Loïc Varnet se souvient très bien du jour où il est entré pour la première fois dans le bureau de Vincent Lavenu. C’était en septembre 1999. Il avait regardé le Tour de France, celui de la première victoire de Lance Armstrong. « Pendant trois semaines, on nous avait parlé de Tour du renouveau. Chaque fois que j’entendais ça, mes poils se hérissaient. »

Le futur dirigeant avait un projet de club original. Pour le financer, il est allé voir deux hommes travaillés par leur conscience : le directeur sportif Vincent Lavenu, dont l’équipe Casino-AG2R avait été mise en cause lors du funeste Tour 1998, et le directeur du Tour, Jean-Marie Leblanc. La formation cycliste et Amaury Sport Organisation (ASO) mettront au pot pour lancer la machine.

Petit-lait et bonne parole

« J’ai proposé une équipe amateur à l’approche innovante, qui s’articulait autour de deux éléments : tous les jeunes auraient une formation universitaire et tous habiteraient à Chambéry, de manière à faciliter la transmission de valeurs, explique Loïc Varnet. Notre modèle, c’étaient les centres de formation des sports collectifs, particulièrement en rugby. » Dix-huit ans plus tard, le Chambéry Cyclisme Formation (CCF) est le meilleur club amateur français et Loïc Varnet en est le directeur général. Ses diplômés composent un tiers de l’effectif de l’équipe AG2R-La Mondiale, dont Vincent Lavenu est manager, et quatre des neuf coureurs de la formation blanche et bleue sur le Tour en sont issus : Romain Bardet, Pierre Latour, Axel Domont et Ben Gastauer.

Son modèle, reposant sur le double projet sport-études, reste pourtant unique dans le cyclisme français. Le club espère obtenir prochainement le label « centre de formation », comme celui attribué aux réserves des clubs professionnels de sports collectifs. Vincent Lavenu attend de cette homologation qu’elle « inspire d’autres équipes, car le projet est porteur de ­bonnes valeurs ».

Avant que le CCF n’affirme, depuis un an, sa suprématie sur les pelotons amateurs français, il y eut beaucoup de tâtonnements et de moqueries. Créée en septembre 2001, la structure a mis cinq ans à former un premier professionnel. L’explosion au plus haut niveau de l’un de ses « diplômés », Romain Bardet, l’a amenée dans une autre dimension, celle d’une équipe formatrice désormais prisée. En 2016, Loïc Varnet a reçu 66 candidatures pour six places, dont un tiers venues de pays étrangers. « Quand des coureurs comme Bardet prêchent la bonne parole en disant qu’ils ont besoin de poursuivre leurs études pour être efficace, on boit du petit-lait, reprend le directeur général. Son exemple vaut plus que ma parole. »

Ils sont logés, nourris, blanchis, entraînés, aidés dans leur scolarité et disposent de services médicaux et d’un matériel haut de gamme

La possibilité de poursuivre ses études est, selon Loïc Varnet, « l’élément différenciant » qui lui permet de recruter d’excellents espoirs, malgré l’absence de rémunération des coureurs. Il est même recommandé à ceux-ci d’apporter un sponsor personnel. En échange, ils sont logés, nourris, blanchis, entraînés, aidés dans leur scolarité et disposent de services médicaux et d’un matériel haut de gamme. Le coût par coureur est d’environ 30 000 euros par an. « Ceux qui acceptent ce fonctionnement ont déjà, dans leur éducation, un certain recul sur la place du vélo dans la vie. Le fait qu’ils poursuivent leurs études permet de dédramatiser l’enjeu et de s’extraire des tentations du dopage », estime Loïc Varnet.

Chaque année, l’un des quinze coureurs – parfois deux – passe professionnel chez AG2R-La Mondiale, à condition d’avoir validé ses études par un diplôme. « Quand ils rentrent chez nous, ils sont déjà dégrossis sur le plan physique mais aussi moral », souligne Vincent Lavenu. Son équipe, basée elle aussi à Chambéry, contribue pour moitié (en argent et en soutien matériel) au budget du CCF, de l’ordre de 600 000 euros par an.

Axel Domont, lui aussi formé au CCF, franchit la ligne d’arrivée de la deuxième étape du Tour de France à Liège (Belgique), le 2 juillet. (AP Photo/Peter Dejong) | Peter Dejong / AP

Malgré les enjeux de carrière, l’ambiance reste étonnamment bonne au sein du club chambérien, témoignent les connaisseurs du monde amateur. Notamment parce que, à l’inverse des autres clubs, tous les coureurs résident au même endroit. Pierre Latour fut une exception, lui qui dut rester à Romans-sur-Isère (Drôme) pour valider son BTS électrotechnique, mais il ne faisait pas l’impasse sur les longs trajets collectifs à travers la France. Son ami Axel Domont décrit ses trois saisons à Chambéry comme ses « plus belles années de vélo ».