Michel Barnier, le négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit, à Bruxelles, le 12 juillet 2017. | FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Posé, courtois mais ferme, filant comme d’habitude la métaphore montagnarde, Michel Barnier, le négociateur en chef de l’Union européenne (UE), a pressé les Britanniques d’entrer de plain-pied dans la négociation du Brexit, lors d’une conférence de presse mercredi 12 juillet. A cinq jours du début d’un deuxième cycle de discussions à Bruxelles, le Savoyard espère surtout que Londres va accepter de commencer à discuter du « chèque » à régler pour le divorce : les engagements financiers pris par le pays dans le cadre européen et dont il devra s’acquitter – estime t-on à Bruxelles – avant de prendre le large.

« Il est indispensable que le Royaume-Uni reconnaisse l’existence d’obligations financières qui découlent simplement de la période durant laquelle il est membre de l’UE », a précisé l’ex-commissaire au marché intérieur et aux fonds structurels. Selon nos informations, lors du premier cycle de discussions, le 19 juin à Bruxelles, David Davis, l’alter ego de M. Barnier à Londres, n’a pas clairement admis que le Brexit aurait un coût pour les citoyens britanniques, et qu’il faudrait en discuter franchement avec les Européens. Mardi 11 juillet, Boris Johnson, le tapageur ministre des affaires étrangères, lançait que l’UE pourrait « toujours courir » pour recevoir son chèque…

« Il ne s’agit sûrement pas d’une punition ou d’une revanche mais tout simplement de solder les comptes. Nous ne demanderons pas un euro de plus que ce à quoi le pays s’est déjà engagé », a encore précisé M. Barnier, très sensible à la rhétorique britannique, qui force volontiers le trait en parlant de « rançon » à propos des exigences de Bruxelles. En tout cas, aussi longtemps que le pays refusera de payer, « il n’y aura pas de discussion possible sur la relation future avec l’UE », a précisé le Français, ajoutant habilement : « Je n’imagine pas un très grand pays comme le Royaume-Uni, en qui j’ai admiration et respect, ne pas prendre la responsabilité de ses engagements. Comment peut-on bâtir sur la durée une relation commerciale, dans le secteur de la défense ou de la sécurité avec un pays s’il n’y a pas de confiance ? »

Confusion

Cela fait des mois que les Européens à 27 (sans Londres) ont fait leurs comptes : ils espèrent un chèque d’environ 60 milliards d’euros pour solde de tout compte. Sachant que les Britanniques contribuent à hauteur d’environ 15 % du budget de l’UE et que ce budget est constitué de crédits d’engagements dont les « restes à payer » s’étalent sur deux à trois ans. Sachant aussi qu’ils ont apporté leurs garanties à la Banque européenne d’investissement, qu’ils se sont engagés comme les autres à payer les retraites des fonctionnaires européens, etc.

M. Barnier n’ignore pas que la question du « chèque » est très délicate au Royaume-Uni où les contributions financières au budget de l’Union ont longtemps été un puissant argument des europhobes. Comment avouer désormais qu’il va falloir laisser 60 milliards d’euros à Bruxelles, juste pour « sortir » de l’UE, alors que les partisans du Brexit promettaient des économies de 300 millions par semaine pour le système de santé publique (NHS) grâce au divorce ? Le gouvernement May joue t-il la montre ou est-il désormais trop faible pour adopter une position réaliste sur ce sujet ?

Les Européens n’ignorent pas l’état de confusion politique qui règne de l’autre côté de la Manche, mais, pour M. Barnier, les obligations financières britanniques, « c’est aussi un problème difficile pour l’ensemble des 27. Derrière, il y a des milliers de programmes [de recherche, etc.] qui font l’objet d’engagements mutuels avec les Britanniques » et qui sont en danger, a insisté le négociateur de l’UE, mercredi.

Le Français est « coincé » par le mandat de négociation que lui ont confié les 27 : des gouvernements comme le Polonais ou le Néerlandais refusent absolument que le Brexit leur coûte un euro… Les discussions seront-elles plus fluides, lundi 17 juillet, pour le deuxième cycle de discussions, concernant le sort des plus de 4 millions de citoyens européens (Européens au Royaume-Uni, Britanniques ailleurs dans l’Union), « pris au piège du brexit » ? Pas sûr.

L’assurance des Européens

Londres a produit une offre fin juin, que Bruxelles estime insuffisante, car, pour reprendre les termes de M. Barnier mercredi, « la position britannique en l’état ne permettrait pas aux personnes concernées [au Royaume-Uni] de continuer à vivre [après le Brexit] comme aujourd’hui ». Les Britanniques se sont engagés à préserver les droits des plus de 3 millions d’Européens sur leur territoire mais réclament qu’ils relèvent, à compter du Brexit, de la justice britannique. Bruxelles exige que les litiges continuent d’être tranchés par la Cour de justice de l’UE, honnie par les Brexiters…

Le contraste entre l’assurance des Européens et la faiblesse des Britanniques, est en tout cas chaque jour plus criant. Ces derniers sont-ils seulement en mesure de négocier un Brexit dont ils commencent seulement à comprendre les implications – douloureuses –, pour leur pays, et alors que la première ministre, Theresa May, semble en sursis ?

Jeudi 13 juillet, Michel Barnier devait recevoir Jeremy Corbyn, le leader travailliste britannique sorti renforcé des élections législatives anticipées du 8 juin dernier, qui ont coûté sa majorité absolue à la conservatrice May. Ainsi que Nicola Sturgeon, la première ministre écossaise en guerre contre le « hard brexit » prôné par Theresa May. Un pied de nez supplémentaire à Londres ? Le Français a tenu à préciser mercredi qu’il rencontrait ces politiques « à leur demande ». « Evidemment, je ne négocie qu’avec le gouvernement britannique », a-t-il assuré.