« Le projet de réduction des naissances est une nouvelle trahison des élites africaines »
« Le projet de réduction des naissances est une nouvelle trahison des élites africaines »
Par Yann Gwet (chroniqueur Le Monde Afrique)
Selon notre chroniqueur, si les parlementaires de la Cédéao veulent « contenir la poussée démographique », c’est pour masquer leurs propres responsabilités.
Il y a quelques jours, le 22 juillet, les parlementaires de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), de la Mauritanie et du Tchad, réunis pour discuter de la question démographique dans leur région, ont décidé d’inciter leurs gouvernements respectifs à adopter des politiques visant à « contenir la poussée démographique dans l’espace Cedeao pour promouvoir un développement viable et durable ».
« Nous estimons que quand on a des taux de croissance économique des pays qui sont de l’ordre de 5 % à 6 %, avec un taux de fécondité située à 6 % ou 7 %, nous sommes dans une situation de démographie non maîtrisée et nous ne pouvons pas espérer de développement avec une telle situation », a indiqué Salifou Diallo, le président de l’Assemblée burkinabée. L’objectif affiché par ces braves hommes est de réduire le taux de fécondité au sein de la Cédéao à trois enfants par femme d’ici à 2030.
Passons sur la proximité temporelle de cette réunion avec les déclarations d’Emmanuel Macron le 8 juillet lors du G20 liant démographie et pauvreté en Afrique, et examinons ce que révèle ce regain d’intérêt pour la démographie africaine.
L’utérus des femmes africaines
La vague d’afro-optimisme, qui a débuté en 2008, semble bel et bien derrière nous. Il y a encore peu de temps, le consensus des élites africaines, qui s’alignaient, comme souvent, sur celui des élites politico-financières occidentales, était que « le temps de l’Afrique est arrivé ». Les taux de croissance du continent étaient brandis comme autant de preuves à l’appui de cette idée. Pourtant, la « poussée démographique » qui inquiète tant nos parlementaires de la Cédéao aujourd’hui était déjà une réalité. Mais, dans un monde alors en crise, l’Afrique représentait le seul espoir du grand capital. Les « défis » supposés étaient transformés en « opportunités ».
Moins de dix ans plus tard, alors que les économies occidentales ont retrouvé une forme de stabilité, que la baisse du cours des matières premières a révélé (à ceux qui voulaient l’ignorer) l’insigne faiblesse des économies africaines et que la « crise des migrants » préoccupe l’opinion publique occidentale, l’utérus des femmes africaines est redevenu un problème pour l’élite occidentale et, suivant, pour l’élite africaine.
La trahison des élites africaines est une constante dans l’histoire récente du continent. A l’époque coloniale, déjà, les grandes familles, pour la plupart, prenaient fait et cause pour l’impérialisme contre l’intérêt des peuples. Aujourd’hui, les mêmes élites, qui dans leur majorité sont aussi corrompues que les précédentes, renouvellent une alliance déplorable. Elles y ont tout intérêt : la « poussée démographique » africaine est la conséquence plutôt que la cause d’un problème. C’est parce que l’Afrique stagne, voire régresse, depuis plusieurs décennies que sa démographie apparaît insoutenable.
Migrant ou révolutionnaire en puissance
Les couples africains ne sont pour rien dans cette sinistre évolution. Les responsables sont à chercher dans les parlements et les palais africains, où des pouvoirs ostensiblement corrompus, souvent illégitimes, incompétents et constamment soutenus par des pouvoirs occidentaux cyniques pillent inlassablement leurs propres pays. Mais ces responsables sont trop occupés à appauvrir leurs peuples et à pointer un doigt accusateur sur les plus vulnérables (c’est bien eux qui sont accablés) pour assumer leurs responsabilités.
L’alliance entre pouvoirs occidentaux et africains est objective. Les premiers voient dans tout nouveau-né africain un migrant en puissance, tandis que les seconds y voient un potentiel révolutionnaire. Ces groupes sont conscients de leur rôle dans la situation qu’ils dénoncent, mais, pour des raisons évidentes, ils ont intérêt au statu quo. La culpabilisation des Africains les plus pauvres n’est donc pas près de s’arrêter.
La solution ? La plus probante réside dans une sorte d’« Internationale » qui réunirait les catégories défavorisées des pays africains (les migrants, les chômeurs, etc.) et celles des pays riches. Mais elle est improbable. En attendant, du côté de l’Afrique, la formule victorieuse est celle d’une alliance politique des classes moyennes éduquées et des classes pauvres des villes africaines contre l’oligarchie des pays de la région. Ou comment faire bon usage d’une démographie prétendument « non maîtrisée ».