Depuis 1950, l’homme a fabriqué 8,3 milliards de tonnes de plastiques
Depuis 1950, l’homme a fabriqué 8,3 milliards de tonnes de plastiques
Par Clémentine Thiberge
La production mondiale pourrait atteindre 25 milliards de tonnes d’ici à 2050, alors que les déchets plastiques polluent massivement l’environnement.
Un sac plastique à usage unique dans un supermarché parisien, en 2015. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Le plastique est désormais le troisième matériau le plus fabriqué par l’homme derrière le ciment et l’acier, selon une étude publiée mercredi 19 juillet dans la revue Science Advances. Dirigé par une équipe de scientifiques américains, ce rapport est la première analyse globale de la production, de l’utilisation et de la fin de vie des plastiques dans le monde.
En basant leur méthode sur les chiffres de production de chaque pays, les chercheurs ont constaté qu’en soixante-quinze ans, les humains avaient généré 8,3 milliards de tonnes de matières plastiques, soit l’équivalent du poids de 822 000 tours Eiffel ou de 80 millions de baleines. Sur ces quantités gigantesques, 6,3 milliards de tonnes sont dès à présent devenues des déchets, dont seuls 9 % ont été recyclés, 12 % ont été incinérés et 79 % accumulés dans des décharges ou dans la nature.
Si un monde sans plastiques semble aujourd’hui difficile à imaginer, son utilisation à grande échelle ne remonte qu’aux années 1950. « Les polymères modernes ont commencé à être fabriqués dans les années 1930, mais la production de masse a réellement débuté après la seconde guerre mondiale », explique Roland Geyer, coauteur de l’étude et chercheur en écologie industrielle à l’Université de Californie. Dès lors, la croissance de ce matériau a été exponentielle. De 1 million de tonnes en 1950, la production mondiale est passée à plus de 380 millions de tonnes en 2015, dépassant la plupart des autres matériaux synthétiques.
Aucun signe de ralentissement
« L’acier que nous fabriquons est destiné à la construction et aura donc une durée d’utilisation de plusieurs décennies, souligne Roland Geyer. Pour le plastique, c’est tout le contraire, la moitié de ces matériaux deviennent des déchets après quatre ans ou moins d’utilisation. » L’un des problèmes tient à la place de l’emballage : ce marché capte près de la moitié de certains types de plastiques, or leur usage y est majoritairement de moins d’un an, tandis qu’il peut atteindre une cinquantaine d’années dans le secteur de la machinerie industrielle, voire plus de soixante ans dans celui de la construction.
Dans le monde, le triomphe du plastique ne montre aucun signe de ralentissement. Environ la moitié de la quantité totale produite de 1950 à 2015 a été générée au cours des treize dernières années. « Il y a des gens qui se souviennent encore d’un monde sans plastiques, souligne Jenna Jambeck, coauteure de l’étude et professeure d’ingénierie à l’université de Géorgie. Mais aujourd’hui ils sont devenus si omniprésents que vous ne pouvez aller nulle part sans trouver des déchets de cette matière dans notre environnement, y compris dans les océans. »
En effet, en 2015, la même équipe a publié dans la revue Science les résultats de leur recherche portant sur l’ampleur de ce problème dans les océans. Si la quantité exacte est quasiment impossible à déterminer, ils ont cependant estimé que 8 millions de tonnes de ces détritus avaient été rejetées dans les mers durant la seule année 2010.
Au fond de l’eau comme sur terre, une seule solution pour éviter qu’ils ne se retrouvent en pleine nature : les recycler. En trente-cinq ans, 600 millions de tonnes de plastiques l’ont été, soit 9 % de la production totale. Avant 1980, le taux de recyclage était négligeable. Aujourd’hui, l’Europe (30 %) et la Chine (25 %) sont les meilleurs élèves, capables de procurer une deuxième vie à ce matériau, tandis qu’aux Etats-Unis le taux de recyclage ne dépasse pas 9 %.
« La plupart des polymères ne se biodégradent pas »
« Les matières plastiques sont délicates à retraiter car elles sont souvent mélangées, explique Yvan Chalamet, enseignant-chercheur à l’université de Saint-Etienne en ingénierie des matériaux polymères. Les recycler tel quel détruit leurs propriétés mécaniques, il faut donc séparer les matières pour avoir un gisement le plus pur possible. » Ce qui sera impossible, par exemple, pour un film plastique qui comporte plusieurs couches de différents polymères. Pour ce genre de matériaux, la seule solution reste alors l’incinération.
« La plupart des polymères ne se biodégradent pas, c’est pourquoi la quasi-totalité de leurs débris seront présents pendant des centaines ou même des milliers d’années », déplore Jenna Jambeck. Les plastiques partiellement ou entièrement biodégradables et biosourcés – c’est-à-dire issus de matières premières renouvelables – sont, eux, pour l’instant encore trop peu de mise pour avoir un impact significatif sur la réduction des déchets. En effet, ces nouveaux matériaux représentent moins de 1 % de la production globale.
Les industriels se montrent prêts aujourd’hui à investir dans la recherche pour améliorer leurs performances. Par exemple, la masse de plastique nécessaire à la fabrication d’un pot de yaourt a été divisée par deux en trente ans. Mais l’augmentation de la consommation des produits emballés ou à usage unique vient contrebalancer ces efforts. Pour les auteurs de l’étude, il est impératif de réduire cette invasion ingérable au strict minimum. « Du plastique que l’on ne fabrique pas, c’est autant que l’on n’aura pas besoin de recycler, résume Roland Geyer. Je conseille aux consommateurs d’acheter des produits en matière déjà réutilisée, afin d’éviter une production supplémentaire inutile. C’est plus efficace que d’essayer de recycler. »
Il n’est guère envisageable cependant de nous sevrer complètement de notre penchant pour les polymères si pratiques, en particulier dans les produits conçus pour durer. « Je pense que nous devons examiner attentivement notre usage et nous demander à quels moments cela n’a plus de sens », explique Kara Lavender Law, coauteure de l’étude et chercheuse à la Sea Education Association.
Au rythme actuel, nous devrons gérer plus de 25 milliards de tonnes de plastiques en 2050, soit trois fois plus qu’aujourd’hui, selon les chercheurs américains. « Les projections sont cependant très aléatoires, tempère Yvan Chalamet. Il suffit parfois que des réglementations changent pour que des pans entiers de ce secteur soient éliminés. » La volonté politique peut changer la donne : ainsi la France a-t-elle décidé de bannir les sacs en plastique aux caisses des supermarchés en 2016. Une source de déchets qui représentait plus de 80 000 tonnes par an en France.
La plus grande densité de déchets en plastique du monde se trouve sur une île inhabitée
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