Au Venezuela, une Assemblée constituante élue dans le sang
Au Venezuela, une Assemblée constituante élue dans le sang
Par Paulo A. Paranagua
Au moins quinze personnes sont mortes pendant le week-end lors du scrutin, boycotté par l’opposition au président Maduro.
En marge d’une manifestation d’opposants au président Maduro à Caracas (Venezuela), le 30 juillet. | JUAN BARRETO / AFP
L’élection de l’Assemblée constituante convoquée par le président vénézuélien, Nicolas Maduro, dimanche 30 juillet, a provoqué une escalade de violences, avec au moins 15 morts au cours du week-end. A en croire le Conseil national électoral (CNE), 8 millions de Vénézuéliens sont allés aux urnes pour 19,5 millions d’inscrits, soit 41,5 % de l’électorat. Ces chiffres sont contestés par l’opposition.
Ainsi, le député social-démocrate Henry Ramos Allup a estimé la participation à 12 %, soit à peine 2,4 millions de personnes. Le 16 juillet, les opposants avaient revendiqué une participation de 7,5 millions de Vénézuéliens au référendum qu’ils avaient organisé contre la Constituante de M. Maduro.
La nouvelle assemblée devrait conférer les pleins pouvoirs au chef de l’Etat. « L’Assemblée constituante a la même légitimité que celle de 1999 », convoquée par l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013), a déclaré son successeur. Et d’ajouter : « Cette Constituante est destinée à ramener l’ordre, à faire justice et à défendre la paix. [Les opposants] vont poursuivre leur folie, mais ils s’éteindront progressivement. Certains d’entre eux finiront en prison. »
M. Maduro a promis de lever l’immunité parlementaire des députés de l’opposition, majoritaires au Parlement depuis 2016, et de reprendre le contrôle du parquet, dirigé par Luisa Ortega, l’égérie des chavistes dissidents. Il a menacé aussi les médias et a accusé la chaîne de télévision Televen d’« apologie du délit » pour sa couverture de la journée.
Guerre des chiffres et bataille des images
Les forces de sécurité ont empêché l’accès de la presse aux bureaux de vote. Aucune vérification ou observation indépendante n’était autorisée. Selon l’Observatoire électoral vénézuélien, une organisation non gouvernementale, le CNE a commis de nombreuses irrégularités au cours de la préparation et de la réalisation du scrutin. L’ONG note l’absence de consultation préalable sur l’opportunité d’une Assemblée constituante. Le mode de scrutin, qui combine un vote par circonscription conçu pour favoriser les zones chavistes, et un vote par catégories socioprofessionnelles, est à la fois « inédit et illégal », selon l’ONG.
Outre la guerre des chiffres, une bataille des images a été menée dans les médias et sur les réseaux sociaux. La télévision contrôlée par le gouvernement présentait des images d’affluence à des bureaux de vote choisis pour la circonstance, tandis que les sites alternatifs étaient focalisés sur les violences.
Dans des circonscriptions à forte concentration chaviste, les électeurs ont voté pour préserver leurs bénéfices aux programmes sociaux. Dans les municipalités tenues par des opposants, les urnes sont restées désertes. A Caracas, le CNE a ouvert des « bureaux d’urgence » pour les électeurs d’autres circonscriptions, mais on circulait difficilement.
L’opposition avait défié l’interdiction de manifester durant le week-end, aussi bien dans la capitale qu’en province. A Caracas, un rassemblement sur l’autoroute Francisco-Fajardo, l’axe qui relie les deux moitiés de la métropole, a été empêché par les forces de sécurité, qui sont intervenues sur les points de rendez-vous des manifestants. La répression a été particulièrement brutale dans les Etats de Merida et Tachira, dans la région andine, où on déplore la majorité des morts, mais aussi dans les Etats de Lara, Sucre et Zulia.
Le ministre de la défense, le général Vladimir Padrino Lopez, jure néanmoins que les victimes de dimanche ne peuvent pas être « attribuées » aux forces armées, dont dépend la gendarmerie (garde nationale), en première ligne contre les manifestants. Depuis avril, début de la vague de protestations quasi quotidiennes contre le régime, on compte environ 130 morts, la plupart d’entre eux tués par balles, tirées par des gendarmes ou par les groupes paramilitaires appelés « collectifs ».
« La journée se résume à deux mots : abstention et répression, a assuré de son côté l’opposant Henrique Capriles Radonski. Je croyais que la participation allait être plus importante, mais les gens se sont abstenus de participer à la fraude. » L’ancien candidat présidentiel de l’opposition a appelé à des manifestations, lundi après-midi, pour rendre un dernier hommage aux « personnes assassinées » au cours des heures précédentes.
D’autres protestations seront organisées le jour de l’inauguration de l’Assemblée constituante. « Les Vénézuéliens, comme la communauté internationale, ne reconnaissent pas ce scrutin frauduleux, a poursuivi M. Capriles. Nous resterons mobilisés jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel et de la démocratie. Nous sommes prêts pour l’alternance. »
La Colombie a été la première à annoncer qu’elle ne reconnaîtrait pas l’Assemblée constituante. D’autres pays d’Amérique latine lui ont emboîté le pas. « Le Venezuela dispose d’un Parlement légitimement élu, rappelle le ministère des affaires étrangères brésilien, Aloysio Nunes. La nouvelle Assemblée constituante, une fois installée, formerait un ordre constitutionnel parallèle, non reconnu par la population. Cela aggraverait encore davantage l’impasse institutionnelle qui paralyse le Venezuela. »
A Washington, le département d’Etat a annoncé de nouvelles sanctions contre des hauts fonctionnaires vénézuéliens, y compris les membres de l’Assemblée constituante. Parmi les 545 élus figurent la première dame, Cilia Flores, le capitaine de réserve, Diosdado Cabello, considéré comme le numéro deux du régime, l’ancienne ministre des affaires étrangères Delcy Rodriguez et l’ancienne responsable des prisons Iris Varela, soupçonnée de tractations avec les chefs de gangs emprisonnés.
« Peu de votants, beaucoup de violence, de morts, de blessés et de détenus, a tweeté le général de réserve, Miguel Rodriguez Torres, ancien ministre de l’intérieur de M. Maduro. Qui gagne ? Personne. La négociation s’impose comme seule voie rationnelle et humaine. »
Colère noire à Caracas