TV : « Perfect Mothers », l’amitié au risque d’inceste
TV : « Perfect Mothers », l’amitié au risque d’inceste
Par Noémie Luciani
Notre choix du soir. Deux femmes, incarnées par Robin Wright et Naomie Watts, liées depuis l’enfance vivent chacune une histoire d’amour avec le fils de l’autre (sur C8 à 21 heures).
Perfect Mothers - Bande-annonce VOST
Roz (Robin Wright) et Lil (Naomi Watts) sont amies d’enfance. Depuis les premières baignades en mer et les premières gorgées d’alcool, elles partagent tout : la plage australienne au bord de laquelle leurs deux maisons se dressent, le ponton au soleil d’un éternel été, les jours, les soirs, les heures... Elles n’ont cependant jamais partagé leurs maris : celui de Lil est mort lorsque leur fils, Ian, était petit ; celui de Roz est en partance vers un poste rêvé, trop loin pour que sa femme puisse se résoudre à le suivre en quittant l’Eden et Lil, Lil et l’Eden.
Le mari parti, Ian et Tom, le fils de Roz, restent les seuls hommes face aux deux femmes et à la mer. Ils sont presque adultes, surfent à longueur de journée, et ils sont beaux. Un soir, Ian devient l’amant de Roz et Tom celui de Lil. La folie s’éternise, sans malaise durable : partageant encore, chacune donne à l’autre le fils qu’elle semble n’avoir enfanté que pour le lui offrir.
Robin Wright (à droite) et Naomi Watts. / C8
En se lançant dans l’adaptation d’un roman de Doris Lessing au titre assez cruel, Les Grands-Mères (Flammarion, 2005), Anne Fontaine s’attaque à un sujet difficile entre tous. Court – il a d’abord été publié dans un recueil de nouvelles –, incisif et dépouillé, le livre s’offre peu aisément à la réécriture en scènes et dialogues aux mille nuances nécessaires à rendre crédible à l’écran ce presque inceste croisé. L’audace paie : la réalisatrice, épaulée par deux actrices remarquables, affiche une telle maestria qu’on serait presque tenté de la lui reprocher. C’est que la réalité qu’elle expose est si dérangeante à observer, si troublante à comprendre, que l’on préférerait presque ne pas y croire, et ne pas être mis en demeure de la juger.
Au nom de l’Eden
On y croit pourtant. Cela tient surtout à la distance que la réalisatrice conserve entre ses personnages et elle. Pas plus que la plume de Doris Lessing, son objectif ne consent à faire de cadeaux aux deux femmes. Toujours un verre à la main, toujours vêtues de voiles plus glissants que les vagues, rarement inquiètes, jamais débordées, toujours souriantes, Roz et Lil sont légères au sens premier : rien ne semble peser durablement sur elles. Elles ont élevé leurs enfants avec attention et amour, Lil a fait le deuil de son mari défunt, le temps même semble avoir relâché son emprise : tandis que leurs fils grandissaient, elles ont arrêté de vieillir.
Anne Fontaine ne nous laisse pas le temps d’envier ces âmes rêveuses et l’art de vivre qu’elles cultivent. Au nom de l’amitié et de l’Eden, qu’il faut croire aussi éternels l’un que l’autre, Roz se montre lâche en taisant à son mari sur le départ ce qu’elle a toujours su : il lui est impossible de quitter l’Eden. Au nom des apparences de l’Eden retrouvé, quelques années plus tard, Lil cachera à Roz qu’elle offre toujours ses nuits à Tom, marié à une femme de son âge et père d’une petite fille.
Rien dans tout cela ne relève pourtant de l’accablement ou du réquisitoire. De leur point de vue, ce quartet amoureux n’est peut-être pas inenvisageable, et cela leur suffit. Le doute les effleure, plusieurs fois, elles veulent arrêter, et c’est le temps éternel et éternellement tentateur de l’Eden qui noie leur trouble dans les eaux tièdes d’un confort sans égal.
Le temps éternel et éternellement tentateur de l’Eden noie leur trouble. / C8
Ils se connaissent et s’aiment depuis toujours : mères et fils, amants et maîtresses, amis et amies fusionnels au point que des étrangers puissent les croire eux aussi amants. Changeant d’objet et de nature, leurs amours nouvelles sont le fruit d’une métamorphose aussi implacable dans sa logique qu’irrésistible par son langage. D’année en année, sans qu’elles en aient conscience, les gestes de tendresse que chaque mère trouvait pour le fils de l’autre ont appris une chorégraphie d’amour charnel.
Ayant observé leurs grâces en même temps que leurs mesquineries, mensonges et faiblesses, le spectateur sent disparaître ce malaise qui l’avait saisi d’abord. Troublé de ne plus l’être, il se prend malgré lui à envisager que ces amours interdites puissent ne pas être inenvisageables. La liberté de jugement que la réalisatrice laisse embarrasse autant qu’elle passionne. La question qu’elle semble poser est provocante : « Leur accorderez-vous le bénéfice du doute ? » La réponse, comme celle que les deux mères ont été incapables de formuler, tarde à venir.
Perfect Mothers, d’Anne Fontaine. Avec Robin Wright, Naomi Watts, Xavier Samuel et James Frecheville (Aus-Fr., 2013, 115 min).