Kenji Kamiyama | DR

Entré dans l’industrie de l’animation japonaise il y a un plus de trente ans, le réalisateur Kenji Kamiyama a aiguisé son savoir-faire sur plusieurs métiers de la chaîne, des décors aux scénarios. Disciple de Mamoru Oshii (Patlabor, 1988, Ghost in the Shell, 1995, ...) dans les années 1990, il s’est vu confier la décennie suivante un lourd héritage : adapter en série la suite de la saga Ghost in the Shell, œuvre culte de la « japanim ». Invité de la Japan Expo, qui se tient jusqu’au dimanche 9 juillet, au parc des Expositions de Villepinte, le réalisateur venait promouvoir son nouveau film d’animation, Hirune Hime, qui sort dans les salles françaises mercredi 12 juillet.

Vous avez exercé plusieurs métiers dans l’animation, notamment dans les décors. Qu’est-ce que cela apporte désormais à votre réalisation ?

Kenji Kamiyama : C’est surtout dans la communication avec mon équipe décors que cela me sert beaucoup. Les décors sont extrêmement importants dans le cinéma. Avec mon expérience dans ce domaine, et maintenant que je suis réalisateur, je sais désormais leur expliquer ce dont j’ai besoin, non seulement sur le contenu, mais surtout d’un point de vue technique, de faire des demandes concrètes.

Vous avez travaillé notamment avec Mamoru Oshii. Comment le décririez-vous en tant que réalisateur, qu’avez-vous appris de plus important à ses côtés ?

J’ai un immense respect pour le réalisateur qu’est Mamoru Oshii, j’aime beaucoup son travail. Mais, en réalité, je n’ai jamais directement travaillé avec lui. En revanche, j’ai beaucoup visionné ses films, et ce sont eux qui m’ont appris beaucoup de choses, notamment sur la manière pour un réalisateur de pouvoir insérer son opinion dans une œuvre. J’ai essayé de comprendre comment il parvenait à imbriquer ses idées. J’ai pu ensuite discuter avec lui et lui demander si j’avais vu juste. Il m’a aussi expliqué comment il parvenait à créer les histoires et la dramaturgie, ce qui m’a beaucoup appris.

Au début des années 2000, vous avez été chargé de la réalisation de la série Ghost in the Shell, Stand Alone Complex. N’était-ce pas trop stressant de reprendre un univers si populaire ?

Très curieusement, je n’ai jamais ressenti de pression. J’avais une sorte de pressentiment qu’un jour, tôt ou tard, je réaliserais une version de Ghost in the Shell. De plus, Stand Alone Complex avait l’avantage d’être une série avec beaucoup d’épisodes et une progression. Je pouvais raconter beaucoup de choses, et donc cela m’a plutôt enthousiasmé.

Ghost in the Shell : Stand alone complex | © 2002-2004 Shirow Masamune-Production I.G/KODANSHA

Qu’avez-vous pu apporter à l’œuvre canonique ? Beaucoup de spectateurs ont cru y percevoir un message politique...

L’auteur du manga originel, Masamune Shirow, a représenté l’héroïne, Motoko Kusanagi, comme une femme prête à avancer pour ses idées, quelles que soient les circonstances. La version de Motoko par Mamoru Oshii est une femme qui s’intéresse à son propre corps. Oshii a très bien raconté la quête et l’univers intérieurs de Motoko. Moi, ce qui m’intéressait, c’était la relation, le lien entre l’individu et le système.

C’est donc peut-être pour cela que les gens perçoivent un aspect politique dans Stand Alone Complex. Le monde a beaucoup évolué avec Internet et la mondialisation. Il a aussi beaucoup changé après la guerre froide. Les idéologies ont évolué. De ce fait, je me suis interrogé sur le sens de la vie des individus dans la société, dans une telle période de transition. Peuvent-ils rester eux-mêmes dans de telles conditions ? Comment peuvent-ils être ballotés par l’autorité en place ? Je voulais faire une sorte de simulation du monde du futur dans cette période politique mouvementée.

Plusieurs de vos œuvres explorent les nouvelles technologies. Kokone, l’héroïne de votre dernier film, « Hirune Hime », est une lycéenne qui, dans ses rêves, obtient des pouvoirs magiques grâce à sa tablette. Quel est votre rapport aux innovations techniques ?

Je m’intéresse plus largement au thème de la science, plus qu’à la technologie en elle-même. J’essaie d’en parler dans chaque film. Je vois les avancées technologiques comme un espoir pour l’homme et j’essaie de les représenter en tant que tel. Les gens se montrent très méfiants quand une technologie apparaît. Par exemple, aujourd’hui, on se demande si l’intelligence artificielle va faire disparaître certains métiers… Mais moi j’essaie de penser au-delà. De toute façon, notre histoire nous montre qu’à chaque fois que les êtres humains inventent quelque chose, ils ne reviennent jamais en arrière.

Quel est, selon vous, l’ingrédient essentiel d’un bon animé ?

Pour moi, la clé d’une bonne histoire réside dans la narration. Quand un film commence, il doit poser une grande question. Question qui peut d’ailleurs être très simple, comme « qui es-tu ? » Et il faut impérativement y répondre à la fin du film. Dans l’intervalle, il faut établir une série de questions-réponses au fil du film. Si cette structure est bien respectée, ce que l’on ne peut pas toujours faire, l’histoire devient intéressante.

Votre film « Hirune Hime, rêves éveillés » sort mercredi 12 juillet en France, quels en sont les thèmes principaux pour vous ?

Il y a beaucoup de thèmes dans ce film. Il y en a un auquel je tiens beaucoup pour des raisons très personnelles. C’est un film que je dédie à ma fille et que je tenais absolument à lui montrer. Je veux m’adresser à la jeune génération, qui a de plus en plus de difficultés à échanger avec ses aînés. Il y a une rupture intergénérationnelle. Mais ce que je veux lui dire, c’est que si elle fait un petit effort, qu’elle s’intéresse à ce qu’ont accompli les gens un peu plus âgés, la vie sera beaucoup plus riche.

HIRUNE HIME, RÊVES ÉVEILLÉS Bande Annonce (2017 - Animation Japonaise)

C’est une œuvre assez complexe à comprendre, notamment du fait qu’elle alterne conscience et rêve, réalité et imagination... Comment avez-vous gardé le cap pour essayer de ne pas perdre le spectateur ?

Quand j’ai monté ce projet, j’étais très conscient de la complexité de l’histoire, notamment avec ses multiples thèmes et le fait qu’il fallait faire évoluer deux mondes en parallèle. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai essayé de montrer toujours des liens entre chacun de ces deux mondes, essentiellement avec des ressemblances graphiques. Si le public perçoit cette règle, il pourra toute de suite entrer dans le film et comprendre en profondeur l’histoire. J’espère que ce sera le cas.