En Afrique, la fraude aux examens est plus étudiante que lycéenne
En Afrique, la fraude aux examens est plus étudiante que lycéenne
Par Odon Vallet
Le philanthrope Odon Vallet estime que la tricherie est plus répandue dans l’enseignement supérieur car chaque université s’organise comme elle l’entend.
Les candidats au baccalauréat ont-ils fraudé ? En France comme en Afrique, c’est peu probable. Dans l’Hexagone chaque année, moins d’un candidat sur mille fait l’objet d’une suspicion de tricherie. Le faible taux d’échec n’incite guère à frauder. A quoi bon prendre des risques élevés de sanctions, si on est presque sûr de réussir à l’examen ? Il en est de même pour le brevet des collèges, quasiment donné aux candidats alors qu’on trouvait encore, il y a une douzaine d’années, des antisèches sur la chasse d’eau des toilettes de centres d’examen.
Mais cette honnêteté des 700 000 candidats français vaut-elle pour le million de candidats francophones africains ? Dans l’ensemble, oui. On connaît certes des cas de tricherie, notamment dans des pays subsahéliens comme le Niger, mais l’anonymat des copies et des correcteurs rend la fraude difficile. On n’achète pas le correcteur ni d’ailleurs l’examinateur, puisque l’oral joue un rôle très faible dans la notation. Et, en cas de fraude massive, les épreuves sont annulées.
Un trafic lucratif de « faux papiers »
Mais la vraie tricherie africaine commence après la publication des résultats. Avec un bon scanner, certains falsifient leurs résultats et s’attribuent une mention « très bien ». Dans des pays où le taux d’échec est de l’ordre de 70 %, la tentation est grande. Ce trafic lucratif de « faux papiers » est heureusement risqué car, comme en France, les services des examens mettent en ligne les vrais résultats. Des fonctionnaires civils ou militaires africains exhibaient de faux brevets au bac pour être admis dans la fonction publique. Mais les gouvernements ont désormais les moyens informatiques de confondre les fautifs.
Et dans l’enseignement supérieur, la fraude est très répandue en Afrique puisque, à défaut d’examens nationaux, chaque université ou faculté s’organise comme elle l’entend, sans oublier les écoles privées qui, comme en France, relèvent du business autant que de la pédagogie. Les ruses des enseignants sont innombrables. Certains organisent des petits cours payants où, comme par hasard, on étudie le sujet qui tombera à l’examen. D’autres ont un site Internet auquel il faut s’abonner pour disposer d’informations nécessaires au succès. Lesdites informations peuvent aussi être communiquées aux étudiantes acceptant les avances d’un enseignant.
Enfin, l’adoption du système 3-5-8 (licence, master et doctorat) à la demande de nombreuses ambassades de France a eu des effets pervers. En prolongeant la durée des études, en exigeant de nombreux mémoires de licence ou de master, on multiplie les occasions de corruption. Les dates de soutenance sont d’autant plus éloignées que l’étudiant ou l’étudiante refuse de payer des frais souvent imaginaires. Et pour être presque sûr d’avoir son diplôme, on peut s’adresser à un camarade de haut niveau, sorte d’écrivain public, qui rédige moyennant finance des textes sur mesure.
Une gigantesque escroquerie
Le record est sans doute celui d’étudiants béninois qui ont obtenu un master d’une école privée avec un diplôme agréé par une université catholique française, alors qu’ils n’avaient pas écrit une ligne de leur mémoire, rédigé en fait par le directeur de l’école et qui, avec l’argent des étudiants, s’était offert une superbe villa dédiée au fondateur du Christianisme céleste. Les étudiants de ladite école avaient élu une miss, élection financée par une gigantesque escroquerie de type pyramide de Ponzi. Si le pape avait été au courant, il aurait sans doute demandé la démission de l’évêque français responsable de ladite université.
Car, en Europe, la fraude peut coûter cher. Michelle Bergadaa, professeur à l’université de Genève, anime un groupe de lutte contre le plagiat et la fraude dont les travaux, repris par la presse, ont conduit à la démission des ministres allemand et autrichien, qui se faisaient appeler « Herr Doktor » alors qu’ils n’avaient pas rédigé une ligne de leur thèse. Le même sort attendait une présidente de l’université française du Pacifique qui avait utilisé des « nègres littéraires » rebaptisés aujourd’hui « prête-plume ».
Et, en Afrique, de nombreux chefs d’Etat ont multiplié les doctorats en toute impunité avec parfois la complicité des universités françaises. Untel se dit docteur en économie de Paris-Dauphine où il n’a jamais mis les pieds, tels autres utilisent le mot magique de Sorbonne quand ils sont diplômés d’une modeste université de province. Bref, la fraude est bien des deux côtés de la Méditerranée. Car on y rencontre le même problème des nouvelles technologies. Quand on peut faire son mémoire ou sa thèse sans quitter Wikipédia ou ses équivalents, où est le travail personnel ? Que l’on soit africain ou européen.
Odon Vallet est écrivain et enseignant, doctorant en droit et en sciences des religions. Administrateur de la société des lecteurs du « Monde », il dirige la Fondation Vallet qui, depuis 2003, a remis près de 12 000 bourses à des étudiants béninois.