Elections en Angola : les partis en campagne labourent les terres oubliées
Elections en Angola : les partis en campagne labourent les terres oubliées
Par Joan Tilouine (Angola, envoyé spécial)
Quand les pétrodollars coulaient à flots, l’arrière-pays a été délaissé par le régime de dos Santos. Mais les millions d’Angolais ruraux sont aussi des électeurs…
Lorsqu’il s’aventure loin de Luanda, Luis ne se départ jamais de son calibre. « En dehors de la ville, on ne sait pas sur qui on peut tomber », dit ce colosse affable de 39 ans. Il dépose juste son arme dans la boîte à gants lorsqu’il gare son 4x4 aux vitres teintées sur la place poussiéreuse du marché de Calanja, à 450 km au sud des gratte-ciel modernes du centre de la capitale. Des gamins vêtus de shorts déchirés se ruent autour de cet homme qui distribue billets et caresses. Deux mondes se rencontrent – ou se retrouvent – le temps de la campagne pour les troisièmes élections générales de l’histoire angolaise, qui s’est terminée lundi 21 août au soir.
Luis se refuse à dire sa véritable fonction, tout juste admet-il être au service du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir depuis l’indépendance, grand vainqueur de la guerre civile (1975-2002). Un bulldozer politique qui compterait 4 millions de membres, soit près de 15 % de la population et la moitié des électeurs. Le parti, comme le pays, est dirigé depuis trente-huit ans par José Eduardo dos Santos, qui ne se représente pas lors de l’élection du mercredi 23 août.
« Le MPLA, c’est tout l’Angola et c’est l’avenir. Vous allez bien voter MPLA, d’accord ? », s’assure Luis auprès des paysans intrigués par ce drôle de visiteur. Tous acquiescent mollement. Luis est satisfait : le marché de Calanja, qui borde la route, est recouvert de drapeaux du parti-Etat et d’affiches de Joao Lourenço, le ministre de la défense, choisi pour succéder à dos Santos. Des jeunes militants de Canjala sans doute un peu zélés ont également décoré des épaves de camions et des cases en bois. En ce début d’après-midi, ils végètent sous un parasol orné du visage tout en rondeurs du futur président. Luis leur remonte le moral avec des bières et un peu d’argent. Puis il remplit son coffre de fruits et légumes du cru, car « on mange mieux à la campagne qu’en ville ».
Mission accomplie. L’émissaire du MPLA reprend la route vers Lobito, charmante ville portuaire où son « patron », Joao Lourenço, tient meeting ce jeudi 17 août – le même jour que son rival Isaias Samakuva, candidat de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), ancienne rébellion devenue le premier parti d’opposition. « Adios Canjala, le MPLA est là pour vous. »
« Les citadins ont oublié leurs agriculteurs »
Visage buriné, mains calleuses et dos courbé, Erminda, agricultrice de 43 ans, est circonspecte. Cela fait bien longtemps qu’un tel personnage n’avait pris le temps de s’arrêter dans son village ceinturé de champs verdoyants aux allures d’oasis. Elle retourne d’un pas lent vers son lopin de terre irrigué par la rivière bientôt asséchée. Elle cultive de la canne à sucre et de la tomate et aimerait bien acheminer ses récoltes à Luanda. Sauf que l’élite angolaise importe tout, ou presque, du Brésil, du Portugal, de Namibie et d’Afrique du Sud. « Les citadins ont oublié leurs agriculteurs, alors que nous sommes les racines de ce pays. Mais eux sont devenus fous avec le pétrole », dit-elle.
Elle n’a pas tort. Le régime dos Santos n’a cessé de promettre une diversification économique, de valoriser ses terres fertiles, de développer des mégaprojets agro-industriels avec des partenaires israéliens, français ou autres. En vain. Un investisseur érythréen aurait même jeté son dévolu sur Canjala pour y créer une exploitation de légumes. « Pour l’instant, il n’y a rien. C’est où l’Erythrée ? », dit la paysanne en riant. Elle assure qu’elle votera une fois encore pour le MPLA, sans trop savoir pourquoi. Peut-être est-ce simplement pour suivre les consignes de vote des chefs traditionnels, pour la grande majorité intégrés dans l’appareil du parti, ou bien pour préserver une vie paisible, ou même par loyauté envers ce parti qui reste populaire et promet tant au « peuple ».
