Très populaires en Chine, les séries sud-coréennes pâtissent des tensions entre les deux pays
Très populaires en Chine, les séries sud-coréennes pâtissent des tensions entre les deux pays
Par Ophélie Surcouf
La Chine bloque depuis un an l’importation des « dramas » sud-coréens, forçant cet important secteur de la pop culture à composer sans cet investisseur majeur.
Depuis maintenant un an, la hallyu, la « vague » sud-coréenne et ses produits culturels, subit les sanctions informelles de la Chine, en réponse au Thaad, le système antimissiles américain en train d’être déployé sur le sol sud-coréen pour contrer les menaces de la Corée du Nord.
Les plus sévèrement touchées sont les séries coréennes, aussi appelées « dramas ». Elles doivent depuis se réinventer, faire des sacrifices et, surtout, trouver de nouveaux moyens de s’exporter pour compenser l’énorme perte de revenus résultant de l’interdiction chinoise.
« L’interdiction est extrêmement sérieuse, explique au Monde Oh In-gyu, professeur à l’université de Corée, à Séoul, et président de l’Association mondiale pour les études sur la Hallyu. La Corée du Sud est maintenant en déficit en termes de revenus culturels. Elle ne peut plus exporter en Chine ses dramas, ses bandes dessinées en ligne (les webtoons) ou sa musique, la Kpop. »
La Chine, poule aux œufs d’or
En Chine, le drama coréen « My Love from the Stars » a connu un succès sans précédent en 2014. / SBS
Le succès des séries coréennes en Chine était pourtant exponentiel. En 2014, le drama My Love from the Star déclenche un raz de marée. La série raconte l’histoire d’amour entre un extraterrestre et une célèbre actrice, sur fond de thriller et de fantasy. Elle a provoqué des ruptures de stocks de rouges à lèvre et de vêtements – portés par l’héroïne – les lendemains de diffusion. Le rituel préféré de l’héroïne, le chimaek, qui consiste à déguster du poulet frit en buvant de la bière, a provoqué en Chine un engouement qui a fait revenir les restaurants de poulet frit à la mode.
Le drama a même été discuté une matinée entière lors d’une réunion du CCPPC, un organisme consultatif d’Etat, pour déterminer pourquoi les dramas chinois ne parvenaient jamais au même niveau de popularité que les dramas coréens. Il faut dire qu’en Chine, My Love from the Star a rassemblé plus de 2,5 milliards de vues en ligne.
Descendants of The Sun | 태양의 후예 [Preview -ver.1]
Pourtant, ce succès apparaît presque anecdotique en comparaison de celui de Descendants of the Sun, en 2016. Ce drama raconte l’histoire d’une unité spéciale de l’armée sud-coréenne et d’une équipe de médecins dans un pays fictif, Uruk. Si un épisode de My Love from the Star était vendu l’équivalent de 31 000 euros (un record à l’époque) au service de streaming iQiyi, qui appartient au géant de l’Internet chinois Baidu, chaque épisode de Descendants of the Sun était vendu 210 000 euros.
Descendants of the Sun fut par ailleurs le premier drama à être diffusé en même temps en Chine et en Corée du Sud. Il a pour cela dû, fait rare, être complètement préproduit afin d’être examiné, en amont, par le Bureau de la censure chinoise.
« La présence chinoise a causé une perte de qualité »
Pour comprendre ce que cela a d’extraordinaire, il faut connaître le système de production des dramas coréens. Ceux-ci sont filmés d’une semaine sur l’autre, un rythme effréné qui entraîne une production imparfaite et des épisodes parfois montés en catastrophe – il arrive même que la fin de l’épisode ne soit pas prête lorsque la diffusion de l’épisode commence.
Descendants of the Sun inaugurait donc une nouvelle manière de concevoir les dramas, entièrement pensée pour la Chine, et aussi tournée en partie à l’étranger – car les moyens étaient là.
Les quatre premiers épisodes de « Legend of the Blue Sea » ont été tournés en Espagne. / SBS
« C’était devenu une mode d’aller à l’étranger pour tourner », explique un ancien réalisateur de dramas coréens pour l’une des trois chaînes publiques sud-coréennes – il a tenu à rester anonyme pour éviter des représailles chinoises sur sa nouvelle carrière free-lance.
