Un dimanche à Kigali, du mémorial du génocide à « l’hôtel des mille combines »
Un dimanche à Kigali, du mémorial du génocide à « l’hôtel des mille combines »
Par Pierre Lepidi (envoyé spécial à Kigali)
Promenade dans la capitale rwandaise, où les stigmates de la tragédie de 1994 côtoient des lieux pleins de vie, tournés vers l’avenir.
Qu’il s’agisse d’un séjour touristique (visite du parc de l’Akagera à l’est, rencontre avec les gorilles de montagnes au nord...) ou dans le cadre d’un voyage d’affaires (selon le dernier classement de l’International Congress and Convention Association, la capitale rwandaise figure à la troisième place en Afrique par le nombre de congrès accueillis), Kigali est un passage obligé quand on se rend au Rwanda.
Ce pays, qui vient de réélire massivement Paul Kagamé à sa tête vendredi 4 août, a connu l’enfer d’un génocide en 1994. Vingt-trois ans plus tard, son image est diamétralement opposée de celle que s’en font encore certains Occidentaux. C’est un pays stable, jeune, tourné vers les nouvelles technologies et obnubilé par son développement ultra-rapide.
A l’image de ce pays grand comme l’Auvergne, sa capitale, Kigali, est accueillante. Visite guidée.
Au lever du jour
Les Rwandais se lèvent très tôt, généralement entre 5 h 30 et 6 heures, y compris le week-end. A l’aube, il fait bon se promener dans les rues vallonnées de Kigali, l’une des capitales les plus sûres d’Afrique, située à environ 1 500 m d’altitude et entourée de collines. L’air y est frais, idéal pour un jogging ou une simple balade méditative.
S’il est une chose qui surprend quand on arrive, c’est la propreté de cette capitale. Les haies et les arbustes sont parfaitement alignés, il n’y a pas un papier, pas un mégot (les fumeurs sont très rares) qui jonche le sol. De nombreux feux de circulation fonctionnent avec un décompte à l’américaine, les automobilistes attachent leur ceinture, les motards portent des casques… Bref, le laisser-aller n’a pas vraiment sa place dans les rues de Kigali, où les policiers affichent une tolérance zéro. Le visiteur respectueux veillera donc à traverser aux passages pour piétons et à ne pas piétiner les parterres de fleurs des terre-pleins centraux.
Fondée en 1907 pendant la colonisation allemande par Richard Kandt, la capitale du Rwanda s’étire aujourd’hui sur plusieurs collines. Les rues ne portent pas de noms mais des lettres et des numéros. Pour se déplacer, il vaut donc mieux citer un hôtel, une administration, une ambassade ou un grand magasin comme repères. Le plus simple est d’utiliser les motos-taxis, en demandant au chauffeur de conduire « slowly ». Partout et à toute heure, ce dernier vous prêtera un casque, qu’il est obligatoire de porter. On peut aussi se déplacer en bus, dont certains sont même équipés du WiFi. Kigali est aujourd’hui totalement connectée à Internet.
La capitale, qui compte près d’un million d’habitants, est en perpétuelle mutation. Pour agrandir certaines artères, notamment près de la gare routière, des dizaines de maisons vont être rasées et leurs habitants déplacés. Sur le mur extérieur de chaque habitation, une croix rouge a été tracée. Parmi les nouveaux quartiers à visiter, on peut citer la zone piétonne, sur le boulevard KN4, dans le quartier de Nyarugenge, ou Gacuriro. Avec ses petites maisons semblables et parfaitement dessinées, ses jardins bien ordonnés, ce quartier ressemble à une banlieue anglaise.
Le camp où dix soldats belges de l’ONU ont été tués le 7 avril 1994, à Kigali, au Rwanda. | Pierre Lepidi
9 heures : le mémorial de Gisozi
« Une famille qui ne parle pas est une famille qui ment », dit un proverbe rwandais. A des degrés divers, du côté des tueurs ou de celui des victimes, toutes les familles de ce pays ont été frappées par le génocide, où 800 000 personnes, en grande majorité tutsi, ont été massacrées entre avril et juillet 1994. Le mémorial de Gisozi est un passage obligé à Kigali. Il permet de comprendre les mécanismes qui ont conduit à cette folie meurtrière, de voir comment la haine a été distillée, instrumentalisée. L’exposition rappelle aussi par de nombreuses archives l’invraisemblable passivité de la communauté internationale de l’époque.
