La sélection littéraire du « Monde »
La sélection littéraire du « Monde »
Chaque jeudi, « Le Monde des livres » partage ses conseils de lecture avec les abonnés de La Matinale.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Cette semaine, si vous suivez notre programme, vous aurez la chance de croiser : un policier atrabilaire nommé Rocco Schiavone, des Américains qui luttent pour survivre à la Grande Dépression et un Coréen épris d’amour et des corsaires du XVIIe siècle.
POLAR. « Maudit printemps », d’Antonio Manzini
Maudit printemps est le troisième volet (après Piste noire et Froid comme la mort, Denoël, 2015 et 2016) des aventures du sous-préfet de police Rocco Schiavone. Cette fois-ci, ce dernier enquête sur l’enlèvement d’une jeune fille de la bourgeoisie d’Aoste. Il mettra au jour des réseaux mafieux dont les tentacules partent du sud de l’Italie pour aller jusqu’aux Alpes, en passant par la Roumanie.
L’auteur, Antonio Manzini, a repris les recettes qui ont fait son succès dans son pays : beaucoup d’humour et d’ironie, une intrigue plus complexe qu’il n’y paraît, des personnages torturés… Et un décalage culturel drolatique entre le Romain débrouillard et les sages Valdôtains. Ce cocktail détonnant reflète l’image de l’Italie, pays traversé par de multiples fractures, régionales, culturelles et sociales. Abel Mestre
DENOËL
« Maudit printemps » (Non è stagione), d’Antonio Manzini, traduit de l’Italien par Samuel Sfez, Denoël, « Sueurs froides », 304 pages, 21,90 €.
HISTOIRE. « Utopies pirates », de Peter Lamborn Wilson
« Piratologue amateur », Peter Lamborn Wilson lança avec cet ouvrage, publié aux Etats-Unis en 1995, un branle-bas de combat politique : Utopies pirates est une tentative de réinterprétation de l’aventure corsaire au XVIIe siècle en Méditerranée. Laquelle pourrait bien avoir donné lieu à une culture politique assez authentique, faite d’autonomie, d’égalitarisme et de tolérance religieuse.
C’est ainsi que, selon l’auteur, qui n’a pas froid aux yeux, un embryon de société pirate, cette alliance de réprouvés, devrait trouver une place légitime dans notre histoire politique la plus glorieuse, et même, excusez du peu, dans la lignée, en les précédant, des révolutions anglaise, américaine ou française… Appuyé sur un corpus d’époque et une très fine connaissance des sociétés musulmanes, son livre est vif et informé, avec d’heureuses embardées d’Alger à Baltimore, d’Amsterdam à Djerba. Julie Clarini
L’ÉCLAT
« Utopies pirates. Corsaires maures et renegados d’Europe » (« Pirate Utopias. Moorish Corsairs and European Renegadoes »), de Peter Lamborn Wilson, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hervé Denès et Julius Van Daal, L’Eclat, « Poche », 240 pages, 8 €.
RÉCIT. « J’ai vu la misère », de Martha Gellhorn
En 1934, Martha Gellhorn (1908-1998) est envoyée par l’administration Roosevelt pour écrire des rapports sur la vie des Américains touchés par la Grande Dépression. De ces rencontres, elle tire J’ai vu la misère, fiction à la frontière du reportage, calquée sur la réalité des hommes et des femmes touchés par le chômage, le déclassement et la mendicité.
De Mrs Maddison, s’autorisant l’aide gouvernementale sans jamais perdre l’espoir de lendemains joyeux, à Joe et Peter, ouvriers syndicalistes soumis à l’épreuve du chômage, en passant par Jim, amené à voler pour pouvoir se vêtir convenablement lors de son mariage, Martha Gellhorn esquisse le portrait de personnages forts, émouvants par leur quête d’indépendance. Celle qui deviendra une éminente reporter, couvrant la guerre en Europe, restitue ici, fidèlement et sans pathos, la condition des gens de peu – une évocation si sensible et si vraie qu’elle nous trouble. Juliette Haziza
LE SONNEUR
« J’ai vu la misère. Récits d’une Amérique en crise » (« The Trouble I’ve Seen »), de Martha Gellhorn, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Denise Geneix, Le Sonneur, 360 pages, 20,50 €.
ROMAN. « Tu m’aimes donc, Sonyong ? », de Kim Yeonsu
« L’amour est une pathologie que seul le mariage guérit », plaisantait Ambrose Bierce. Gwangsu n’est pas d’accord. Pour lui, c’est le jour des noces au contraire que le mal a surgi. Il a vu que quelque chose clochait – d’ailleurs une orchidée du bouquet était cassée…
Le Coréen Kim Yeonsu entrelace subtilement narration et digressions sur le sentiment amoureux, sa « courbe en arc » – début, essor, paroxysme, fin – et son rapport à la monogamie. « Qu’est-ce que l’amour romantique » sinon une chimère pour « se donner l’illusion qu’on aime de sa propre volonté ? », interroge-t-il. Une carte de Tendre orientale qui rappelle La Rochefoucault : « Bien des gens ne seraient jamais tombés amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. » Florence Noiville
SERGE SAFRAN
« Tu m’aimes donc, Sonyong ? » (« Salang-ilani, seon-yeong-a ») de Kim Yeonsu, traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, Serge Safran, 208 pages, 18,90 €.