En Anjou, l’esprit de Vilar et la maison de la grand-mère
En Anjou, l’esprit de Vilar et la maison de la grand-mère
Par Frédéric Potet (Fontaine-Guérin (Maine-et-Loire), envoyé spécial)
Sortis des grandes écoles nationales, de jeunes comédiens ont créé au cœur d’un village du Maine-et-Loire un festival de théâtre populaire, dans la lignée du TNP.
La scène du festival du Nouveau théâtre populaire, dans le jardin de la maison de la grand-mère d’un des comédiens. / FP
Jean Vilar n’est pas mort. Ses idées continuent de prospérer dans le cœur de jeunes comédiens rêvant à voix haute d’un théâtre pour tous et décentralisé. À Fontaine-Guérin, gros bourg de 1 000 habitants du Maine-et-Loire, une troupe s’est formée il y a neuf ans sur les fondations d’un festival en plein air, aux tarifs défiant toute concurrence (5 euros l’entrée). Son nom, le Nouveau théâtre populaire, a été donné en référence à l’institution que dirigea Vilar entre 1951 et 1963, le Théâtre national populaire (TNP). Ses fondateurs ne manquent pas de culot : ils ont repris à leur compte la célèbre typographie au pochoir créée par Marcel Jacno pour l’identité visuelle du TNP.
La façade de la maison de la grand-mère, reconvertie en « maison du théâtre ». / FP
Six pièces sont jouées chaque été dans le jardin en pente d’une maison du village offrant une vue imprenable sur le clocher torsadé de l’église. Deux classiques (La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau, Partage de midi de Paul Claudel), deux adaptations (La Petite sirène d’Hans Christian Andersen, Little Nemo de Winsor McCay), une œuvre contemporaine (Entre chien et loup de Jon Fosse) et une création collective (La fleur au fusil, évocation de la première guerre mondiale) figurent au programme cette année.
« La Dame de chez Maxim », de Georges Feydeau, mise en scène de Frédéric Jessua. / Nicolas Gasselin
Les comédiens, au nombre de vingt, passent d’une pièce à l’autre. La plupart ont été formés dans des grandes écoles nationales (Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Théâtre national de Strasbourg, Comédie de Saint-Etienne…), et tous travaillent comme intermittents du spectacle au long de l’année - en Ile-de-France notamment, leur région d’origine. La moyenne d’âge est de 30 ans. Chaque décision – le choix d’un texte, la cooptation d’un nouveau comédien… - est soumise au vote.
S’il s’inscrit, aussi, dans la lignée d’expériences illustres, comme le Théâtre du Peuple créé par Maurice Pottecher à Bussang (Vosges), ce projet de troupe professionnelle en milieu rural se veut également le miroir d’une génération ayant soif d’idéal dans un contexte économique plus tendu que jamais. « Quand nous sommes rentrés dans le métier, on n’a cessé de nous répéter qu’il n’y avait plus d’argent dans la culture. Cela ne correspondait pas à ce que nous avions connu en découvrant le théâtre à l’âge de 15 ans : des troupes créées avec la politique de décentralisation, des comédiens qui vivaient de leur art, les années Jack Lang… », explique Lola Lucas, l’administratrice de la troupe.
« La Dame de chez Maxim », de Georges Feydeau. / Nicolas Gasselin
Ils sont douze au départ, en cette année 2008. Certains ont fréquenté la même option théâtre au lycée à Paris. D’autres se connaissent depuis l’école maternelle. D’autres encore sont des « amis d’amis ». Le petit cercle s’aventurera dans le maquis du festival off d’Avignon, et en reviendra les poches aussi vides que les illusions. L’expérience accouchera néanmoins d’une promesse : aller porter « ailleurs » qu’à Paris et Avignon la parole théâtrale, là où elle n’est jamais entendue. « Notre idée initiale était de partir faire du théâtre en Ardèche, le lieu de toutes les utopies, raconte Lola Lucas. Le problème est que nous ne connaissions personne en Ardèche. L’un d’entre nous s’est alors souvenu qu’il avait une grand-mère dans le Maine-et-Loire. »
« La Fleur au fusil », écriture collective sous la direction de Clovis Fouin. / Nicolas Gasselin
La grand-mère, Marie-Claude Herson-Macarel, possède une grande maison en tuffeau dans la rue principale de Fontaine-Guérin. « Elle a dit oui tout de suite », se souvient son petit-fils, Lazare Herson-Macarel. Les sacs de couchage prennent alors possession du grenier, des tréteaux de fortune sont installés au pied des cerisiers, et des affiches collées dans les villages environnant pour annoncer la création d’un nouveau festival, ouvert à tous. À l’affiche : le Misanthrope de Molière et Roméo et Juliette de Shakespeare.
« Nous nous attendions à ce que personne ne vienne à la toute première représentation, relate le metteur en scène Léo Cohen-Paperman. A notre grande surprise, une trentaine de curieux ont franchi la porte. Nous avons ensuite enregistré 700 entrées sur dix jours. C’était extraordinaire. » Le festival ne cessera de croître. L’an dernier, 10 000 billets ont été vendus – au prix unique et inchangé de 5 euros – sur l’ensemble des six spectacles et des trente représentations.
« La Fleur au fusil ». / Nicolas Gasselin
Aussi stimulante soit-elle, l’aventure faillit toutefois tourner court après la mort de l’aïeule en 2012. La troupe lança alors un appel à don auprès de la population afin de racheter la maison. La somme recueillie, 75 000 euros, s’avéra insuffisante. La communauté de communes de Beaufort-en-Anjou se porta finalement acquéreur de la bâtisse afin de la prêter à l’association. Une convention unit, depuis, les deux entités. Grâce à elle, le Nouveau théâtre populaire a pu transformer le lieu en « maison du théâtre », à l’image de la maison Maria Casarès à Alloue (Charente). Les pièces ont été aménagées en loges, une nouvelle scène a remplacé la précédente, la grange deviendra bientôt une salle de répétition.
« La maison appartient au domaine public, c’est une grande fierté pour nous », se félicite Lazare Herson-Macarel, en rappelant les missions du festival : « Jouer du théâtre là où il n’y en a pas, satisfaire cette envie de liberté qui consiste à ne pas attendre d’être engagé dans une troupe pour interpréter des grands textes. » « Offrir également le plaisir d’une relation sans intermédiaire avec le public, ce qui n’est pas forcément permis au sein des grandes institutions théâtrales, abonde de son côté Léo Cohen-Paperman. Ce que nous proposons est de l’ordre du théâtre bio, sans conservateur. »
Répétition matinale d’une adaptation de la « Petite sirène » d’Andersen. / FP
Reste la question fondamentale : la mixité tant rêvée est-elle une réalité dans le jardin bucolique de la maison de Fontaine-Guérin ? Difficile à dire. Les membres fondateurs du festival veulent croire que les spectateurs, chaque année plus nombreux, ne sont pas tous des amateurs de spectacle vivant, issus de classes sociales supérieures, abonnés au centre dramatique national d’Angers ou à la scène conventionnée de Saumur ; mais aussi des « gens qui ne vont jamais au théâtre ». Pour s’en convaincre, ils ont décidé de réaliser cette année une enquête auprès de leur public afin de mieux l’identifier. Vilar n’aurait pas fait mieux.