Les promoteurs REI Habitat et Icade proposent de transformer la place Mazas, dans le 12e arrondissement et à la frontière du 4e à Paris, en un haut lieu de la vie parisienne. Les SDF et migrants suivis par l’association Aurore, installés dans la maison éclusière qui sera conservée, prendront part à l’animation et à la vie du site. | LAISNE ROUSSEL

La ville de Paris semble reconsidérer sa politique d’ouverture de centres d’accueil. Elle cherche aujourd’hui à davantage les intégrer dans le tissu urbain et les faire accepter par les riverains. Et s’épargner ainsi des ouvertures chahutées comme celle, en novembre 2016, du centre d’hébergement d’urgence dans le 16e arrondissement – l’établissement avait alors été, à deux reprises, incendié.

Cette évolution tient surtout à l’expérience concluante des Grands Voisins, un site d’occupation temporaire dans l’enceinte de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le 14e, en attente de reconversion. Dans ce qui est devenu un vrai village, cohabitent 1 000 personnes, dont 600 SDF et migrants suivis par l’association Aurore qui y a ouvert cinq centres d’accueil. Sans heurt, ni grincement de dents et ire des riverains…

La place Mazas, dans le 12e arrondissement et à la frontière du 4e, et l’ancienne usine des eaux d’Ivry-sur-Seine (propriété de la Ville de Paris) sont deux des 22 sites parisiens proposés dans le cadre de l’appel à projets Réinventer la Seine, dont les lauréats ont été dévoilés mercredi 19 juillet. Et sur ces deux sites, la ville a demandé aux équipes candidates d’intégrer dans leur programmation la présence d’un centre d’accueil.

Place Mazas, l’équipe gagnante, menée par les promoteurs REI Habitat (spécialiste de la construction en bois) et Icade, ambitionne de faire de ce site – qui en l’état est moins une place qu’un no man’s land –, un nouveau haut-lieu de la vie parisienne, baptisé « Atelier de l’Arsenal », où les personnes en insertion auront toute leur place. « Pour transformer cette figure imposée en opportunité, nous avons tout de suite cherché à forger un partenariat avec l’association Aurore, qui gère l’espace de solidarité et d’insertion », souligne Laure Confavreux Colliex, directrice de Manifesto, jeune entreprise qui fait partie de l’équipe lauréate et qui assurera l’animation culturelle et la gestion du site.

Aurore aura non seulement sur le site un lieu particulier – elle occupera la maison éclusière, qu’il a été décidé de conserver –, mais ses résidents prendront aussi part à l’animation, à la vie du site. Déjà ils assureront les services proposés aux usagers du site et voisins par la conciergerie qu’il est prévu de créer. Et ils auront accès au FabLab ainsi qu’à la salle de spectacle, situés dans le bâtiment central qu’il est prévu de construire. « Ils pourront participer aux ateliers qui seront organisés dans le FabLab, lequel sera équipé d’imprimantes 3D, de machines de découpe à bois, de fraiseuses à contrôle numérique… comme aux workshops et ateliers pédagogiques autour de la danse, du théâtre, de la musique que la salle de spectacle accueillera en dehors des représentations, explique Laure Confavreux Colliex. Cela ne peut fonctionner que si l’on a des projets communs, que si les personnes en insertion ne restent pas à l’écart, mais sont intégrées et participent », se dit-elle convaincue.

Coélaboration

Emmenée par le promoteur Quartus, l’équipe lauréate pour la reconversion de l’ancienne usine des eaux d’Ivry intègre elle aussi dans sa programmation la présence d’un centre d’hébergement d’urgence géré par Emmaüs Solidarité. La « coélaboration » avec les futurs usagers est même un fil rouge de son projet qui vise à faire de site de 6 hectares, doté d’une vaste « nef » – bâtiment industriel monumental construit dans les années 1990 par l’architecte Dominique Perrault –, un vrai quartier de ville hybride qui mêlera habitat, tiers lieux, activités économiques, FabLab, école d’agroécologie…

Dotée d’une vaste « nef », l’ancienne usine des eaux d’Ivry-sur-Seine va être transformée par Quartus en un vrai quartier de ville, qui mêlera habitat, tiers lieux, activités économiques, FabLab, école d’agroécologie… Dès la phase transitoire d’avant chantier, le promoteur veut y développer des activités qui préfigureront les futurs usages et auxquelles participeront les futurs usagers, et notamment les personnes en insertion du centre d’hébergement d’urgence présent sur le site. | YAM STUDIO

« Avant même que la réhabilitation ne commence de façon effective, nous souhaitons redonner une vie à l’usine, aujourd’hui lieu fermé sur lui-même, l’ouvrir sur la ville en y développant des activités qui préfigureront les futurs usages du lieu et favoriseront la participation des futurs usagers », explique Ludovic Boespflug, directeur des projets urbains chez Quartus. Pendant la phase transitoire d’avant-chantier, qui durera deux ans environ, Plateau urbain, jeune entreprise qui redonne vie aux immeubles et bureaux vides en mettant en lien leurs propriétaires avec des artistes, associations ou jeunes entreprises pour des loyers modiques, va animer les lieux, en faisant ainsi venir de l’activité artistique et artisanale. Et Topager, spécialiste de l’agriculture urbaine, commencera à poser les jalons de la future école d’agroécologie, en développant les premiers espaces de culture sur le site. Autant d’activités qui pourront participer à l’insertion des personnes accueillies par Emmaüs.

Aux Grands Voisins, la présence de professionnels – entrepreneurs sociaux, associatifs, artistes ou artisans – a profondément transformé le travail de l’association Aurore auprès des migrants. « Le fait d’avoir 1 500 personnes qui passent, travaillent en permanence sur le site génère des besoins. Or ces besoins sont autant d’opportunités pour les personnes en insertion de mettre la main à la patte, relève William Dufourcq, directeur du site chez Aurore. Les personnes se remettent dans une logique de travail. D’ailleurs leur évolution est extraordinaire. » Quant aux riverains, ils ont pleinement investi le village et intégré la présence d’un centre d’accueil d’urgence dans leur arrondissement. La possibilité d’en garder un dans le futur écoquartier, dont le chantier doit débuter en 2018, est même à l’étude.