Agression sexuelle dans un bus : le Maroc indifférent aux violences faites aux femmes ?
Agression sexuelle dans un bus : le Maroc indifférent aux violences faites aux femmes ?
Par Ghalia Kadiri (contributrice Le Monde Afrique, Casablanca)
Une vidéo diffusée sur Internet montre une femme violentée par quatre jeunes hommes sans qu’aucun des autres passagers ne réagisse.
La scène est choquante. Pourtant, elle est loin d’être inédite au Maroc, où près de deux femmes sur trois sont victimes de violences, selon des chiffres officiels. Dans une vidéo mise en ligne dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 août, une femme est agressée en pleine journée à l’arrière d’un bus, a priori à Casablanca – les circonstances exactes ne sont pas encore connues –, par quatre jeunes hommes. Hilares, ils lui arrachent les vêtements, touchent violemment ses seins et l’insultent en darija (arabe dialectal marocain). Sur les images, la jeune femme apparaît à moitié nue, en larmes, suppliant ses agresseurs de la laisser partir, dans l’indifférence totale des passagers et du chauffeur de bus.
Depuis sa diffusion, la vidéo a suscité des réactions controversées sur la toile. La plupart des internautes ont posté des messages de soutien à la jeune femme, condamnant fermement les agressions sexuelles envers les femmes, de plus en plus fréquentes au Maroc – et impunies. L’association Touche pas à mon enfant a par ailleurs utilisé Facebook pour publier des captures d’écran de la vidéo afin de permettre l’identification des agresseurs et de « traduire en justice cette horde barbare qui s’est attaquée lâchement à une jeune fille ».
Mais d’autres s’en sont pris à la victime, jugeant sa tenue « indécente » et « provocante ». « Vu comment elle est habillée, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même ! », commente un internaute sur Facebook. « C’est une prostituée. Elle n’a eu que ce qu’elle méritait », écrit un autre.
« Ça fait partie de notre quotidien »
Ces réactions mitigées témoignent des contradictions d’une société tiraillée entre modernité et conservatisme. Dans un pays qui se veut tolérant et où les femmes n’ont pas l’obligation de porter le voile, une partie de la société légitime la violence à leur encontre. En janvier, deux Marocaines blessées lors de l’attentat du réveillon à Istanbul avaient fait l’objet d’une vive campagne d’insultes, accusées d’avoir fêté le jour de l’an « dans un lieu de débauche alors qu’elles sont musulmanes ».
Pour Wafae, 22 ans, « les agressions sexuelles font partie de notre quotidien ». A Casablanca, se déplacer seule est devenu une épreuve de chaque jour pour les femmes. « Que ce soit dans le bus, dans la rue ou même dans un souk plein de monde, on subit des attouchements, des insultes. Les hommes ouvrent leur braguette, collent leur sexe au dos des femmes et vont jusqu’à éjaculer sur nous. En plein espace public ! » Autour d’elles, les témoins restent silencieux. « Ils lèvent les yeux au ciel, font semblant de ne pas voir. Les chauffeurs de bus n’interviennent jamais », poursuit la jeune femme.
Dans ce climat de violence, beaucoup de femmes portent un voile pour se protéger des agressions. « Mais ça ne suffit pas. On a beau porter une djellaba large et un foulard malgré la chaleur estivale, les hommes s’en prennent à nous », déplore Wafae.
Les agresseurs filmés dans la vidéo seront-ils inquiétés par les autorités ? « La loi marocaine condamne le harcèlement des femmes au travail, mais pas dans les espaces publics », avait concédé début août à l’AFP Mustapha Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’homme. Cette fois, le battage médiatique autour de la vidéo aura peut-être pour effet de faire intervenir les pouvoir publics. Selon un communiqué publié par M’dina Bus, la société qui gère les transports publics à Casablanca, les agresseurs ont été appréhendés lundi matin par les autorités, quelques heures après la diffusion de la vidéo.