« Après “Descendants of the Sun”, d’autres pays nous demandaient de venir, car les dramas coréens rayonnent sur toute l’Asie, en Thaïlande, au Vietnam et en Indonésie notamment. Mais avec la crise du Thaad, les retours sur investissement sont devenus trop faibles. L’audience nationale ne suffit pas à payer la production, c’est le reste de l’Asie qui compense. Mais le Japon a une économie qui n’est pas au mieux de sa forme et la Chine nous bloque… »
Depuis, les chaînes publiques se sont mises à la publicité. Quant aux réalisateurs, ils ont dû trouver des moyens de contourner le manque de budget. Ils produisent donc des dramas moins ambitieux, mais qui misent davantage sur la qualité du scénario. Pour Chief Kim, la chaîne KBS a par exemple tourné tout le drama presque uniquement dans l’entreprise et le bureau de comptables où se déroule l’action.
Entre l'influence des sanctions chinoises et le succès des séries de la chaîne câblée TvN, une nouvelle vague de dramas plus intimistes et au scénario mieux rodé voit le jour. / KBS2
« Les producteurs sont tristes d’avoir perdu leur poule aux œufs d’or, mais nous, les scénaristes, sommes ravis », déclare Park Jae-beom, l’auteur de Chief Kim.
« Certes, la Chine a propulsé le développement financier, mais cela a créé une bulle dans le divertissement. Les investisseurs ne s’intéressaient qu’au casting et à créer des histoires à destination de la Chine. Les acteurs sud-coréens favoris en Chine sont devenus très chers et les thèmes des dramas ont été limités à cause de la censure. La présence chinoise a causé une énorme perte de qualité. »
Netflix s’en mêle
Les acteurs sud-coréens très populaires en Chine qui jouaient pour des productions chinoises ont d’ailleurs dû rentrer au pays car ils ne trouvent plus de rôles sur place. Ils doivent souvent revenir à des rôles – parfois secondaires – en Corée du Sud ou se tourner vers de nouveaux marchés. Ce qui intéresse par exemple beaucoup Netflix.
Park Hae-jin, une superstar depuis son rôle dans My Love from the Star, jouait presque exclusivement dans des dramas chinois. En avril, il est réapparu dans un drama sud-coréen de la chaîne câblée JTBC, Man to Man. Ce drama est le premier à avoir été diffusé simultanément en Corée du Sud et sur Netflix et était sous-titré dans vingt langues différentes. Entièrement préproduit, il a été vendu 320 000 euros par épisode au service de vidéo à la demande américain – bien plus que Descendants of the Sun.
Park Hae Jin 朴海鎮 박해진 - JTBC Man to Man Trailer
« Il y a un fort intérêt pour les films et séries sud-coréens dans le monde entier et nous avons commencé à remplir un catalogue de contenus coréens sur notre service, déclare Yann Lafargue, responsable de la technologie et la communication d’entreprise en Europe, Afrique et au Moyen-Orient pour Netflix. Cette année, nous avons aussi annoncé deux dramas originaux Netflix, Kingdom et Love Alarm. »
Piratage
« Netflix entre dans le jeu assez tardivement, remarque cependant le chercheur Oh In-gyu. D’ailleurs, l’audience américaine pour les dramas est encore assez faible, comparée à celle de l’Inde, par exemple. Les sociétés de production et les chaînes publiques se tournent de plus en plus vers l’Inde pour compenser le blocage chinois. La protection intellectuelle en Inde est de plus beaucoup mieux régulée qu’en Chine, où il est très facile de se procurer des copies piratées. »
« Goblin » n’a pas seulement eu beaucoup de succès pour son casting et son histoire : sa bande-son a également été placée dans le top des ventes en Corée du Sud et a rencontré un important succès en Chine. / TvN
C’était par exemple le cas de Goblin, un drama de la chaîne câblée TvN, diffusé cette année. Avec pour héros l’acteur Gong Yoo, du film Dernier train pour Busan, véritable succès mondial, le drama a connu un énorme succès en Chine, malgré l’interdiction, en circulant illégalement sur Internet.
Et la Chine elle-même paie parfois les conséquences de ses propres sanctions. Les sites de vidéo à la demande qui faisaient l’essentiel de leur trafic séries sur les dramas sud-coréens ont perdu beaucoup d’audience. Mais la Chine semble décidée à profiter de ce différend diplomatique pour mettre l’accent sur sa propre culture. « Pendant qu’elle bloque l’import de la culture coréenne sur des plates-formes légales, la Chine produit ses propres contenus, constate Oh In-gyu. Elle le fait en copiant le format des productions sud-coréennes. Cela met beaucoup de Sud-Coréens en colère. »