« La fin du franc CFA mérite de meilleurs acteurs qu’une tribu de farceurs »
« La fin du franc CFA mérite de meilleurs acteurs qu’une tribu de farceurs »
Par Hamidou Anne (chroniqueur Le Monde Afrique)
Pour notre chroniqueur, l’activiste Kémi Séba n’est autre qu’un « afroclown » inondant les réseaux sociaux avec un discours raciste et creux, inutile et dangereux.
Dans sa croisade contre le franc CFA, Kémi Séba, qui n’en est jamais à une grossièreté près, a brûlé, samedi 19 août place de l’Obélisque à Dakar, un billet de 5 000 francs CFA (soit 7,60 euros) afin de montrer son grand courage et son sens du symbole.
Je pense à tous ces économistes sérieux et ces hommes politiques qui ont d’objectives réserves sur la monnaie mais demeurent inaudibles, tandis qu’un farceur récolte sympathie et oreille attentive sur un sujet sur lequel il ne connaît rien et n’a aucune légitimité.
Quelle est l’étude crédible sur l’incidence du franc CFA sur nos économies réalisée par Kémi Séba ? De quelle réflexion pertinente, en dehors de sa logorrhée raciste et essentialiste, est-il l’auteur ? Le geste de l’activiste est tout simplement stupide.
Un roquet hypermédiatisé
Il est évident que les Etats africains, après plus de cinquante ans d’indépendance, doivent avoir le contrôle de leur monnaie, qui est un attribut de souveraineté. Mais le sujet ne doit pas être instrumentalisé par des marchands d’illusions qui ont leur propre agenda. Voilà la raison pour laquelle j’avais ici même dénoncé la prise d’otage de ce sujet sérieux par des activistes, blogueurs et autres amuseurs publics lors de la manifestation simultanée anti-franc CFA du 7 janvier dernier.
Le Français Stellio Gilles Robert Capo Chichi à l’état civil, et Kémi Séba de son nom de scène, voyage avec son passeport français mais dénonce tous azimuts « l’Empire » au nom du panafricanisme. Cette fois, il revient à la charge pour faire sa promotion sur le dos de la misère et des rêves d’émancipation réelle des peuples d’Afrique.
Mais Kémi Séba n’est en rien un cas isolé, il est le roquet hypermédiatisé d’un pan entier au sein du continent. Il est le symbole de tous ceux que le professeur de philosophie et élève de Souleymane Bachir Diagne, Mouhamed El Hady Ba, appelle les « afroclowns ». Des individus qui inondent les réseaux sociaux avec un discours raciste et creux, inutile et dangereux, sur le devenir du continent. Leurs saillies sont souvent pleines de bonne volonté, mais bien maigres quand il s’agit d’argumenter afin de crédibiliser le propos. Ils se contentent de citer Cheikh Anta Diop et quelques autres « pères » pour justifier une rengaine ridicule et extrémiste.
Sectarisme, racisme et xénophobie
Kémi Séba, sa bande et tous les artisans du rejet de l’autre et de la dissémination de la haine entre les gens selon leurs couleurs de peau, leurs orientations politiques et religieuses, sont des créatures africaines. Mais leurs semblables existent sous d’autres cieux et prospèrent dans un contexte hélas propice à rendre l’autre responsable de son malheur.
En Italie, il s’agit des assassins du réfugié nigérian Emmanuel Chidi. Aux Etats-Unis, il s’agit des militants suprémacistes blancs, qui viennent encore de faire une victime à Charlottesville. Ces militants de l’extrême droite américaine, qui savent que leurs théories n’inspirent pas le dégoût qu’elles mériteraient au locataire de la Maison Blanche, sont dans une entreprise de résurgence de la guerre des races. En Europe, l’extrême droite n’a jamais renoncé à ses thèses de « réémigration » pour les gens qui ne sont pas de « race blanche ».
En Afrique, les difficultés des populations, le contrôle de nos économies par les puissances étrangères et l’incapacité de nos dirigeants à faire jaillir l’espoir irriguent un discours qui, sous le prétexte de défendre sans complexe la cause du peuple, emprunte la voie du sectarisme, voire du racisme et de la xénophobie.
Tous ces courants doivent être combattus sans réserve avec une radicale humanité. Celle qui demeure droit dans ses bottes sur les principes d’égalité et de justice et qui, face aux barrières qu’on érige, construit des passerelles entre les peuples.
Le franc CFA est devenu un sujet de société en Afrique, sur lequel des économistes de renommée internationale sont divisés, avec des arguments divergents mais quasiment tous de bonne foi. Kémi Séba n’est pas une voix autorisée sur le sujet. Il doit se taire et écouter. Car dès lors qu’il devient la figure la plus visible sur le thème, il sera difficile de prendre au sérieux les Africains.
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.