Perturbateurs endocriniens : les étonnantes listes de Nicolas Hulot
Perturbateurs endocriniens : les étonnantes listes de Nicolas Hulot
Par Stéphane Horel
Le ministère de la transition écologique a discrètement mis en ligne les noms de 600 pesticides et de 1 000 biocides susceptibles de contenir les substances problématiques.
Nicolas Hulot, à Paris, le 6 juillet. | CHARLES PLATIAU / REUTERS
Une action de « transparence ». Voilà la raison invoquée par le ministère de la transition écologique et solidaire pour publier deux listes de « produits pesticides contenant une substance identifiée comme perturbateur endocrinien ». Ces longs tableaux ont été mis en ligne discrètement le 13 juillet, « afin que les citoyens, agriculteurs et professionnels puissent, en l’attente de l’entrée en vigueur concrète de l’exclusion européenne, orienter leurs choix d’achats. » Y figurent les noms de près de 600 insecticides, herbicides et fongicides à usage agricole et d’environ 1 000 biocides (pesticides à usage domestique – de la poudre antifourmis au produit de protection du bois contre la moisissure).
Cette annonce fait suite à l’adoption, le 4 juillet à Bruxelles, des critères d’identification des perturbateurs endocriniens (PE). Ce jour-là, après plus d’un an de mésentente et de tractations et quatre ans de retard sur les délais fixés par la loi, la Commission européenne avait fini par obtenir une majorité qualifiée au sein du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale où siègent les représentants des Etats membres. C’est le revirement de la France, farouchement opposée, du temps où Ségolène Royal était ministre de l’environnement, au projet controversé de la Commission, qui avait permis le vote de cette première réglementation au monde des PE.
Omniprésents dans les objets de consommation courante comme les plastiques, les cosmétiques ou les pesticides, disséminés dans l’environnement, ces produits chimiques participent à l’augmentation d’une multitude d’affections « modernes » comme l’infertilité, la puberté précoce, les malformations génitales, certains cancers, les troubles de développement du cerveau ou encore le diabète et l’obésité. Une équipe scientifique menée par Leonardo Trasande (Université de New York) a estimé leur coût pour la société à au moins 157 milliards d’euros par an en Europe.
Si le vote de juillet intervenait dans le cadre de l’application du règlement européen sur les pesticides, il devait aussi marquer un point de départ pour une réglementation globale de cette famille de substances, nocives même à faibles doses, dans tous les produits : jouets, pneus ou encore médicaments.
L’actuel ministre de l’environnement, Nicolas Hulot, a approuvé la proposition de Bruxelles, estimant que la prise en compte des perturbateurs endocriniens « présumés » et pas uniquement « avérés » constitue une « avancée importante pour la santé et l’environnement ». Ce mot « présumé » figure dans le texte, mais seulement dans la partie introductive et non dans les articles réglementaires. Il n’a donc pas de valeur juridique. Il était déjà présent dans la version refusée par Mme Royal.
Le ministre a promis des « mesures nationales » en « complément » du texte européen afin d’en compenser les insuffisances. La mise en ligne de ces listes de produits « qui contiennent au moins une des substances identifiées par la Commission comme perturbateur endocrinien » entre dans ce cadre. Les ONG sont sceptiques, l’industrie des pesticides aussi. « On peut se féliciter que le gouvernement soit transparent, mais on ne comprend pas à quoi ça sert », raille François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations futures. Pour sa part, l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), qui regroupe les industriels qui commercialisent des pesticides, souligne que le texte européen doit « encore être validé par le Parlement européen et le Conseil de l’UE ».
« Lignes directrices »
De plus, non seulement la Commission européenne n’a encore rien identifié mais, et le ministère en convient lui-même, ces listes reflètent une version largement obsolète des critères des PE : elles sont tirées d’une analyse effectuée par le Centre commun de recherche de la Commission à partir d’une étude d’impact publiée en juin 2016. Cette étude avait pour but d’explorer les conséquences économiques potentielles de quatre différentes options de critères d’identification. Au fil d’un an de négociations et de remaniements, les critères finalement adoptés ne correspondent plus à aucune de ces options.
Ensuite, rappelle l’UIPP, « afin d’être applicables », les critères doivent être traduits en « lignes directrices ». L’élaboration de ces directives d’application a démarré avant même le vote des critères, dès la fin 2016, sous l’égide des agences européennes pour les questions de sécurité alimentaire et chimiques.
Les tableaux publiés ne comportent que le nom des spécialités commerciales. Si ces derniers sont plus compréhensibles pour les consommateurs, ils ne permettent cependant pas de comptabiliser la quantité d’« ingrédients » actifs, et donc de PE, concernés : sont-ils 5 ou 150 ? A titre de comparaison, c’est comme si une liste de médicaments donnait les noms de marques sans indiquer la molécule active.
Impossible de recouper avec les données de l’étude d’impact de la Commission car elles se présentent de manière inversée : par le nom des ingrédients et non celui des spécialités, propres à chaque pays. L’UIPP dit ne pas être en mesure de répondre à cette question. « On ne s’est pas comment ils s’y sont pris », lâche la directrice générale de l’organisation qui représente le secteur, Eugénia Pommaret.
« Mener une évaluation des risques des produits »
Les « mesures nationales » annoncées par le gouvernement incluent également la possibilité d’interdire au niveau français pour pallier une exemption imposée par l’Allemagne dans les critères européens. Cette dispense concerne des pesticides conçus pour agir sur le système hormonal de leurs cibles. En d’autres termes : des pesticides faciles à identifier puisque conçus pour être des perturbateurs endocriniens. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses, pourrait ainsi être saisie « pour mener une évaluation des risques des produits les plus utilisés contenant ces substances » qui pourrait éventuellement mener à leur interdiction.
Mais l’« évaluation des risques » correspond en fait à une procédure très précise à laquelle le règlement pesticides de 2009 voulait justement mettre un terme. Plutôt que d’évaluer les produits une fois mis sur le marché et dispersés dans la nature (procédure d’évaluation des risques), il imposait un examen de leur danger en amont (principe d’évaluation du danger). Selon ce règlement, tout pesticide identifié comme PE doit être interdit de marché.
Entre 400 et 500 matières actives sont aujourd’hui disponibles sur le marché européen des pesticides. Dans un rapport publié en juin 2016, l’association Pesticide Action Network Europe avait estimé qu’entre 35 et 45 substances actives devraient être attrapées dans le filet d’une réglementation PE qui aurait été conçue pour assurer une protection élevée de la santé et de l’environnement.
Personne n’est en mesure de dire combien de membres compte la famille des PE dans son ensemble, en sus des pesticides. A ce jour, les estimations oscillent entre 1 000 et 3 000.