Des militants de la coalition Casa-CE, à Luanda, le 20 aôut. / MARCO LONGARI / AFP
Dans un contexte de volatilité des cours du pétrole, le MPLA, fragilisé par la pire situation économique que connaît le pays depuis la fin de la guerre en 2002, laboure dans cet Angola rural qu’il a jusque-là délaissé, voire méprisé. « Le pouvoir a réalisé très peu d’investissements dans l’intérieur du pays, qu’il connaît assez mal, et le secteur agricole en souffre. Donc malgré les importants relais locaux dont bénéficie le MPLA, qui est très bien structuré, partir à la conquête des zones rurales n’est pas simple, analyse le politologue Didier Péclard, spécialiste de l’Angola. Le MPLA a une conception du développement qui passe par d’immenses projets concentrés dans les grandes villes et dans leurs périphéries, pas dans les campagnes. »
Tout vote est bon à prendre
La baisse du prix du brut – qui assure à l’Etat 75 % de ses recettes fiscales et 90 % de ses exportations – fragilise le mythe d’un développement prospère incarné par les extravagantes infrastructures de Luanda mais aussi par les routes, les ponts ou les barrages inaugurés à la va-vite ces dernières semaines. La nécessaire reconstruction du pays, ravagé par la guerre, a laissé place à une frénésie immobilière rendue possible par les centaines de milliards de pétrodollars gérés de manière opaque. Le monde rural a été laissé de côté.
Certes, les millions de personnes vivant de l’agriculture ne contribuent qu’à 10 % du PIB, selon les chiffres officiels. Mais en ces temps d’incertitude économique conjuguée à un mécontentement populaire, tout vote est bon à prendre. Durant la campagne, Joao Lourenço s’est dit décidé à développer le secteur agricole pour redresser l’Angola, « qui a l’obligation de nourrir ses fils », comme il l’a déclaré. Avec la crise, l’inflation et la pénurie de devises, l’habitude d’importer les produits alimentaires est devenu un luxe que l’Angola ne peut plus se permettre.
Le drapeau du MPLA, le parti au pouvoir, à Luanda, le 20 août 2017. / MARCO LONGARI / AFP
« Le MPLA, qui est présent et puissant sur tout le territoire mais reste très urbain, est aussi élitiste que la société de Luanda, souligne le chercheur Nuno Fragoso Vidal, du Centre d’études internationales de Lisbonne. Tous les partis ont du mal à parler aux pauvres, aux masses et à ce monde rural. » Même l’Unita, qui a longtemps orienté ses discours vers la défense des oubliés, noirs et ruraux, semble peiner à gagner les cœurs dans les terres. A l’exception de ses bastions historiques des provinces de Huambo et de Bié (sud et centre du pays), c’est bien à Luanda que le parti créé sur les cendres de la rébellion vaincue de Jonas Savimbi a réalisé ses meilleurs scores (près de 25 %). Les « broussards » de l’Unita se seraient eux aussi urbanisés, à cheval entre ces deux mondes qui ne se parlent pas ou si peu.
« Tout ça est un grand théâtre »
Dans le centre-ville coquet de Lobito, ce jeudi 17 août, Luis et d’autres jeunes notables du MPLA savourent la fin du meeting du « futur président » Joao Lourenço dans les jardins d’un hôtel du quartier huppé de la Ilha. Pour eux, comme pour la grande majorité de la population, l’élection du dauphin de José Eduardo dos Santos est jouée d’avance. Le semblant de jeu démocratique, savamment entretenu par le pouvoir et auquel se prête l’opposition, se poursuit.
A quelques centaines de mètres de là, Isaias Samakuva, le président-candidat de l’Unita, poursuit son laïus à l’Imperium, un ancien cinéma décati. Le matin même, il haranguait une foule de miséreux réunis sur le grand marché décharné de Benguela, à 35 km plus au sud. A Lobito, Samakuva et Lourenço ont martelé leur plan de relance et de diversification de l’économie. Ils ont vanté les vertus d’un développement de l’agriculture et de l’industrie. Avant de terminer leurs campagnes par des grands meetings à Luanda, avec grands discours et concerts de stars musicales.
Un catcheur au meeting du MPLA, à Luanda, le 19 août 2017. / MARCO LONGARI / AFP
Le MPLA s’est offert le roi de la rumba congolaise, Koffi Olomidé, venu de Kinshasa. L’Unita a privilégié les traditionnelles chansons militantes. Quant au troisième larron, la Casa-CE, coalition de partis d’opposition fondée en 2012 par un dissident de l’Unita, Abel Chivukuvuku, qui aurait la cote auprès des jeunes urbains, il a fait appel au rappeur engagé MCK.
« Je connais la chanson, je sais la danser mais je ne danse plus car à la fin, les opposants s’assoient à l’Assemblée nationale, bénéficient de voitures Lexus et d’un bon salaire, dit Luaty Beirao, rappeur lui aussi et figure de la société civile. L’Unita et Casa-CE ne sont pas à la hauteur du défi et jouent le jeu du pouvoir car ils ont peur du bras de fer. Tout ça est un grand théâtre. » Les grands partis ont fait leurs shows. Si le succès du spectacle se mesure au nombre d’affiches, le MPLA écrase ses rivaux, à la ville comme aux champs.
Présidentielle en Angola : peu de suspense, dos Santos a choisi son dauphin
Durée : 02:06