Gaëtane Thiney, Eugénie Le Sommer et Camille Abily lors de leur match contre l’Islande (1-0), le 18 juillet 2017 à Tilburg (Pays-Bas). | TOBIAS SCHWARZ / AFP

De l’anonymat aux joies du prime time sur France 2, l’équipe de France féminine de football a parcouru du chemin depuis presque cinquante ans. Oubliées et souvent moquées durant de longues années, les joueuses tricolores sont désormais respectées et reconnues.

Les Bleues ont ainsi battu l’Islande (1-0), mardi 18 juillet, devant 3,3 millions d’amateurs de ballon rond (16,6 % de part de marché), et tenteront samedi de remporter un deuxième succès face à l’Autriche. Cet Euro 2017 peut être l’occasion de battre des records d’audimat.

Il faut rappeler que, malgré le courage et l’audace des pionnières des années 1920, bien vite remises à leur place par ces messieurs, la reconnaissance du football féminin par la Fédération française de football ne remonte qu’au 29 mars 1970. Retour sur cinquante années qui ont définitivement installé la pratique féminine dans le paysage footballistique français.

  • Une reconnaissance « du bout des lèvres » par la FFF

A partir de 1967, quelques équipes féminines fleurissent sur le territoire national : à Soyaux, à Saint-Maur (Val-de-Marne), à Caluire, en banlieue lyonnaise, et à Reims. Ce sont d’ailleurs les Rémoises qui formeront l’essentiel de l’effectif de l’équipe de France pendant plusieurs années.

Dans ce contexte, alors que les femmes se lancent à la conquête de ce sport sans tenir compte des machistes de tout bord, un peu contrainte et forcée, la FFF reconnaît le football féminin le 29 mars 1970. « C’est quand les femmes ont chaussé les crampons et se sont mises à s’organiser en marge des institutions que la fédération a accepté, du bout des lèvres, de reconnaître le football féminin », explique Nicole Abar, internationale française de 1977 à 1987.

En avril 1971, les Bleues disputent leur premier match officiel en s’imposant face aux Pays-Bas (4-0). Alors que ni l’UEFA, ni la FIFA n’organisent de compétitions féminines, « des Coupes du monde pirates » sont organisées. Au Mexique en 1971, les Françaises se mesurent à d’autres footballeuses venues du monde entier. Elles sont à peine équipées, et beaucoup d’entre elles ont dû prendre des congés, sans soldes pour certaines, pour pouvoir jouer.

Il faut ensuite attendre 1982 pour que l’UEFA accepte de prendre en charge l’organisation de tournois européens. Quant aux Coupes du monde, elles se déroulent en marge de la FIFA jusqu’en 1991.

L'équipe de France de football féminin s'entraîne à Soulac-sur-Mer, Gironde, le 22 février 1979. | CARL FOURIE / AFP

  • Clairefontaine ouvre ses portes aux jeunes footballeuses

Les années 1980 et 1990 sont celles de la débrouille. Pas vraiment soutenues par la FFF, les footballeuses françaises peinent à progresser. Le football féminin vivote. Les Bleues échouent à se qualifier lors des six premiers Euros (1984 à 1995) et manquent les trois premières Coupes du monde (1991, 1995 et 1999). Elles disputent leur première grande compétition en 1997 lors d’un Euro coorganisé par la Norvège et la Suède, avec en prime une élimination au premier tour.

Le tournant intervient en 1998. Si cette année est ancrée à jamais dans la mémoire collective par la victoire des footballeurs masculins au Mondial, un événement plus discret a bouleversé l’histoire du football féminin en France. L’un des héros de 1998, le tout récent ex-sélectionneur Aimé Jacquet, devenu au lendemain de son sacre directeur technique national, décide d’opérer une révolution. Il ouvre les portes du Centre national de formation et d’entraînement de Clairefontaine (CNFE) aux jeunes filles. Il construit ainsi la « première marche de la vraie reconnaissance du football féminin », lance Nicole Abar, très engagée pour la cause du football féminin, notamment grâce à son association Liberté aux joueuses.

Alors qu’elles s’entraînaient jusque-là dans des clubs, sans structures de haut niveau, faute de moyens, les meilleures joueuses de France découvrent dans ce centre de préformation l’entraînement au quotidien, entourées d’éducateurs qualifiés. Les résultats se font vite sentir : « Les joueuses qui émergent alors sont physiquement, techniquement et tactiquement bien meilleures que les autres. Ça a tout changé », explique Nicole Abar. « Des générations d’excellentes joueuses françaises y ont été formées : Sonia Bompastor, Camille Abily, Amandine Henry, Eugénie Le Sommer ou encore Louisa Necib », ajoute t-elle.