Près de 250 000 personnes sont enterrées sous de lourdes dalles à l’extérieur de ce mémorial, dont la visite s’achève par la découverte de portraits d’enfants massacrés. On peut lire, en plus de leur nom et de leur âge, quel était leur jeu ou leur plat préférés. Quand cela a été possible et par recoupement de témoignages, on découvre la manière abominable dont ils ont été tués et, parfois, la dernière phrase qu’ils ont prononcée. Cela fait froid dans le dos, mais c’est peut-être un mal nécessaire pour rappeler que derrière le chiffre froid du nombre de victimes, des destins ont été brisés, des vies ont été enlevées – notamment des vies d’enfants.
Toujours en lien avec le génocide, on peut aussi se rendre au camp Kigali, là où dix légionnaires belges de l’ONU ont été abattus après s’être vaillamment battus contre les soldats du gouvernement. C’était le 7 avril 1994, au lendemain de l’attaque contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, qui marqua le début des tueries. Les parachutistes avaient été dépêchés auprès de la chef du gouvernement transitoire, Agathe Uwilingyimana, qui habitait dans une rue proche. Conduits dans ce camp, ils furent tués – tout comme la première ministre désignée. Signe de la violence de l’attaque, le bâtiment est criblé de balles. Sur les murs, une exposition raconte ce qu’est un génocide. On peut y lire : « Il y a un crime contre l’humanité à partir du moment où on est accusé d’être né. »
11 h 30 : visite au marché de Kimironko
C’est le grand marché à l’africaine, dans lequel on trouve absolument de tout : poissons, viandes, sauces, gingembre… mais aussi casseroles, chaises en plastique ou tuyaux de douche. Il fait bon se perdre dans ce Rwanda bruyant, agité, désordonné. C’est un festival d’odeurs et de couleurs. En entrant dans le marché, vous ne manquerez pas de vous faire accoster – surtout si vous êtes « muzungu » (blanc) – par un « guide ». Il n’est pas inutile d’accepter ses services pour négocier les prix.
13 heures : les brochettes de Chez Lando
Au restaurant Chez Lando, à Kigali, au Rwanda, en juin 2017. | Pierre Lepidi
Le Rwanda a une étonnante spécialité culinaire : les brochettes. De poisson, de bœuf ou de poulet, accompagnées de riz, de frites ou de légumes. Chaque Rwandais a son adresse favorite pour les déguster. Quasiment à toute heure, dans la cour ou à l’abri des regards, le restaurant Chez Lando est un incontournable de Kigali. Le dimanche, on y vient en famille ou entre amis, et parfois de loin, pour savourer les brochettes…
14 h 30 : un café à l’hôtel des Mille Collines
C’est un hôtel connu dans le monde entier, dont l’histoire a notamment été retracée dans le film Hôtel Rwanda, en 2004. Lors du génocide, Paul Rusesabagina, directeur de l’hôtel des Mille Collines, a hébergé 1 268 Tutsi alors que son établissement était encerclé par des miliciens Interahamwe prêts à les massacrer.
Vingt-trois ans plus tard, la piscine de l’hôtel, entourée de palmiers et de plantes tropicales, est toujours là. En semaine, l’établissement, aujourd’hui géré par la chaîne Kempinski, est le rendez-vous des hommes d’affaires – on le surnomme affectueusement « l’hôtel des mille combines ». Le soir, c’est « l’hôtel des mille copines » parce qu’on y croise des femmes élégantes autour du bar.
Le dimanche après-midi, un orchestre joue pendant que les familles se baignent ou déjeunent autour du bassin. Idéal pour se détendre en buvant un café du Rwanda, dont la qualité (et les productions) ne cesse d’augmenter.
19 heures : Kigali Heights
C’est un mall à l’américaine, d’une superficie de 12 500 m² répartis sur six étages, avec ses boutiques de luxe, ses supermarchés, ses restaurants et ses bars branchés. C’est aussi l’une des fiertés de Kigali où tout le monde se retrouve pour boire un verre.
Ouvert sur l’extérieur, le centre est aéré et très agréable. Une partie donne sur une architecture très design en forme de boule : construit en 2016 et doté d’une capacité d’accueil de 2 600 personnes, il s’agit du centre de conférences de Kigali, situé juste à côté de l’hôtel Radisson Blu. Petit pays de 11,8 millions d’habitants, le Rwanda veut se tourner vers l’avenir sans occulter son douloureux passé.