Sergei Loznitsa, pathologiste d’un grand corps malade
Sergei Loznitsa, pathologiste d’un grand corps malade
Par Thomas Sotinel
Une bonne part du travail documentaire du réalisateur d’« Une femme douce » est éditée en DVD.
Avant de passer à la fiction avec My Joy, en 2010, Sergei Loznitsa a filmé la réalité, celle de la fin d’un empire. Ingénieur ukrainien devenu cinéaste en s’inscrivant à la prestigieuse école moscovite VGIK en 1991 (il avait alors 27 ans), il a pris la caméra au moment de l’effondrement de l’URSS. L’édition en DVD d’une bonne part du travail documentaire réalisé sur deux décennies permettra aux analystes amateurs de déceler les sources de la rage qui anime Une femme douce.
Le premier volume que propose l’éditeur Potemkine réunit deux films politiques : Revue, montage d’images de propagande datant de la période khrouchtchévienne, dernier moment où la dictature s’est mêlée d’utopie. L’ironie passe par la confrontation entre ces images frelatées d’ouvriers modèles qui chantent le système soviétique et notre conscience de la réalité à laquelle il a donné naissance. The Event, qui accompagne Revue, a été tourné en août 1991 dans les journées qui ont suivi la tentative de coup d’Etat contre Mikhaïl Gorbatchev.
Loznitsa a commencé son tournage à Léningrad et l’a terminé à Saint-Pétersbourg. Loin de Moscou, où la foule manifeste sans opposition, il filme la libération de la parole et les acrobaties des apparatchiks pour rester au pouvoir (on voit passer fugacement un jeune Vladimir Poutine).
Des films comme une autopsie
L’autre volume propose, sur deux DVD, des films plus rêveurs. En premier lieu, L’Attente, filmé la nuit dans une petite gare, fait de plans de voyageurs endormis, mais aussi Paysage, succession de panoramiques qui attrapent au passage les usagers qui attendent un bus dans la neige. En filmant ces moments ordinaires, Loznitsa se fait plus doux, plus élégiaque, et jamais plus que dans le magnifique La Colonie, où les patients d’un établissement psychiatrique travaillent au champ, à la lumière des jours interminables, montrant une Russie paysanne et apaisée.
L’addition de ces films est comme une autopsie, identifiant le facteur pathogène : le bolchevisme. Si bien qu’on peut comprendre la fureur de ce cinéaste-pathologiste en voyant, d’Ukraine en Géorgie, de la répression des homosexuels à la collusion avec les extrêmes droites du monde entier, le cadavre revenir à la vie.
Revue suivi de The Event, 1 DVD Potemkine. Sergei Loznitsa, documentaires, 2 DVD Potemkine. Sur le Web : www.potemkine.fr/Potemkine-film/Revue-the-event-revue-the-event/pa61m3f299.html et www.potemkine.fr/Potemkine-film/8-films-documentaires/pa61m3f298.html