendue stérile une deuxième fois », dit-elle, des sanglots dans la voix. Née sans utérus, elle a d’abord voulu se tourner vers l’adoption avec son compagnon Lucas (les deux prénoms ont été modifiés). Mais, très vite, le couple constate que c’est « quasi impossible en France, et très compliqué à l’international, car les pays se ferment un à un ». « Il ne nous restait que la gestation pour autrui. Il faut être fou ou désespéré pour en arriver là. Pour moi, c’était la seule solution pour ne pas mourir intérieurement », souffle-t-elle. La GPA, possible dans certains pays étrangers, est en effet interdite en France. Mercredi 5 juillet, la Cour de cassation a toutefois ouvert la voie à la reconnaissance légale de deux parents français pour les enfants nés d’une GPA.
En décembre 2015, les jumeaux d’Alice et Lucas, conçus avec le sperme de ce dernier et un don d’ovocyte, naissent au Canada par mère porteuse. Les noms d’Alice et de Lucas apparaissent sur l’acte de naissance canadien des enfants, qui portent leurs deux noms. Mais, de retour en France, la justice refuse de transcrire leur acte de naissance, et de leur délivrer un certificat de nationalité française. Et ce, malgré la circulaire Taubira de 2013, censée faciliter cette démarche quand la filiation d’un enfant avec un parent français est légalement établie à l’étranger. Par conséquent, leurs enfants n’ont ni carte d’identité ni passeport et n’apparaissent pas sur le livret de famille. « Nos enfants sont considérés comme des immigrés en France, ce sont des fantômes », déplore Alice, qui, si cela ne tenait qu’à elle, « partirait vivre au Canada. Au moins, là-bas, ils existent. »
C’est ce qu’ont choisi de faire Julien et Maroun, respectivement designer et ingénieur de 35 ans, expatriés aux Etats-Unis, afin de « fonder une famille dans les meilleures conditions possibles ». Le couple, qui a eu deux enfants, nés par GPA au Canada en 2015 et 2016, souhaite revenir en France. « Un jour. » Mais pas tant qu’ils ne seront pas reconnus tous les deux comme les parents de leurs enfants. « Aux Etats-Unis, nous sommes reconnus (…) Ce qui nous permet de vivre normalement. Si nous retournons en France, nous savons que nous allons nous exposer à beaucoup de complications administratives », anticipe Julien.
Justice et paradoxes
Le gouvernement se refusant à reconnaître de manière automatique les effets des contrats de GPA passés à l’étranger, il laisse de fait la justice trancher les dossiers au cas par cas. Quitte à créer des situations paradoxales. « Nos filles n’ont toujours pas de certificat de nationalité française, mais elles ont une carte d’identité et un passeport français », relate, non sans ironie, Jean-Noël, 35 ans, en couple avec Yannick, 39 ans, tous deux coiffeurs en Picardie. Leurs jumelles sont nées au Canada en avril 2016. Chacun est le père biologique de l’une d’elles, qui sont en revanche issues du même don d’ovocyte. Jean-Noël et Yannick, qui apparaissent tous les deux sur l’acte de naissance, ont fait le choix de ne pas connaître les liens de sang qui les unissent à leurs filles, considérant qu’ils ont deux enfants, sans distinction.
S’ils faisaient un test ADN, ils pourraient chacun être reconnu en tant que père d’une de leurs deux filles – celle avec qui ils ont un lien de sang. « Hors de question, s’insurge Jean-Noël. J’ai la chance d’avoir deux enfants, je ne vois pas pourquoi je n’en reconnaîtrais qu’un. Ce n’est pas le lien biologique qui fait qu’un enfant devient le vôtre, ce sont l’amour et les valeurs que vous lui donnez. »
Malgré cette absence de filiation, les deux hommes ne rencontrent pas de difficultés majeures dans leur quotidien. Leurs filles sont inscrites à la sécurité sociale – après avoir refait le dossier plusieurs fois – et auprès de la caisse d’allocation familiale. Mais ils savent que rien n’est acquis. « Par exemple, nous sommes partis cet hiver en vacances en Espagne tous les quatre. On a failli ne pas pouvoir monter à bord de l’avion, car l’aéroport nous a demandé le livret de famille. Or, nos filles n’y apparaissent pas. Nous étions pourtant en règle puisqu’elles ont des passeports. Finalement, après négociations, un responsable nous a dit que “c’était bon pour cette fois-ci” », raconte Jean-Noël, encore incrédule.
« Une épée de Damoclès au-dessus de la tête »
Cet incident leur rappelle qu’ils ont une « épée de Damoclès au-dessus de la tête ». « Comment ça se passera pour l’inscription à l’école ? Est-ce que leurs papiers seront renouvelés ? En cas d’opération médicale suite à un accident, qui prend la décision ? Si on meurt tous les deux, que deviendront-elles ? Si l’un de nous deux meurt, on ne pourra récupérer que notre enfant biologique, que deviendra l’autre ? Et pour hériter, devront-elles payer des droits de succession ? », énumère Jean-Noël.
Jean, professeur des écoles, et David, commerçant, tous deux âgés de 38 ans, ont déjà eu affaire à l’une de ces situations. Leur fils, né par GPA en Californie en 2016, a dû subir à trois mois une lourde opération dans un hôpital parisien. « Heureusement que l’hôpital Necker n’a pas fait d’histoires, car la filiation n’était reconnue que pour l’un d’entre nous. Imaginez les visites interdites en réanimation pour celui qui n’est pas papa officiellement », confie Jean. Ce dernier vient de lancer les démarches pour adopter son fils, une possibilité acceptée par la Cour de cassation mercredi 5 juillet. En attendant, il n’a officiellement aucun droit sur lui. « S’il arrivait un malheur au papa légal, que ferait l’autre avant le jugement d’adoption ? Et en cas de séparation ? », s’inquiète-t-il. Avant de conclure, amer : « Finalement, les parents de mon mari ont pour l’instant plus de droits que moi », puisque ce sont eux qui pourraient récupérer notre enfant dans ces cas-là, tant que l’adoption n’est pas prononcée. « Ça n’a l’air de rien comme ça, mais cette instabilité peut se transformer en tempête en cas de problème », souligne Jean.
Stéphane et Laurent ont eux aussi choisi l’option de l’adoption. Sur les conseils de leur avocat, ils n’ont fait inscrire que le nom du premier sur l’acte de naissance américain de leur fille, avec qui il a un lien biologique. L’objectif : obtenir la transcription de l’acte de naissance sur les registres de l’état civil, puis lancer une procédure d’adoption pour le père dit « d’intention », le couple étant marié – « une décision pragmatique », selon Stéphane. Hormis une procédure plus longue pour rattacher sa fille à la sécurité sociale, avec l’avance des frais médicaux – environ 2 000 euros – que cela engendre, le couple, qui habite la capitale, ne rencontre pas de difficultés au quotidien. « Les médecins, la directrice de la crèche, etc. tous cherchent à nous simplifier la vie, ils disent avoir l’habitude, pointe Stéphane. C’est peut-être plus le cas à Paris, mais de manière générale, la société civile est en avance sur la justice ».