L’Espagne face à un afflux massif de migrants
L’Espagne face à un afflux massif de migrants
Par Isabelle Piquer (Madrid, correspondance)
Désormais, de plus en plus de migrants passent par l’Espagne, forçant le pays à fermer provisoirement le poste-frontière de l’enclave de Ceuta.
Des migrants cachés dans un camion de fête foraine sont arrêtés à Ceuta, le 7 août. / REUTERS
L’Espagne a décidé, mercredi 9 août, en accord avec le Maroc, de fermer provisoirement le poste-frontière de son enclave de Ceuta, destiné au transit de marchandises, après les récentes tentatives menées par des centaines de migrants subsahariens de gagner le territoire espagnol. Cette mesure devrait se prolonger jusqu’au 16 août, le passage des personnes à bord d’un véhicule et à pied restant autorisé.
Dans la soirée du lundi 7 août, au moins 187 migrants sont parvenus à entrer dans Ceuta par le poste frontalier de Tarajal, en courant à vive allure. Les images de vidéosurveillance montrent des gardes-frontières surpris et complètement débordés, essayant d’arrêter les coureurs, pour la plupart de jeunes hommes. « Merci, c’est un cadeau », criaient nombre d’entre eux aux caméras de la télévision locale. Ils ont majoritairement été transférés vers un centre de rétention d’où ils pourront déposer une demande d’asile.
Les agents ont été pris au dépourvu, s’attendant à une percée un peu plus loin, le long de la clôture de 8 kilomètres dont la surveillance est assurée par Madrid et par Rabat. « Quelque chose n’a pas marché dans le dispositif de contrôle », a reconnu le représentant du gouvernement espagnol à Ceuta, Nicolas Fernandez Cucurull. « En été, il y a toujours plus d’activité, a expliqué le porte-parole de la garde civile à Ceuta. Il est toujours difficile de prévoir ce qui va se passer. » La fermeture « a permis [à la garde civile] de réaffecter des agents qui, d’habitude, contrôlent le transit de marchandises ».
C’est ainsi que les agents ont pu faire face à une nouvelle arrivée de plusieurs centaines de migrants dans la nuit de mercredi, qui a été freinée en amont par la police marocaine.
Triples grillages
Ceuta, ainsi que Melilla, l’autre enclave espagnole située dans le nord du Maroc, constitue la seule frontière terrestre entre le continent africain et l’Union européenne, et un point de passage pour l’immigration venue d’Afrique noire et du Maghreb. De nombreux clandestins cherchent régulièrement à entrer dans ce petit bout de terre d’à peine 20 kilomètres carrés, juste en face de Gibraltar, et qui compte 87 000 habitants.
En février, plus de 850 migrants africains sont parvenus à pénétrer dans la ville. Un mois auparavant, le 1er janvier, plus d’un millier de migrants ont tenté de franchir les triples grillages qui séparent les deux pays, munis de tenailles et de crampons pour couper ou escalader les barbelés.
Ces entrées massives sont parmi les plus importantes depuis que la double clôture grillagée, construite en 1999, a été rehaussée, en 2005, de 3 à 6 mètres. Elle compte par endroits des barbelés et des lames tranchantes, en dépit des dénonciations d’ONG quant aux blessures qu’elles causent.
La fermeture de la frontière « est une solution provisoire », affirme une source officielle à Madrid, « car interrompre le transit de marchandises pourrait engendrer d’autres problèmes ».
En effet, chaque jour, plus de trois mille porteurs – en grande majorité des femmes – transportent jusqu’à 60 kilos de marchandises sur leur dos en provenance des zones commerciales de Ceuta, une contrebande tolérée qui rapporte annuellement plus de 400 millions d’euros, selon un rapport de l’université de Grenade, et ferait vivre, côté marocain, plus de 400 000 personnes.
Les incidents de Ceuta reflètent les derniers changements dans les flux migratoires en Méditerranée. Désormais, de plus en plus de migrants passent par l’Espagne pour rejoindre l’Europe. D’après les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 8 183 migrants avaient débarqué en Espagne au 6 août, depuis le début de l’année, trois fois plus qu’en 2016.
Si ces chiffres demeurent loin de ceux présentés par l’Italie, où plus de 96 400 migrants ont débarqué par la mer depuis le début de l’année, l’Espagne est en voie de rattraper la Grèce, où 11 713 personnes sont arrivées sur la même période.
Eviter la Libye
Les migrants, pour beaucoup venus de pays d’Afrique de l’Ouest, semblent vouloir éviter la Libye, livrée aux milices. « Nous supposons que la route qui longe la côte pour remonter vers le Maroc est considérée comme plus sûre », a déclaré Joel Millman, porte-parole de l’OIM.
Les manifestations dans le Rif ont également eu des conséquences sur l’immigration clandestine. Pour la première fois depuis des années, la majorité des migrants secourus dans le sud de l’Espagne sont marocains et non subsahariens. « Nous avons eu un afflux important d’immigrants, en particulier en Andalousie, dans les zones de Tarifa et Motril », reconnaissait, en juin, le ministre de l’intérieur espagnol, Juan Ignacio Zoido, lors d’une visite à Algésiras.
Helena Maleno, la présidente de l’association Caminando Fronteras, très active à Tanger auprès des migrants clandestins subsahariens, évalue le nombre de Marocains arrivés dans le sud de l’Espagne à environ cinq cents personnes.
Cela se traduit parfois par des incidents insolites. Ainsi, mercredi, des dizaines de migrants ont débarqué parmi les baigneurs sur la plage andalouse de Zahara de los Atunes, proche de Cadix, après avoir franchi le détroit de Gibraltar. Sur une vidéo amateur, on les voit sauter d’un canot pneumatique et partir en courant, devant le regard ahuri des vacanciers.
Des migrants arrivent sur une plage espagnole, sous les yeux des touristes
Durée : 00:46