Arcade Fire livre avec éclat son disco de la servitude volontaire
Arcade Fire livre avec éclat son disco de la servitude volontaire
Par Bruno Lesprit
Formellement brillant, le nouvel album des rockeurs nord-américains est desservi par des paroles dénonçant sans finesse l’emprise du capitalisme.
Win Butler et son groupe Arcade Fire, le 15 juillet 2017, au festival Les Vieilles Charrues. | FRED TANNEAU / AFP
En 2004, les amoureux du rock, toujours en quête de sauveurs aptes à ranimer le mort-vivant, reprenaient foi grâce à la parution de Funeral, un premier album qui, sous un titre de requiem, célébrait les vertus des chants de communion. Surgi de la scène alternative montréalaise, son auteur, le groupe Arcade Fire, a accompli le destin qui lui semblait promis. Treize ans après, son cinquième opus, Everything Now, est livré à l’issue d’une interminable séance de « teasing », doublée d’une campagne de marketing post-situationniste, à base de messages cryptiques et de « fake news » autodépréciatives. Ensemble orchestré par le nouvel employeur des Canado-Américains, la major Sony Music.
La date de mise à feu, en plein cœur de l’été, ne devait rien au hasard. Car les nouvelles chansons du sextuor emmené par Win Butler et Régine Chassagne s’adressent au corps davantage qu’au cœur – et encore moins au cortex. Avec le précédent Reflektor (2013), un roboratif double album sauvé par son extraordinaire chanson-titre, ceux que l’on avait d’abord rapprochés de David Bowie puis de Bruce Springsteen avaient cédé à l’appel de la danse en recourant aux services du DJ-musicien James Murphy, le démiurge de LCD Soundsystem.
Arcade Fire - Everything Now (Official Video)
Ils n’ont pas quitté la piste mais ont varié leurs envies. La production est cette fois partagée avec le Parisien Thomas Bangalter, moitié de Daft Punk, pour sa French touch synthétique, et Steve Mackey, de Pulp. Celui-ci, joueur de quatre-cordes originaire de Sheffield, n’est sans doute pas étranger aux lignes de basse impériales – en écho à celles que déployait Tina Weymouth chez les Talking Heads – qui traversent le disque, comme aux intrusions dans les friches industrielles des Midlands, qui ont nourri la new wave anglaise des années 1980. Un autre sujet de Sa Majesté, Geoff Barrow, machiniste et batteur de Portishead, a œuvré à Creature Comfort, mêlant à des sons d’arcade (les jeux vidéo d’antan), les synthés à l’agonie de Suicide et la basse funèbre de Joy Division.
Recenser les citations qui émaillent Everything Now serait fastidieux. À son crédit, Arcade Fire ne s’adonne jamais au pastiche éhonté, mais puise dans des éléments disparates pour tenter de faire du neuf. Everything Now, la chanson, fait preuve d’une indéniable inventivité en associant à un gimmick de piano piqué à Abba (influence que l’on retrouve plus tard sur Put Your Money On Me) le thème de The Coffee Cola Song de Francis Bebey, joué à la flûte pygmée par le fils du musicien camerounais, Patrick.
Arcade Fire - Creature Comfort (Official Video)
Congas et pedal steel
Le groupe a enrichi son instrumentarium en ajoutant des congas, une pedal steel (confiée à Daniel Lanois), une ambiance de film de blaxploitation (Signs of Life), des cordes échappées de la soul de Philadelphie (Good God Damn). De son séjour à La Nouvelle-Orléans – une des trois villes d’enregistrement avec le fief montréalais et Paris –, il a rapporté un Chemistry caribéen et cuivré. Le renouvellement est tel qu’il faut attendre le sixième titre, Infinite Content et son embardée électro-rock, pour retrouver l’Arcade Fire de la trilogie initiale. Ce morceau est doublé d’une deuxième version, sous forme de ballade country, pas vraiment une innovation si l’on se souvient des deux Revolution des Beatles – prolétarien-agressif contre bourgeois-alangui. Arcade Fire perd parfois en route son inspiration, Electric Blue semblant une chute de Reflektor.
Arcade Fire - Electric Blue (Official Video)
Cette brillante œuvre post-moderne pose néanmoins un problème : la réalisation, les ornementations et les textures ne suscitent-elles pas davantage l’admiration que les chansons elles-mêmes ? La forme ne l’emporte-t-elle pas sur le fond, desservi par des paroles se réduisant à une succession de slogans basiques – « Contenu infini/Nous sommes infiniment contents » ou « L’amour est dur/Le sexe facile » –, sans que l’on sache si cette vacuité est délibérée pour être raccord avec ce disco de la servitude volontaire ?
Chaque chanson est en effet présentée sous forme de logo publicitaire sur la pochette, puis commercialisée dans le livret sous forme de marshmallows, boisson gazeuse, polo, bouteille de vin, bible… Répétitif, le discours – ou plutôt ce qui en tient lieu – décline banalement les thèmes de l’aliénation culturelle et de la mort du romantisme, de l’emprise sur nos vies de la Silicon Valley et de l’hypercommunication qui abolit toute relation humaine. On peut voir dans cette démarche le comble du désespoir. Ou du cynisme.
Everything Now, 1 CD Columbia/Sony.
Arcade Fire - Signs of Life (Official Video)