Anthony Bonal

Avec ses parois de 1 500 mètres de haut et sa ligne de crêtes dentelée de glaciers, le cirque de Gavarnie (Hautes-Pyrénées) ferait un décor idéal pour un spectacle son et lumière. C’est bien là le problème : comment proposer une offre théâtrale au pied d’une arène naturelle aussi imposante sans avoir recours aux effets lumineux et aux bandes-son enregistrées qui prospèrent, l’été, sur tant de sites touristiques ? Cette question, le Festival de Gavarnie y est confrontée depuis sa création, il y a 32 ans. L’immensité du plateau rend impossible l’idée d’une mise en scène classique. Tout accentuer - le jeu, les voix, les gestes… - devient du coup un mal nécessaire.

Le Festival de Gavarnie n’a de festival que le nom. Une seule pièce y est jouée en effet chaque été, pendant deux semaines, au plus fort de la saison touristique. Cette année, le metteur en scène Bruno Spiesser et sa troupe du Théâtre Fébus, installée à Pau, proposent une adaptation de Dracula de Bram Stoker. Un choix qui s’inscrit dans le droit fil d’une manifestation ne programmant que des classiques de la littérature.

Pierre Meyer

Imaginé par le comédien François Joxe à la demande du Parc national des Pyrénées, le festival a été créé en 1985, à l’occasion du centenaire de la mort de Victor Hugo. Dieu, poème inachevé du grand homme, fut transposé cette année-là au cœur du cirque. Suivront la Divine comédie, Macbeth, Don Quichotte, Faust, Don Juan, Cyrano de Bergerac, le Cid, et quelques opéras (La Flûte enchantée, Tristan et Isolde, Les Noces de Figaro…). Du lourd, donc.

« Il faut des œuvres à la hauteur du site », justifie Bruno Spiesser, qui a succédé à François Joxe il y a dix ans. Il faut aussi des titres qui puissent ne pas dissuader une population touristique n’ayant pas forcément d’atome crochu avec le théâtre. « Avant d’assister à un spectacle, le public vient d’abord pour passer une soirée en montagne dans un site grandiose », reconnaît le metteur en scène.

Anaïs Kervella

Pour Dracula, Bruno Spiesser a installé sa troupe sur le plateau de la Courade, une zone d’herbe qui fut dépierrée au début du XXe siècle, où se tenait autrefois un marché aux bestiaux. Le lieu d’implantation change chaque année à l’intérieur même du cirque, afin de laisser reposer la terre foulée par le public, mais aussi pour les besoins scénographiques. La présence d’un petit éperon rocheux qui symboliserait le château du comte Dracula a conduit au choix de cet emplacement devant lequel 2 000 chaises ont été posées, au hasard des variations topographiques.

La scène en tant que telle s’avère particulièrement immense cette année : « On joue sur 100 mètres d’ouverture, 30 mètres de profondeur et 20 mètres de haut », souligne le metteur en scène, formé à l’école de Robert Hossein. Recul oblige, le premier rang de spectateurs est situé à 20 mètres, et le dernier à 50 mètres. Bien qu’équipés de micros HF, les comédiens n’ont pas le choix : « Il faut envoyer, poursuit Bruno Spiesser, faire comme si on jouait dans un très grand théâtre. Les gestes et les mouvements scéniques doivent être généreux, vu qu’il est impossible de distinguer les expressions sur les visages à cette distance. »

Valérie Toulet

Chaque costume a été rendu identifiable par sa couleur ; les hauts-de-forme ont été rehaussés de plusieurs dizaines de centimètres. Le rendu n’est pas vilain pour les amateurs de grands tableaux et d’espaces naturels. Les autres – surtout ceux situés au dernier rang - auront l’impression d’avoir sous les yeux une représentation de Lilliputiens dans une boîte à chaussure. Reste le sentiment général, et sans égal, de se sentir bien humble au milieu d’un site aussi colossal, quasi mystique.

Tout ceci n’est évidemment pas simple à organiser. L’Unesco, qui a classé Gavarnie dans son patrimoine mondial en 1997, n’a jamais vu d’un très bon œil l’installation d’une infrastructure technique à 1 500 mètres d’altitude. Le dispositif se résume, cette année, à trois chalets (billetterie, buvette….), une tente militaire (servant de loges) et 200 palettes sur lesquelles ont été posées les enceintes encerclant l’esplanade. L’organisation mondiale a imposé que les câbles électriques ne soient pas enterrés mais recouverts de gouttières. À la fin de chaque édition du festival, un rapport écrit et photographique lui est transmis par le Parc national des Pyrénées.

Anaïs Kervella

Des dégâts trop importants pourraient remettre en question la pérennité de la manifestation, comme cela a failli être le cas dans le passé pour des raisons politiques. Cela tomberait mal alors même que le locataire des lieux pense qu’il est temps d’évoluer sur le plan artistique. « L’idée est de passer à des pièces plus exigeantes et moins grand public », estime Bruno Spiesser qui envisage, l’an prochain, de traiter du mythe d’Orphée et Eurydice à travers une évocation de la première guerre mondiale et des textes publiés dans les années 1920 et 1930.

Festival de Gavarnie, Dracula, prince des ombres, jusqu’au 6 août.