TV : « Cars », un monde parfait où l’automobile se passe des hommes
TV : « Cars », un monde parfait où l’automobile se passe des hommes
Par Thomas Sotinel
Notre choix du soir. Retour sur les premiers tours de roue de Flash McQueen, le petit bolide rouge qui revient sur grand écran avec « Cars 3 » (sur M6 à 21 heures).
Dans sa nouvelle Poids lourds (1978), Stephen King racontait comment les machines mues par des moteurs à explosion se sont débarrassées des humains. Le film Cars (2006) dépeint le paradis terrestre issu de cette révolution : camions et voitures occupent l’espace et vivent en harmonie. Leur distraction favorite est de regarder d’autres automobiles tourner sur un circuit.
Parmi les voitures de course (catégorie Nascar, la seule qui existe dans ce monde très américain), Flash McQueen est tout neuf, tout rouge, très doué, mais très égoïste. Alors qu’il traverse le continent pour rejoindre un circuit en Californie, un imprévu l’oblige à séjourner plus longtemps que prévu dans une petite ville à l’écart des autoroutes, étape désertée de l’antique route 66. Dans ce village survivent des types sociaux américains délicieusement désuets : une brave dépanneuse, une généreuse patronne de station-service aux pare-chocs attrayants, une limousine des années 1950 qui, dans la version originale, parle avec la voix de Paul Newman.
Flash McQueen, tout neuf, tout rouge et très doué | PIXAR ANIMATION STUDIOS
Forcé par la loi de réparer les dommages que son arrivée fracassante a provoqués, Flash McQueen va découvrir auprès du parc automobile local les vraies valeurs de la vie américaine, telles que les quinquagénaires français d’aujourd’hui les ont apprises dans les albums des Editions Deux coqs d’or. Voilà donc ce que le studio Pixar et sa maison mère Disney proposent aux petits enfants du monde : un cocktail qui mêle la bizarrerie funèbre que suscite l’évocation d’un monde privé de vie organique à la nostalgie sentimentale née de la reconstitution du vieux fantasme familial américain. C’est un pari audacieux, d’autant que le scénario et les dialogues ne recourent que très rarement au second degré et aux références parodiques qui servent d’ordinaire à faire patienter, voire à distraire, les accompagnateurs adultes. Ici, personnages, décors et histoire sont pris très au sérieux.
Il faut sans doute y voir la marque du retour aux commandes de John Lasseter, le cofondateur de Pixar, qui renoue ici avec la réalisation. Cars est une œuvre d’amour, qui met au service d’une esthétique obsolète les outils les plus modernes du graphisme sur ordinateur. Lasseter a marqué une pause dans la quête du Graal de l’animation numérique : la reproduction convaincante de l’apparence humaine.
Montagne en forme de Cadillac
Tous les octets ainsi libérés se sont reportés sur les chromes et les taches de rouille, les bouchons de radiateur et les enjoliveurs. La perfection de ces créatures de métal impressionne, elles s’inscrivent même dans des paysages dont les formes reprennent les éléments de l’anatomie automobile : une chaîne de montagne aligne des ailes de Cadillac, une falaise prend l’apparence d’une calandre.
Selon son âge, sa naïveté, son humeur, sa bonne volonté, on sera sensible à l’un ou l’autre des aspects de Cars : à son amour débordant pour un monde qui n’existe plus ou à sa fascination morbide pour les machines. Quelle que soit l’option retenue, on ne pouvait rêver requiem plus spectaculaire pour la civilisation automobile.
Cars : quatre roues, de John Lasseter et Joe Ranft (EU, 2006, 125 min).