  • Marinette Pichon montre l’exemple avec son rêve américain

Quelques années après la création du pôle Espoirs pour les femmes à Clairefontaine, Marinette Pichon, joueuse emblématique des Bleues qui détient toujours le record de buts (81 en 112 sélections), devient la première joueuse française à signer un contrat professionnel. Pour ce faire, elle prend la route des Etats-Unis et signe en 2002 avec les Philadelphie Chargers.

Marinette Pichon, première superstar française du football féminin

C’est un événement marquant pour le football français, qui inspire à Nicole Abar une comparaison avec Michel Platini. Elle explique que le transfert du joueur à la Juventus de Turin en 1982 avait permis de « décomplexer les footballeurs quand à leurs perspectives de carrière et leur valeur ». Le club italien avait déboursé 10 millions de francs pour le milieu de terrain français, une somme énorme pour l’époque.

Le cas de Marinette Pichon a permis aux joueuses françaises de « prendre conscience qu’il existait un pays avec une ligue pour les femmes et dans laquelle les joueuses étaient rémunérées ».

  • Montpellier et Lyon investissent dans le football féminin

A partir des années 2000, les clubs français de Ligue 1 et 2 masculines commencent à s’intéresser au football féminin. « Pour la première fois en France, les joueuses ont eu la chance de trouver des clubs pour les professionnaliser au sortir du Pôle France de Clairefontaine », explique Brigitte Henriques, internationale française de 1988 à 1997 et vice-présidente de la Fédération française de football.

Le premier à prendre ce cap est Louis Nicollin, ex-Président du Montpellier Hérault Sport Club (MHSC), emporté le 29 juin 2017 par un arrêt cardiaque. Il monte la section féminine du club en 2001, en absorbant le club de Montpellier Le Crès, et décide de salarier ses joueuses. « Symboliquement, c’était très fort, j’étais époustouflée, explique Nicole Abar, c’était la première fois que je voyais un Président de Ligue 1 sur le banc d’un match féminin. »

Le président de l’Olympique lyonnais (OL) lui emboîte le pas en 2004, en intégrant le FC Lyon à l’OL. Jean-Michel Aulas ne cache alors pas son ambition de gagner la Ligue des champions. « Il a utilisé toute la puissance de son club et investi de grosses sommes d’argent dans l’équipe », explique Nicole Abar. Le club rhodanien est même le premier à proposer une alternative à Clairefontaine en ouvrant un centre de formation pour les féminines.

Les résultats ne se font pas attendre : les Lyonnaises décrochent onze titres de championnes de France, de 2007 à 2017. Quand à l’objectif européen de Jean-Michel Aulas, il a été atteint dès 2011 puis en 2012, 2016 et 2017.

Les joueuses lyonnaises constituent depuis plusieurs années le principal réservoir d’internationales françaises, où elles représentent souvent la moitié de l’effectif. A l’Euro 2017, malgré des absences sur blessure, elles sont encore 8 sur 23 à évoluer dans le Rhône.

  • Les Bleues brillent enfin et la FFF lance son plan de féminisation

A l’été 2011, l’équipe de France féminine fait parler d’elle en atteignant les demi-finales lors de la Coupe du monde organisée en Allemagne. Elles finiront quatrièmes de la compétition mais auront su séduire les Français. « La France découvre l’existence du football féminin et sa qualité, explique Nicole Abar, c’est un tout nouveau regard, beaucoup plus positif que la France pose sur le football féminin. »

Si le niveau est au rendez-vous, elles profitent également du champ libre sportif de l’été 2011 : aucune autre compétition internationale n’avait lieu à cette période. Résultat : elles font la « une » du quotidien sportif L’Équipe trois fois et réalisent des records d’audience sur la TNT.

Les Bleues se sont révélées au Mondial 2011. | JOHANNES EISELE / AFP

Une médiatisation accrue et une popularité naissante qui font du bien à l’équipe de France, surtout que dans le même temps l’intérêt porté aux Bleues vient aussi des institutions. Brigitte Henriques, nommée la même année au poste de secrétaire générale en charge du développement du football féminin, met en place un plan de féminisation du football. Elle est soutenue par le président Noël Le Graët. « Il a voulu traiter les filles comme les garçons, avec les mêmes standards d’hôtels ou le même nombre de membres du staff », raconte Brigitte Henriques.

Depuis la mise en place du plan, le nombre de licenciées a considérablement augmenté : « Elles étaient 50 000 en 2011, 100 000 en 2016 et sont aujourd’hui 130 000 » explique Mme Henriques. Le politique de féminisation du football mise en place par la FFF a également permis la création de sept pôles Espoirs à travers la France, dans le but de former les joueuses sans les déraciner.

Si la médiatisation, les efforts de la FFF et des clubs sont désormais au rendez-vous, il manque, selon Nicole Abar, un élément à cette équipe pour franchir un nouveau palier : « Il nous faut un titre. » Une victoire à l’Euro 2017 permettrait d’entrer dans une nouvelle dimension, à deux ans de la première Coupe du monde féminine organisée en France.