TV : « Indonésie : la puissance, l’islam et la démocratie »
TV : « Indonésie : la puissance, l’islam et la démocratie »
Par Florence de Changy (Hongkong, correspondance)
A voir aussi ce soir. A trop vouloir étreindre de thèmes, Fréderic Compain passe à côté de certains d’entre- eux (sur Arte à 20 h 50).
Indonésie : la puissance, l'islam et la démocratie (1/2) - bande-annonce - ARTE
Sous couvert des trois thèmes annoncés dans le titre, la puissance, l’islam et la démocratie, le documentaire de Frédéric Compain tente en fait de retracer toute l’histoire politique de l’Indonésie depuis la colonisation hollandaise, en 110 minutes. Le projet ambitieux peut expliquer que certains téléspectateurs sortiront étourdis de cette fresque fleuve, tant on y brasse d’événements, de personnalités, de lieux et de problématiques complexes. Nombre de thèmes transversaux sont aussi évoqués dans ce roulé-boulé de crises, de guerres et de révoltes : l’émancipation des femmes, la corruption, le rôle socio-politique des artistes, la religion, l’océan tout autour qui « unit plutôt qu’il ne sépare »…
Le premier volet brosse un bilan sans appel de la colonisation néerlandaise, extrêmement profitable car ayant financé tout le développement des Pays-Bas sans en laisser une miette aux Indonésiens. Non seulement les Hollandais ont pillé Java mais ils ont lâchement piégé son prince, Diponegoro, héros national devenu martyr. On retient que les Hollandais sont tellement haïs par les Indonésiens que ces derniers font un triomphe à l’envahisseur japonais qui débarque en 1942.
Jakarta, la capitale indonésienne | © Artline Films
Arrive ensuite Sukarno, premier président de la République indonésienne, mais la scène politique et sociale est chaude et mouvante comme la lave du volcan Merapi. Les idéaux de ce père de l’identité indonésienne contemporaine se perdent dans son carnet mondain : on le voit en compagnie des plus grands de l’après-guerre et du Tout-Hollywood. D’ailleurs, la richesse des images d’archives et le choix des intervenants font passer le ton un peu « cours magistral » du narrateur. En 1965, le pays replonge dans le chaos.
S’ensuivent, dans la seconde partie, les années Suharto, homme anticommuniste qui sait devenir aussi musulman ou aussi « javanais » que les circonstances l’exigent.
Islamisation en toile de fond
Certains effets de montage détonent : on se demande pourquoi, à deux reprises, le commentaire est interrompu par le rire bêta du vice-président Jusuf Kalla. Est-ce pour se moquer de lui ou de ce qui vient d’être dit ? Quand il traite de l’islam, le film déçoit. Il rassure un peu vite avec l’Islam Nusantara (« islam de l’archipel »), tolérant et encadré. Certes, seulement 200 djihadistes indonésiens seraient partis en Syrie, pour plus de 200 millions de musulmans. C’est moins que dans nombre de pays occidentaux. Mais le film ne fait aucune mention des tensions historiques entre le projet républicain et l’islam, ni de l’influence croissante du wahhabisme. Or, l’islamisation de la société indonésienne se remarque au quotidien, de la forme des voiles portés par les femmes aux chants en arabe diffusés par les muezzins pendant le ramadan. Les campagnes et les petites îles ont vu des mosquées pousser comme des champignons, financées par les pays du Golfe persique où débarquent ensuite des imams qui prônent un retour à un islam « pur ». L’avenir de la République indonésienne, troisième plus grande démocratie du globe et bientôt sixième économie mondiale, est pourtant directement lié à sa capacité à maintenir son modèle de tolérance religieuse.
Indonésie : la puissance, l’islam et la démocratie, de Frédéric Compain. (Fr., 2016, ép. 1 et 2 /2, 52 min et 58 min).